Guerre des nerfs entre Ottawa et l’Ontario sur l’Université de l’Ontario français
OTTAWA – Alors que le déclenchement des élections fédérales approche à grands pas, le dossier de création de l’Université de l’Ontario français (UOF) semble être dans l’impasse. Chaque gouvernement se renvoie la balle. Quel parti aurait le plus à y gagner? Deux politologues se penchent sur la question.
Avec d’un côté, un gouvernement fédéral qui souhaite une proposition concrète et détaillée et un engagement financier ferme de la province avant de s’engager à verser 63 millions de dollars pour les quatre premières années de création de l’UOF et de l’autre, l’Ontario qui demande la signature rapide d’une entente de principe, la situation de l’UOF semble difficile à débloquer.
« C’est un enjeu très partisan depuis des mois et avec tout ce qui s’est dit, il est difficile de croire que les deux parties sont de bonne foi », juge la politologue au Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard. « La province a été silencieuse pendant des mois, avant d’ouvrir finalement la porte très près des élections. Du côté fédéral, la ministre Joly se montre très tatillonne, mais on peut se demander pourquoi Ottawa n’a pas fait connaître clairement, dès le départ, ses attentes. »
Ottawa insiste que les éléments présentés par l’Ontario jusqu’ici n’étaient qu’une ébauche et que la province ne s’est pas engagée officiellement à payer sa part. Selon Mme Chouinard, si la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie veut lever le voile sur ces échanges, elle devrait rendre publics les documents présentés par la province.
« S’il y a une appréhension de la part du fédéral, il pourrait également fixer des balises en précisant ce qui ne doit pas changer dans l’entente », ajoute-t-elle, voyant dans les récents propos de Mme Joly, à l’effet qu’elle n’avait pas reçu un dossier complet de la province, une volonté de souligner l’amateurisme du gouvernement progressiste-conservateur.
Minuit moins une pour l’AFO
Cette fin de semaine, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) a tenté de mobiliser la communauté franco-ontarienne afin de faire pression sur les médias sociaux auprès des deux gouvernements, estimant qu’il est « minuit moins une dans le dossier de l’Université de l’Ontario français ».
« Le temps commence à presser. On ne veut pas risquer de perdre une autre cohorte d’étudiants franco-ontariens qui devront aller dans une université anglophone. De plus, l’université doit pouvoir sécuriser son site et lancer sa campagne de financement. On sent qu’il y a de la nervosité et de la fébrilité des deux côtés à l’approche des élections, mais on espère que les deux parties parviendront à une entente », explique le président de l’AFO, Carol Jolin à ONFR+.
L’initiative de l’AFO a valu plusieurs gazouillis d’appuis. De quoi influencer les discussions qui doivent se poursuivre aujourd’hui entre l’Ontario et le fédéral?
Le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand, estime que la pression est désormais sur le gouvernement fédéral.
« On ne peut pas dédouaner le gouvernement ontarien qui a une grosse part de responsabilité et qui a créé la situation actuelle. Mais l’Ontario est aujourd’hui à la table des discussions et a fait un gros pas. Il ne faut pas être naïf, il y a un calcul politique là-dedans. Mais on voit aussi que sur ce dossier, comme sur d’autres, comme celui de l’autisme par exemple, il y a une nouvelle dynamique au sein du gouvernement provincial avec les changements de personnel au bureau du premier ministre. »
Le porte-parole aux langues officielles du Nouveau Parti démocratique, à Ottawa, François Choquette a fustigé la ministre Joly, ce mardi, l’accusant de « faire de la petite politique » sur le dossier et demandant une rencontre d’urgence du comité permanent des langues officielles pour débloquer la situation.
Les libéraux ont tout à perdre
Les choses ont toutefois rapidement évolué ce mardi puisque, ce matin, la ministre Joly a transmis un protocole d’entente signé par la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, dans lequel le gouvernement fédéral s’engage à financer à hauteur de 63 millions de dollars le démarrage de l’UOF. En fin de journée, la province n’avait pas toujours pas apposé sa signature au document qui comprend plusieurs conditions, même si dans les rangs du gouvernement Ford, on se disait optimiste.
Pour M. Normand, les libéraux auraient beaucoup à perdre en cas d’échec des négociations.
« La province a fait un pas et même si les libéraux pourraient attaquer les conservateurs fédéraux sur cet enjeu en cas d’échec, les Franco-Ontariens ne seront pas dupes. De plus, pour les conservateurs fédéraux, il n’est pas certain que cela leur nuirait. Je ne suis pas sûr qu’ils comptent faire des gains dans les communautés franco-ontariennes et il n’est pas certain non plus que le Québec s’intéresse encore beaucoup à cet enjeu au point que ça puisse les pénaliser. »
La conclusion d’une entente serait en revanche une belle victoire pour Mme Joly, estime le politologue. Cette dernière pourrait alors faire valoir la qualité de son leadership pour infléchir la position de l’Ontario.
Enjeu électoral
La politologue Stéphanie Chouinard est en revanche plus partagée.
« En cas d’échec, les deux partis vont pouvoir se blâmer réciproquement et c’est peut-être leur intérêt en vue des élections. Les Franco-Ontariens sont pris entre l’arbre et l’écorce. »
Du côté de l’AFO, comme de la présidente du conseil de gouvernance de l’UOF Dyane Adam, on martèle vouloir que le dossier soit réglé avant les élections.
« Le financement de l’UOF est prévu jusqu’en janvier 2020, ça risque de plonger l’équipe dans l’incertitude et de décaler encore d’un semestre une ouverture, si le dossier n’est pas réglé avant les élections. De plus, on ne sait pas ce que les conservateurs feraient dans le dossier en cas de victoire au fédéral », rappelle M. Normand.
Cet article a été mis à jour le 3 septembre 2019, à 12h44