Aurélien Bélanger (1878-1953), vers 1940. Portrait du photographe d’Alex Castonguay (1877-1972). Source : Université d’Ottawa, Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF), Fonds Aurélien-Bélanger (P187), Ph176-1. / Photographe Castonguay.

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

Bien avant Mauril Bélanger, un autre député ayant également pour nom de famille Bélanger se hissa au rang des plus farouches défenseurs de la communauté franco-ontarienne, dès le début de l’imposition du Règlement 17 et jusqu’à sa mise au rancart. Le député Bélanger, Aurélien de son prénom, prononça il y a cent ans à l’Assemblée législative de l’Ontario deux discours phares qui contribuèrent à paver la voie à la fin de l’interdiction provinciale d’enseigner en français dans les écoles de l’Ontario. Retour sur cet épisode et sur ce personnage malheureusement oubliés de nos jours.

Né à Sainte-Scholastique, au Québec, le 18 mars 1878, Aurélien Bélanger suit ses parents à Ottawa en 1879*. Il fréquente l’École Brébeuf dans la Basse-Ville et étudie au Juniorat du Sacré-Cœur d’Ottawa, où il obtient un baccalauréat ès arts.

Surdoué, le jeune Bélanger empoche des diplômes en tous genres : titulaire d’une maîtrise ès arts (1902), il complète des études en droit (1913) et obtient un diplôme en comptabilité (1926). Au surplus, il décrochera un doctorat en pédagogie de l’Université Laval en 1937.

Bien qu’il lorgne une carrière en droit, l’archevêque catholique d’Ottawa le convainc que ses brillants talents seraient plus utiles pour la communauté franco-ontarienne s’il œuvrait en éducation.

Bélanger est successivement professeur à l’Université d’Ottawa (1896-1902), directeur de la comptabilité pour la construction du musée Victoria d’Ottawa (1904-1908, aujourd’hui le Musée canadien de la nature) et inspecteur des écoles bilingues de l’Est de l’Ontario (1908-1912).

À la suite à l’adoption du Règlement 17 en 1912, Bélanger, qui a alors 34 ans, démissionne avec fracas de son poste pour manifester son désaccord envers ce qui restreignait considérablement l’enseignement en français dans les écoles de l’Ontario. Il organise même la première assemblée de la résistance à Hawkesbury.

L’infatigable Bélanger est déjà impliqué depuis un certain temps en Ontario français : il est cofondateur de l’Association canadienne-française d’Éducation d’Ontario (actuelle Assemblée de la francophonie de l’Ontario) en 1908-1910 et du quotidien Le Droit d’Ottawa en 1913.

À la demande de son ami et complice Samuel Genest, il devient directeur des écoles bilingues auprès de la Commission des écoles séparées catholiques d’Ottawa que préside Genest.

Toujours aussi impliqué, ce militant cofonde en 1922 l’Association des instituteurs et des institutrices bilingues de l’Est de l’Ontario.

Le saut en politique et le discours d’une vie

Au début des années 1920, alors que le Règlement 17 sévit encore, l’élite franco-ontarienne de l’Est décide que la résistance doit se transposer à l’Assemblée législative de l’Ontario, avec la candidature de M. Bélanger aux élections provinciales. Il se fait élire député provincial de Russell (territoire recouvrant les actuelles circonscriptions d’Orléans et l’Ouest de Glengarry-Prescott-Russell) à l’élection générale provinciale de 1923, sous la bannière libérale.

En 1925, le futur chef du Parti libéral de l’Ontario et éventuel premier ministre de la province Mitch Hepburn donne pour mission à Aurélien Bélanger de prononcer « le discours de sa vie » contre le Règlement 17.

Devant l’Assemblée législative, le député Bélanger livre la prestation de sa vie les 3 et 6 avril 1925 : pendant plus de six heures au total, et jusqu’aux petites heures du matin, il prononce des plaidoyers en faveur des intérêts scolaires des Franco-Ontariens, d’un point de vue légal, historique et politique.

« Même si nous voulons apprendre l’anglais, nous voulons aussi connaître le français! » lance-t-il aux députés, signalant d’ailleurs que d’autres pays permettent des écoles dans la langue de la minorité sur leur territoire, tels que la Belgique ou la Suisse. Son discours vante les vertus pédagogiques de l’enseignement dans la langue maternelle, du droit des parents de décider de l’éducation de leurs progénitures et du statut de la langue française comme langue cofondatrice du pays.

À la fin de sa plaidoirie, Bélanger dépose une résolution à l’Assemblée qui :

1) Protégerait les écoles actuelles et futures de l’Ontario où l’on enseigne en français,

2) Accorderait la formation nécessaire aux instituteurs pour enseigner en français en Ontario.

Le brillant orateur gagne la confiance des membres des deux partis. Des députés anglophones de l’opposition appuient sa résolution. Son discours entre dans la légende!

Création d’une commission d’enquête

Le discours de Bélanger ne laissera personne indifférent et provoquera une prise de conscience au sein du Parti conservateur au pouvoir à l’époque. Le premier ministre (et ministre de l’Instruction publique) Howard Ferguson annonce en octobre 1925 la création de la Commission d’enquête Scott-Merchant-Côté, chargée d’enquêter sur le Règlement 17. Pour plusieurs observateurs c’est une conséquence directe des discours prononcés par M. Bélanger en avril.

Cette commission déposera un rapport en 1927 qui recommandera la mise au rencart du Règlement 17. Le gouvernement adoptera toutes les recommandations de la commission d’enquête, et le Règlement XVII devenant inopérant le 1er novembre 1927.

Réélu aux élections provinciales de 1926, l’élu franco-ontarien restera député jusqu’aux élections de 1929 où il ne se représente pas. Après une pause de cinq ans, où il devient notamment président général de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Ottawa en 1933-1934, il effectue un retour en politique active en étant élu dans le comté voisin de Russell, celui de Prescott dans l’Est ontarien lors des élections de 1934. Il sera réélu aux élections de 1937, 1943 et 1945, avant de prendre sa retraite en 1948.

L’année suivante, il reçoit un doctorat honorifique en droit de l’Université d’Ottawa.

Au moment de recevoir la médaille de la Fidélité française du Conseil de la vie française en Amérique en 1952, le conseil déclare que « la cause franco-ontarienne n’a jamais connu de défenseur plus intrépide ni d’ambassadeur de la pensée française plus convaincu. Le nom d’Aurélien Bélanger ira rejoindre dans l’histoire des revendications scolaires, religieuses et nationales de nos minorités, ceux des plus vénérés chefs de notre histoire. »

Marié à Alida Rochon, il est père de six enfants. Au moment de son décès à Ottawa le 12 février 1953, le quotidien Le Droit écrit en éditorial : « Avec la mort de M. Bélanger, c’est une page de l’histoire franco-ontarienne qui s’envole. »

Ses funérailles auront eu lieu en l’église St-Charles-Borromée à Eastview (Vanier) et son inhumation au Cimetière Notre-Dame d’Ottawa. Malheureusement, son nom n’apparaît pas dans la toponymie de l’Ontario français et ses faits d’armes sont oubliés dans la mémoire collective franco-ontarienne.

* Précisons qu’il n’y a pas de lien de parenté entre Aurélien Bélanger et Mauril Bélanger, député fédéral d’Ottawa-Vanier de 1995 à 2016.

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