Il y a 320 ans, Lamothe-Cadillac fondait Détroit
DÉTROIT – Depuis sa création le 24 juillet 1701 par l’explorateur français jusqu’à nos jours, la cité du Michigan a traversé moult péripéties : conquête britannique puis américaine, émeutes raciales, essor industriel, faillite économique… ONFR+ revient sur les huit dates qui ont forgé le destin de la ville.
1701 : Fondation du fort Pontchartrain
L’idée de fonder une ville à l’Ouest du détroit en 1701 n’est pas venue des autorités françaises. « C’est avant tout une initiative personnelle de l’explorateur Antoine de Lamothe-Cadillac qui veut accumuler de l’argent dans la traite des fourrures et s’accaparer des terres dans la région des Grands Lacs », explique l’historien Guillaume Teasdale.
Ce professeur adjoint au département d’histoire de l’Université de Windsor décrit une région dans laquelle les Français sont déjà implantés depuis une trentaine d’années, occupant des forts qui font office à la fois de garnisons militaires, de postes de traite et de lieux de culte occupés par des missionnaires : « C’est un mélange de diplomatie, d’économie et de religion », résume-t-il, et ce que va faire Cadillac au détroit, avec l’approbation du roi de France et en nouant des alliances avec les autochtones.
1760 : La ville est cédée aux Anglais
L’Occupation française durera près de 60 ans. Avec la défaite de la France dans la guerre de Sept ans, Montréal est cédée aux Britanniques qui envoient alors des troupes au détroit. « Entre-temps, la population s’est accrue des deux côtés de la rivière », explique M. Teasdale. « On compte des milliers de descendants français » quand la ville tombe aux mains des Anglais en 1760, puis des Américains en 1796. »
Le Traité de Jay de 1794 stipule que Détroit devient américaine à compter du 1er juillet 1796. « Les troupes américaines arrivent le 11 juillet et la frontière est créée. Les deux côtés de la rivière sont devenus les juridictions que l’ont connaît aujourd’hui », relate l’historien.
1805 : Un grand incendie ravage la ville
La ville ne cesse de croître jusqu’au grand incendie de 1805 qui détruit son architecture française. « Mis à part quelques objets dans certains musées, il ne reste presque rien du régime français, car c’était des cabines en bois et non de robustes maisons avec fondation en pierre comme au Québec », précise le professeur Teasdale. Après ce désastre, le père Gabriel Richard, pasteur de l’église Sainte-Anne de Détroit, prononcera la fameuse sentence latine Speramus Meliora; Resurget Cineribus (Nous espérons des temps meilleurs; elle renaîtra de ses cendres) qui deviendra la devise de la cité jusqu’à nos jours.
« Détroit est passée au travers de tellement d’obstacles, encore récemment avec le déclin de l’industrie automobile, que les gens s’identifient pleinement à cette devise », relève M. Teasdale.
La ville va alors être complètement reconstruite et son urbanisme repensé pour s’imposer en métropole des Grands Lacs avec de larges rues inspirées de Washington, contruite à la fin des années 1790, elle-même inspirée de Paris.
1903 : Première pierre de l’empire Ford
Au début du 20e siècle, la ville amorce une profonde mutation industrielle. Henri Ford y implante sa première usine automobile. Créée en juin 1903, la Ford Motor Company commercialise ses premiers véhicules dès juillet de la même année. Il faudra toutefois attendre 1908 et l’arrivée du fameux modèle Ford T pour que l’industriel connaisse un succès mondial : 15 millions de voitures seront vendues sur la planète.
Pendant la Première Guerre mondiale, les usines Ford serviront à construire des chars, des avions et des sous-marins. D’autres constructeurs s’implantent à leur tour dans ce qui devient la Motor City : General Motor en 1908 et Chrysler en 1925. Les travailleurs affluent du Sud des États-Unis pour travailler dans ces fabriques, participant à la croissance et la diversité de la ville.
1959 : Création du label Motown
Ce sont ces travailleurs qui ont contribué à l’émergence de l’industrie musicale afro-américaine. L’un d’eux, Berry Gordy, fonde en 1959 le label indépendant Motown, une contraction de Motor Town, en référence à Détroit et son industrie automobile. Cette maison de disques a connu un succès phénoménal, lançant les carrières de Marvin Gaye, Stevie Wonder, Diana Ross ou encore des Jackson Five.
Mélange de soul, de funk et de R’n’B, la musique Motown est devenue un emblème de la ville, exerçant une influence considérable sur la musique noire américaine des années 1960 et 1970 et jouant un rôle d’intégration raciale de la musique populaire.
1967 : Émeutes et tensions raciales
En 1967, une descente policière dans un bar clandestin déclenche pillages, tirs d’armes à feu et incendies dans la ville, alors déclarée en insurrection par le président américain Johnson. Ces deux jours d’émeutes font plus de 40 morts, 460 blessés et provoquent près de 7 200 arrestations. Pour l’historien Guillaume Teasdale, ces tensions raciales plongent leurs racines dans l’Après-Guerre.
« Du jour au lendemain, on ne construisait plus rien. Le gouvernement fédéral a financé la construction d’une autoroute qui a facilité l’expansion des banlieues. Le déclin de Détroit a commencé. Les jeunes de couleur restés en ville n’ont pas pu suivre les emplois dans les banlieues blanches, ce qui a conduit à des tensions raciales à la fin des années 1960. L’économie s’est effondrée et la criminalité a augmenté. La ville ne pouvait plus financer ses écoles publiques et la corruption était courante jusque dans les années 1990. »
2013 : La ville se déclare en faillite
En 2013, au paroxysme de son effondrement économique, Détroit accuse une dette de 18 milliards de dollars. Elle est la plus grande ville américaine à se déclarer en faillite. La déliquescence de son industrie automobile, conjuguée à une hausse de la criminalité, la précipite dans une descente aux enfers dont elle peine à se relever encore aujourd’hui.
2021 : Une lente renaissance
M. Teasdale dépeint une cité qui porte encore les stigmates de 2013 et de 60 ans de déclin. « On a démoli 87 000 maisons abandonnées, cette année », illustre-t-il.
Le centre-ville connaît un essor fulgurant, porté par des investissements dans les technologies, mais « quand on sort du centre-ville, on voit des quartiers complets totalement délabrés, voire dangereux, des maisons qui tombent en morceaux, sans éclairage public. Il y a beaucoup de bons emplois, mais des quartiers résidentiels extrêmement pauvres. La ville reste très dysfonctionnelle et il faudra plusieurs décennies pour redresser son économie », constate M. Teasdale qui y voit la conséquence d’un « cocktail dangereux » : celui de l’extrême pauvreté et de l’accès facile aux armes à feu.
L’historien note toutefois un indicateur positif : une grande chaîne d’épicerie a récemment ouvert une succursale à l’intérieur de la ville, ce qui n’était pas arrivé depuis très longtemps.
« C’est un signe encourageant. Toutes les épiceries avaient quitté la ville, car c’était devenu trop dangereux pour leurs employés. Pour se procurer de la nourriture fraîche, il fallait aller à l’extérieur de la ville. »