Immigration francophone : inquiétudes et critiques
TORONTO – Des acteurs francophones travaillant à accueillir les immigrants de langue française en milieu minoritaire sont inquiets et très critiques face à la stratégie du Canada. Ils se sont faits entendre lors de la 10e Journée de réflexion sur l’immigration francophone, mercredi 2 mars, à Toronto.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
« La quasi-totalité des réfugiés syriens francophones n’ont pas été référés aux organismes francophones. Et ils vont s’assimiler, c’est dramatique », a dénoncé Georges Bahaya, du Centre d’accueil et d’établissement Alberta-Nord.
Son intervention lors de l’événement a été chaudement applaudie par de nombreux autres intervenants francophones en immigration, d’autant que le gouvernement fédéral n’a toujours pas précisé de stratégie pour remédier à la situation.
« Le fédéral a la responsabilité de nous soutenir. Les immigrants francophones arrivent ici et ils ne sont jamais mis en lien avec nos communautés francophones. Les organismes anglophones ne sont pas connectés à nous », a-t-il expliqué.
Une position partagée par la responsable de l’immigration du Centre francophone de Toronto, Ngalula Kalunda.
« On vient de recevoir notre 1ère famille syrienne. Mais elle ne nous a pas été référée, on l’a rencontrée par hasard dans une mosquée. Les autres réfugiés francophones vont se retrouver dans le système anglophone et on va les perdre et leurs enfants iront dans des écoles anglophones », soutient-elle.
Selon les chiffres obtenus par #ONfr en date du 17 janvier dernier, ils étaient 16 personnes en Alberta, 5 en Colombie-Britannique et 41 en Ontario à déclarer avoir une connaissance du français à leur arrivée au Canada. Autant de candidats potentiellement perdus pour les communautés francophones en contexte minoritaire dans ces provinces.
Mme Kalunda répète que les immigrants doivent plus que jamais obtenir une trousse d’accueil en français à leur arrivée à l’aéroport et non pas seulement quelques dépliants dans une trousse en anglais.
Le gouvernement admet des lacunes importantes.
« On est conscient qu’il y a un lien manquant entre les immigrants francophones et les fournisseurs de services en français. On tente de trouver des mesures », a soutenu Jean Viel, d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Les intervenants qui agissent au sein même de la structure gouvernementale manquent de sensibilité au fait français, admet-il.
« On tente de trouver des mesures. On veut conscientiser des acteurs qui travaillent avec la majorité anglophone. Il faut aussi conscientiser les fonctionnaires de la vitalité des communautés francophones minoritaires », explique M. Viel.
Critères mal adaptés
Le Canada a des critères qui favorisent les immigrants francophones de pays développés et européens, selon plusieurs observateurs. Les documents exigés par le gouvernement ne sont tout simplement pas disponibles dans plusieurs pays africains, ont clamé plusieurs représentants d’organismes spécialisés en immigration.
« Les critères du Canada ne sont pas adaptés à la réalité, surtout pour les immigrants d’Afrique. L’Ontario n’a donc pas non plus accès à des candidats qui pourraient permettre d’atteindre son objectif », selon Brigitte Chatué, consultante en immigration et membre du conseil de réglementation des consultants en immigration.
Elle affirme que plusieurs candidats potentiels peinent à fournir les preuves d’emplois exigées par le Canada et dans le format voulu.
« Je suis convaincu qu’on ne va pas atteindre nos objectifs. Le Québec a ses programmes et c’est plus intéressant pour les francophones d’utiliser ces programmes plutôt que ceux qui doivent répondre aux critères du fédéral », ajoute Mme Chatué.
Une représentante du ministère des Affaires civiques, de l’Immigration et du Commerce international, Jennifer Gray, a répondu à cette intervenante lors de l’événement torontois.
« On cible un certain niveau de profession et d’expérience pour répondre au marché du travail. Pour répondre aux besoins économiques de la province, on vise certaines clientèles. Je comprends les difficultés des gens de l’étranger pour pouvoir prouver leur expérience, mais on peut difficilement changer cela car ça dépend du fédéral », a-t-elle expliqué.
Il demeure qu’un bon nombre d’immigrants francophones viennent d’Afrique. Bien plus pourraient venir si les critères étaient plus adaptés, arguent les spécialistes en immigration provenant de différents organismes.