Joé Fournier ou le faiseur de talents du ballon rond
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
OTTAWA – Considéré par beaucoup d’Ontariens comme un véritable dénicheur de pépites s’agissant du ballon rond, à l’instar de Vanessa Gilles ou de Jonathan David, tous deux stars de la Ligue 1 française, Joé Fournier est à l’origine du programme de soccer de l’École secondaire publique Louis-Riel d’Ottawa, laquelle compte actuellement huit joueurs professionnels passés sur ses bancs. Zoom sur son parcours, sa vision du jeu, des jeux, et son pronostic pour la qualification de l’équipe nationale masculine canadienne au plus grand événement sportif de la planète : la coupe du monde de soccer.
« De par là où vous êtes né, on ne peut pas dire que vous êtes tombé dans le chaudron lorsque vous étiez petit! Comment se fait-il que vous ayez développé une telle passion pour le soccer?
Je suis né dans l’Est ontarien dans une région qui n’est pas apte à aimer ou à développer une passion pour ce sport. Je me rappelle par exemple qu’il y avait zéro foot à la télé. Le premier match que j’ai vu à la télé, c’était le Canada contre la France au mondial 1986, et j’avais déjà 13 ans à l’époque. Un autre exemple parlant est celui de mon père. C’est moi qui lui ai fait découvrir le soccer, alors que ça devrait être l’inverse.
Si vous lui demandez aujourd’hui de regarder un match des Canadiens de Montréal ou un match de foot, je ne suis pas sûr qu’il choisirait le hockey. C’est dans ce milieu que le soccer est devenu très tôt mon sport favori, parce que j’ai commencé à en jouer à l’âge de six ans. Il m’arrivait souvent d’aller à la bibliothèque pour consulter des livres ou des revues qui avaient un rapport avec ce sport. Mais je n’arrive toujours pas à m’expliquer pourquoi j’ai développé cette passion alors qu’aucun facteur ne m’y a poussé, à part peut-être les gênes italiennes dont j’ai hérité du côté de ma grand-mère maternelle (Rires).
Est-il vrai que vous avez eu votre premier poste d’entraîneur à 16 ans seulement?
C’est vrai! J’étais en 11e année de l’école secondaire. J’ai entraîné les jeunes qui avaient un ou deux ans de moins que moi et je jouais en même temps en équipe senior. C’est mon enseignant d’éducation physique qui m’avait donné ce poste parce qu’il avait vu que j’étais vraiment passionné. Il faut dire que j’étais un peu différent de mes amis et coéquipiers. Il m’arrivait par exemple pendant l’hiver, lorsque tout le monde mangeait à l’heure du dîner, d’aller taper du ballon contre le mur d’une autre école. Je parle souvent maintenant à mes élèves pour questionner leur passion et je leur dis que je n’avais pas un huitième de leur talent, mais j’étais passionné.
Comment avez-vous intégré l’École secondaire publique Louis-Riel dont vous êtes actuellement le directeur des programmes de soccer?
J’ai commencé à enseigner à Louis-Riel en septembre 2005 avec la création du programme sport-étude. À l’époque, la direction de l’école avait déjà l’intention de créer un programme de soccer. C’était déjà annoncé, mais il n’y avait pas encore de contenu ni de personnes qui y travaillent. On peut dire que je suis tombé au bon endroit, au bon moment. J’ai donc participé grandement à cette structuration. Ce qui était incroyable, c’est que dès le début, les responsables de l’école m’ont donné carte blanche, surtout à cette période où les entraîneurs à temps plein en Ontario se comptaient sur les doigts des deux mains. J’étais vraiment chanceux dans le sens où j’avais réalisé mon rêve.
Pourtant le rêve est loin de s’être arrêté là. La belle aventure ne faisait que commencer avec la découverte de quelques pépites comme Vanessa Gilles ou Jonathan David, pour ne citer que ces deux-là. Quelle est votre recette pour fabriquer des stars de foot de cet acabit?
Cette question me fait rire et me rend mal à l’aise à la fois, parce que je n’ai pas de recette et je crois qu’il n’y en a pas, de recette magique. Que ça soit Jonathan ou Vanessa ou d’autres, ce sont eux-mêmes qui se sont créés. Tout ce que nous offrons dans nos programmes c’est de préparer le terrain, dans la mesure où on essaie de créer un environnement favorable qui va permettre à ces jeunes de s’épanouir et de découvrir leur plein potentiel et leur talent.
Doit-on comprendre par là que le talent d’un joueur de soccer qui perce est avant tout inné?
Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Le talent n’est pas inné, mais c’est le joueur qui est le plus décidé et le plus motivé qui va y arriver, et ça, aucun programme ou un entraîneur particulier dans le monde ne pourra l’enseigner. Nous, ce qu’on peut faire à notre niveau c’est de mettre à disposition des outils à ces jeunes pour qu’ils puissent eux-mêmes ausculter le degré de leur passion et de leur détermination à réussir.
Est-ce pour cela que vous dispensez dans vos programmes des cours de psychologie et de yoga?
Absolument. C’est dans cette atmosphère propice à l’épanouissement de l’élève qu’on veut créer que ces cours s’inscrivent. On a un psychologue sportif qui travaille avec nous qui a joué au soccer au haut niveau, comme notre nutritionniste d’ailleurs. On a aussi un yogi qui travaille spécifiquement avec l’école.
Ce ne sont pas juste des gens qui viennent et qui repartent. Ce sont des personnes qui ont une appartenance au programme et pour moi, ça, c’est très important pour établir une relation stable et durable avec l’étudiant. On a entre 75 et 100 élèves qui fréquentent nos programmes. On est un petit centre de formation, mais on concentre nos efforts sur ce qui nous semble être essentiel.
Quelle sera la prochaine star francophone qui émergera de vos programmes?
C’est difficile à dire. Il y a toujours des joueurs qui se démarquent des autres, mais je serais menteur si je vous dis que je peux identifier la prochaine star francophone. Prenons l’exemple de Jonathan David, je savais qu’il se démarquait des autres, mais aller jusqu’à dire qu’il allait devenir quelques années plus tard le transfert le plus cher pour un joueur canadien, ça je ne l’avais jamais imaginé. Par contre, lui l’a sûrement imaginé et a travaillé dur pour que ça se réalise.
Dites-vous cela pour ne pas mettre la pression sur le ou les athlètes en question?
Dans le mille (Rires).
Ne devrait-on pas aller également chercher les futures stars francophones du soccer au sein de l’immigration africaine, un peu comme le font les clubs en Europe, surtout que les immigrés africains sont les premiers dans la province en termes de provenance continentale?
Tout à fait. On peut même étendre cette vision à l’ensemble des immigrants de la province. C’est important de créer des programmes de soccer qui sont inclusifs et pas seulement au niveau de la « race », mais aussi économiquement. Vous savez, l’un des plus grands problèmes que rencontre le soccer canadien en ce moment c’est les frais associés à ce sport. Ils sont trop dispendieux et limitent l’accès à ce sport magnifique. Si le vrai potentiel de ce pays n’est pas exploité aujourd’hui, c’est en grande partie à cause de l’argent, et les choses vont en empirant à ce niveau. Mon rêve est d’offrir un programme complètement gratuit où les jeunes seraient acceptés avec le talent pour seul critère d’admission, sans aucune barrière financière.
L’équipe nationale masculine canadienne dispute en ce moment les éliminatoires pour la coupe du monde qui aura lieu au Qatar en 2022. Quelles sont, selon vous, ses chances de se qualifier à cette compétition pour la deuxième fois de l’histoire?
Elles sont très élevées. Selon des statistiques non fondées, je les estimerais à 70 % (Rires). Plus sérieusement, la prochaine série de matchs qui aura lieu en janvier prochain va être décisive pour nous, avec un match à Hamilton face aux États-Unis qui va être très difficile et ensuite deux matchs à l’extérieur. Mais je crois fermement à cette qualification.
Si les dieux du foot vous entendent et que l’équipe accède au Mondial, est-ce que votre poulain, Jonathan David sera de l’aventure?
À 100 %, et titulaire en plus. Il a joué tous les matchs de qualification jusqu’à présent. Je ne vois pas pourquoi le sélectionneur le mettrait sur le banc de touche pendant la coupe du monde. En plus, l’un des entraîneurs est mon ami, je lui donne donc mon approbation.
Avez-vous caressé un jour le rêve d’entraîner l’équipe nationale pour vivre de tels moments?
Oh que oui!
Comment imaginez-vous votre retraite?
Dans le foot. »
LES DATES-CLÉS DE JOÉ FOURNIER :
1973 : Naissance à Saint-Bernardin dans l’Est ontarien
1986 : Premier match de soccer suivi à la tété
1989 : Premier poste d’entraîneur de soccer
1997 : Premier poste d’enseignant à l’École secondaire de Plantagenet
2005 : Embauche à l’École secondaire publique Louis-Riel et création du programme Sport-Études Soccer
2021 : Vanessa Gilles remporte les Jeux olympiques de Tokyo et Jonathan David celui de la Ligue 1 française
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.