Kosovo dans la Francophonie : des retombées surprenantes
PRISTINA (KOSOVO) – Même si le Kosovo n’est pas un pays francophone, il a pris l’étonnante décision de se joindre à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). D’abord motivé par des motifs stratégiques, le Kosovo s’investit aujourd’hui pleinement dans l’institution. Les retombées sont nombreuses, a pu constater sur place notre journaliste Étienne Fortin-Gauthier.
La scène a de quoi surprendre : dans une salle de réunion d’un des immeubles du gouvernement kosovar, au cœur de Pristina, une discussion animée est en cours. À l’intérieur, les trois hauts fonctionnaires discutent… en français.
« Oui, on est plusieurs à parler français ici. Là, c’est un des conseillers en affaires étrangères, alors que la dame qui est avec lui est la future ambassadrice du Kosovo en Italie », explique Aromë Demiri, haute-fonctionnaire pour le Conseil de l’Europe et une des responsables de la Francophonie.
Son français impeccable, elle raconte l’avoir appris dans le sous-sol de la maison familiale.
« De 1995 à 1998, je suivais les cours de l’Université parallèle du Kosovo… À cause des tensions, on devait étudier à la maison », se rappelle-t-elle.
Il s’agissait-là d’une réponse aux obstacles du dictateur serbe Slobodan Milosevic pour nuire à l’éducation de la minorité albanaise, dont elle fait partie.
Le Kosovo affirme compter 360 000 citoyens maîtrisant le français. Le chiffre inclut cependant les expatriés kosovars qui habitent dans des pays francophones. Des dizaines de milliers de citoyens ont quitté le pays lors de la guerre de la fin des années 90. Il n’y a pas de données confirmées sur le nombre de locuteurs du français au Kosovo même.
Aromë Demiri rappelle que les intellectuels de cette région des Balkans ont toujours été francophiles et influencés par les auteurs et philosophes français. Mais à cette curiosité passée s’ajoutent aujourd’hui des intérêts stratégiques et économiques.
D’abord, un positionnement stratégique
Le Kosovo est encore aujourd’hui en manque de reconnaissance. Il est reconnu par seulement 108 pays sur 195 dans le monde. Le Canada le reconnaît depuis 2008, soit dès son indépendance.
L’adhésion à l’OIF permet au Kosovo de siéger dans cette organisation internationale comme n’importe quel autre pays. C’est aussi un forum supplémentaire pour tenter d’influencer les pays qui ne le reconnaissent toujours pas.
« On a fait beaucoup de rendez-vous bilatéraux avec des états qui sont membres de l’OIF. On peut faire du lobbying pour trouver de nouveaux États qui vont reconnaître le Kosovo », affirme Mme Demiri.
La directrice de l’Alliance française au Kosovo offre une perspective complémentaire.
« Dans le cas du Kosovo, le pays essaye de se rapprocher de l’Union européenne pour en devenir membre. C’est une décision stratégique intéressante, car le français est une langue importante de l’Europe. C’est aussi la langue de la Cour européenne de justice », affirme Anne-Sophie Verrier.
D’observateur à membre associé
Le Kosovo est devenu membre observateur de l’OIF en 2014.
« Nous avions une détermination politique de promouvoir la culture francophone et la paix. Il y avait aussi des demandes citoyennes en ce sens », affirme Aromë Demiri.
En 2018, le Kosovo va encore plus loin et devient membre associé de l’organisation. Un changement qui a un coût : 32 000 $ par an.
« Comme observateur, ce n’était pas assez profitable pour atteindre nos objectifs. Nous étions très engagés et nous avons fait savoir à l’OIF que nous méritions un statut associé. La cotisation comme membre associé est plus élevée, mais nous avons aussi accès à de nombreux programmes qui sont grandement financés par l’OIF », ajoute-t-elle.
Des fonctionnaires apprennent le français
À la suite de son changement de statut, le Kosovo a pu lancer l’« Initiative francophone nationale », qui vise à franciser une partie de la fonction publique.
Le programme de quatre ans permet annuellement à des dizaines de fonctionnaires du Kosovo de suivre des cours gratuits de français. L’OIF assume 50 % des coûts du programme, révèle Aromë Demiri.
L’Alliance française est partenaire de cette initiative. Anne-Sophie Verrier affirme que l’apprentissage du français n’est pas inutile pour la fonction publique kosovar.
« Il y a des possibilités d’échanges avec les pays de la Francophonie pour la formation des fonctionnaires, l’échange de bonnes pratiques… et ça se fait beaucoup en français, notamment à l’École nationale d’administration publique de Paris », dit-elle.
Plus d’écoles enseignent le français
Dans un pays où le chômage chez les jeunes atteints 50 %, le français constitue l’espoir d’une vie meilleure. Soit au pays ou ailleurs dans les pays francophones. Le français a déjà été la langue étrangère la plus apprise, il est aujourd’hui dépassé par l’anglais et l’allemand.
Mais il y a un regain d’intérêt, constate Anne-Sophie Verrier.
« La présence du Kosovo dans la Francophonie nous aide énormément. C’est un argument de vente redoutable. Nous pouvons dire aux gens qu’il y a un tas de projets, de bourses et de programmes qui sont maintenant accessibles aux citoyens », affirme-t-elle.
Des dizaines d’écoles enseignent le français aux élèves partout au pays. À Pristina, il y a quatre écoles publiques qui enseignent dorénavant la langue française, cette année, comparativement à une seule l’an dernier.
Les chercheurs et étudiants s’y mettent
Trois universités du Kosovo en ont aussi profité pour joindre l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). À titre comparatif, l’organisme compte aussi trois membres en Ontario, malgré la présence d’un nombre beaucoup plus important de francophones et de francophiles dans la province.
Mais dans cette région du monde, l’adhésion à l’AUF semble être un atout majeur.
« C’est une ouverture sur le monde. Les trois universités du Kosovo sont maintenant membres du plus important réseau universitaire de la planète, avec 1 000 universités. Elles développent des projets communs et peuvent lancer des réseaux de chercheurs internationaux. Il y a une possibilité d’échanges d’expertises, souvent sans aucun frais », affirme le directeur régional de l’AUF, Mohamed Ketata.
« Au Kosovo, il y a au moins un millier de jeunes qui étudient au moins partiellement en français. Le recteur de l’Université de Pristina est un francophile convaincu qui nous aide énormément », souligne-t-il.
La francophonie pour rassembler la jeunesse
La Francophonie se targue d’être un acteur d’unité et de paix. Il le prouve au Kosovo, affirme Aromë Demiri. Dans une région où les tensions ethniques demeurent importantes, l’OIF a organisé en octobre un forum régional pour la jeunesse.
« Les jeunes d’Europe centrale et orientale ont pu présenter chez nous des projets liés à l’environnement et aux technologies vertes », dit-elle.
Encore une fois, l’OIF a assumé une partie de la facture de cet événement qui a notamment permis la rencontre de jeunes Serbes et Albanais du Kosovo, qui se fréquentent peu.