Koubra Haggar, l’exception qui veut devenir la norme
[LA RENCONTRE D’ONFR]
HAMILTON — Vice-présidente de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) jusqu’à ce dimanche, présidente du Regroupement des élèves conseillers francophones de l’Ontario (RECFO), membre du Conseil des gouverneurs de l’Université de l’Ontario français (UOF), élève conseillère au Conseil scolaire francophone Viamonde ou encore membre du Model City Hall de sa ville natale d’Hamilton… Autant de titres que cumule Koubra Haggar. Son autre cumul est, lui, identitaire… Femme. Jeune. Noire. Musulmane. Francophone en milieu minoritaire. Autant d’étiquettes que la jeune femme engagée arbore fièrement. Elle espère être la voix des différentes communautés dont elle est issue et qui sont, selon elle, sous-représentées, et rêve d’un jour où son genre, son voile ou sa couleur ne seront plus exceptionnels dans le paysage politique. Koubra signifie « grand » en arabe, et c’est comme ça qu’elle fait les choses. Rencontre.
ROZENN NICOLLE
rnicolle@tfo.org | @Rozenn_TFO
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager dans la francophonie ici à Hamilton?
Depuis ma maternelle, j’ai toujours été confrontée à la francophonie. Ici, dans le sud de l’Ontario, il y a toujours de la difficulté à parler en français à l’école, les élèves préfèrent parler en anglais entre eux, même des fois avec les enseignants, ou dans les corridors. C’était un peu comme ça pour moi aussi. Je n’avais pas nécessairement un problème à parler en français, mais en même temps je ne faisais pas trop l’effort de parler la langue avec mes amis. Mais arrivée en septième année, à l’école secondaire Georges-P.-Vanier, j’ai un peu découvert ce que c’était qu’être francophone en milieu minoritaire, être francophone à Hamilton, être francophone en Ontario, et j’ai commencé à réaliser l’importance de la langue, de mon identité francophone.
Arrivée en dixième année, je voulais vraiment m’impliquer au sein de mon école. Je n’ai pas commencé avec la communauté francophone, mais avec ma communauté à Hamilton, et j’ai vu l’importance d’être une personne qui contribue à la communauté, et lorsque j’ai vu que je pouvais m’impliquer au sein de la communauté francophone, j’ai compris que je pouvais faire une différence. C’est de là que j’ai découvert ma passion pour la politique, ma passion pour l’inclusion des jeunes dans les processus décisionnels, mais aussi ma passion pour la langue française en tant que telle.
Vous êtes la seule représentante des étudiants sur le Conseil des gouverneurs de l’Université de l’Ontario français. Pourquoi est-ce important d’avoir cette voix-là au sein de ce Conseil formé, à votre exception près, uniquement d’« adultes »?
Finalement, à l’Université, la majorité des personnes qui vont étudier là sont des jeunes, donc c’est important d’avoir une personne qui peut donner la perspective de notre réalité en tant que jeune dans le centre-sud-ouest de l’Ontario. C’est vraiment être la voix de ces élèves-là, de ce qu’ils ont à dire par rapport aux dossiers en général, ce qu’ils veulent voir concernant les cours, les professeurs, l’édifice, l’emplacement, toutes les choses qui seront offertes. Pour moi, c’est être le lien entre les jeunes et la table des gouverneurs.
Les Jeux franco-ontariens se tiennent cette fin de semaine. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu et nous dire ce que ça vous évoque?
C’est le plus grand rassemblement de jeunes ontariens francophones qui a lieu chaque année, la longue fin de semaine de mai. Les étudiants choisissent un volet et ils se font former sur ce volet, c’est vraiment un événement culturel, il y a beaucoup de musique, des activités, où les jeunes peuvent réseauter et se faire des amis au sein de la communauté franco-ontarienne. Cette année, c’est la 25e édition donc c’est vraiment quelque chose de grand. Les Jeux franco-ontariens ont été mon premier événement FESFO, c’est vraiment là où j’ai été exposée à la communauté, où j’ai pu discuter avec des jeunes francophones de partout en Ontario de nos réalités respectives.
Ces premiers Jeux, ça a été le déclic pour vous?
Oui, je venais de me faire élire au conseil scolaire francophone Viamonde, donc dans ma communauté, mais c’est aux Jeux que j’ai vraiment découvert la communauté franco-ontarienne et c’est même là que je me suis fait élire pour la première fois au conseil de représentation de la FESFO, car l’Assemblée générale annuelle se tient en même temps que les Jeux franco-ontariens.
Vous êtes une jeune femme, vous appartenez à une minorité visible, vous êtes de confession musulmane. Vous êtes également francophone dans un milieu anglophone. Finalement, vous représentez plusieurs différentes minorités. Comment cela vous affecte-t-il?
C’est vraiment ce qui me pousse à m’engager, à prendre tous ces rôles et à m’impliquer au sein des différents organismes, différentes communautés : le fait que je peux porter tellement de chapeaux, que je peux m’identifier à tellement de choses. La représentation des minorités me tient vraiment à cœur et le fait que je peux les représenter et en même temps en faire partie me donne l’envie de continuer. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit des personnes qui me ressemblent s’impliquer non seulement dans la communauté franco-ontarienne, mais aussi en politique en général. On ne voit pas trop de femmes noires, on ne voit pas trop de femmes musulmanes.
Comment les gens réagissent-ils à cela?
Des fois, je reçois des regards, les gens sont très impressionnés. Mais on peut enlever ça, on peut enlever cet effet « wow »! Je veux vraiment qu’un jour on considère ça comme étant la norme. Je veux enlever l’idée que la porte-parole de la francophonie ontarienne est une personne blanche, une personne qui a des générations et des générations de famille ici en Ontario. La province est multiculturelle, mais dans les positions de leadership, je trouve quand même que c’est souvent un seul type de personne qui est représenté. Il y a des barrières pour des personnes qui appartiennent aux minorités, elles se retrouvent à faire la même chose ou sont mises de côté.
Est-ce que vous avez déjà été confrontée à des problèmes liés à un ou plusieurs aspects de votre identité?
En tant que jeune femme noire et musulmane, il y a toujours des instants où les gens me sous-estiment. Les gens ont vraiment une idée préconçue que je suis moins capable, ou que je peux moins parler en français. Ça se voit. Les gens ont tendance à aller parler à d’autres personnes, à parler à mes collègues plutôt qu’à moi. L’année passée, j’ai participé aux Jeux de la francophonie canadienne qui se tenaient à Moncton. Lorsque j’étais là, j’ai participé au nom de l’Ontario dans le volet « art oratoire » et j’ai même gagné la première place. Mais là, les gens avaient toujours tendance à me parler en anglais, même quand je répondais en français et même à un événement de la francophonie! À un moment, mes coéquipiers devaient se déplacer et je devais aller avec eux, et une dame m’a arrêtée et m’a dit, en anglais, que je devais attendre ici. J’ai répété que c’était mon équipe et que je devais aller avec eux vers les autobus, là où seuls les participants peuvent aller. Il a fallu que je demande à quelqu’un de la FESFO de lui dire de me laisser passer, car elle ne croyait pas que je faisais partie du groupe. Il y a des instants comme ça qui arrivent. C’est triste à dire, mais maintenant je m’y attends un peu. Je ne suis pas exactement certaine de la cause, si c’est parce que je suis noire, ou que je porte le voile (rires). Mais je ne blâme pas la personne, je blâme plus la société. Et je prends ça comme des opportunités d’éduquer les gens.
Vous quittez le secondaire très prochainement. Quels rôles allez-vous abandonner et conserver, et qu’est-ce qui vous attend pour la suite?
L’année prochaine je serai à l’Université de Toronto en sciences de la vie et j’aimerais continuer dans cette voie et j’espère devenir médecin, chirurgienne cardiothoracique. De tous mes rôles, je ne vais conserver que celui de membre du conseil des gouverneurs de l’UOF. Mais j’aimerais quand même continuer à m’impliquer au sein de la politique et de la justice sociale. Je pense que c’est dans la nature de mes origines. Je suis originaire du Tchad, d’une tribu qui se situe de part et d’autre de la frontière avec le Soudan et qui s’appelle Zaghawa. C’est une tribu très connectée et très rapprochée, et le fait d’avoir été élevée avec les valeurs d’aider son prochain, d’aider son voisin, de rassembler la communauté autour d’un lien de gentillesse et d’entraide, ça m’a vraiment poussée à être une personne impliquée.
Qu’est-ce que vous retenez de tous ces chapeaux que vous avez portés?
Premièrement, que ma passion pour la francophonie en Ontario s’est amplifiée! Avant je voulais m’impliquer au sein de ma communauté, j’aime ça être là pour aider, c’était mon but initial : être là pour amener du changement. Mais en faisant cela, j’ai vraiment découvert ma passion pour la francophonie. Et la deuxième chose c’est ma passion pour l’inclusion des jeunes dans les processus décisionnels, c’est ce qui me motive. Enfin, la rencontre et la visibilité des réalités différentes des jeunes franco-ontariens.
LES DATES-CLÉS DE KOUBRA HAGGAR :
2000 : Naissance à Hamilton, Ontario
2009-2011 : Déménagement en Égypte puis au Cameroun
2011 : Retour en Ontario
2016 : Élection au conseil scolaire francophone Viamonde et élection au conseil de représentation de la FESFO pour le s Sud de l’Ontario
2017 : Élection en tant que vice-présidente de la FESFO, élection en tant que présidente du RECFO et nomination au Conseil des gouverneurs de l’UOF
Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.