La petite enfance, au cœur des priorités des francophones
OTTAWA – Trouver une place en garderie francophone peut s’avérer un parcours du combattant dans bien des provinces et territoires. Pour la Commission nationale des parents francophones (CNPF), il est donc prioritaire que le prochain gouvernement s’attaque aux lacunes du système actuel.
Marie Perron a fait un choix radical afin de permettre à ses trois enfants d’aller à la garderie en français.
« J’ai la chance de faire un travail que je peux exercer partout. J’ai donc choisi de vivre là où se trouvent des écoles francophones et où mes trois enfants ont pu aller en garderie et en prématernelle en français. Mais je sais qu’aujourd’hui, il y a une liste d’attente de deux ans », explique cette chiropraticienne de Port Coquitlam, en Colombie-Britannique.
Ce choix n’a pas été facile et lui a nécessité de sacrifier pendant un temps sa carrière professionnelle. De par son travail, Mme Perron peut parfaitement résumer le dilemme de bon nombre de parents, dans sa province comme ailleurs.
« Je rencontre beaucoup de parents francophones. Et quand je parle avec eux, ils me disent souvent que les services de garde sont trop loin, qu’il n’y a pas de place… Une fois qu’ils ont mis leurs enfants dans une garderie en anglais, ils sont réticents à les mettre à l’école en français. Ils ont peur que leur niveau ne soit pas suffisant, qu’ils perdent leurs amis, de l’éloignement géographique… »
Cette réalité, le directeur général du CNPF, Jean-Luc Racine la connaît bien. Et pour lui, elle n’est pas propre à la Colombie-Britannique.
« Il y a un besoin criant en matière de petite enfance! Actuellement, les services sont à géométrie variable, selon les provinces. On a des communautés où il y a plus de jeunes sur les listes d’attente qu’il n’y en a dans les garderies! »
L’Ontario ne serait pas non plus à labri de ce problème, insiste-t-il.
« Avec les coupures du gouvernement Ford, il pourrait y avoir un impact. »
Selon le rapport global sur la petite enfance publié cette semaine par le Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE Canada), plus de 9 500 enfants francophones sont actuellement sur liste d’attente pour une place en garderie, par manque d’infrastructures et pénurie de main d’œuvre et plus de 2 500 travailleurs qualifiés francophones font défaut pour combler les besoins.
Lutter contre l’assimilation
La CNPF a donc décidé de concentrer ses efforts sur cet enjeu pendant la campagne fédérale.
« C’est la première chose à faire pour protéger le français. On perd beaucoup d’enfants qui, une fois inscrits à la garderie en anglais, restent dans le système anglophone. C’est le premier processus qui mène à l’assimilation et c’est donc vital pour les communautés francophones de s’attaquer à ce problème », explique M. Racine.
En juin 2017, le gouvernement libéral annonçait une entente multilatérale prévoyant un transfert d’une somme de 7,5 milliards de dollars sur 11 ans vers les provinces et les territoires pour améliorer les services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. S’il salue cet effort, M. Racine demande à Ottawa plus d’exigences.
« Ce que nous demandons, c’est qu’une clause linguistique soit systématiquement ajoutée aux ententes bilatérales signées avec chaque province. Actuellement, il n’y a aucun engagement ferme. On veut des clauses avec des cibles et des montants précis. »
Des revendications de longue date
Ce n’est pas la première fois que l’importance du secteur de la petite enfance pour les francophones en milieu minoritaire est évoquée. Dans un rapport publié en 2016, l’ancien commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, demandait que le développement de la petite enfance dans les communautés francophones soit une priorité du gouvernement fédéral.
« Des services accessibles et de qualité aident non seulement les parents francophones à transmettre leur langue à leurs enfants, mais ils favorisent leur transition vers l’école de langue française et le développement d’un sentiment d’appartenance à la communauté », disait-il, pointant du doigt le manque de ressources, la pénurie et les difficultés de formation du personnel, ainsi que la fragmentation et la faible qualité des services offerts.
Ce que proposent les partis
Dans les programmes électoraux déjà disponibles, le Parti libéral du Canada (PLC) promet plus de soutien aux éducateurs de la petite enfance, en baissant leurs frais de scolarité et en les aidant à suivre des formations complémentaires. Le parti de Justin Trudeau annonce également que seront mieux dénombrés les ayants droit, ce qui permettrait aux provinces de mieux répondre aux besoins. Les libéraux parlent aussi de développer avec les provinces un service de garde d’enfants pancanadien.
Cette promesse se retrouve également dans les programmes des néo-démocrates et du Parti vert du Canada. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) promet des services de garde abordables et accessibles à toutes les familles et consacrera, s’il est élu, un milliard de dollars en 2020 pour le secteur. Une somme qui augmentera ensuite chaque année.
De son côté, le Parti vert du Canada (PVC), outre un plan universel pour la garde d’enfants, vise un financement fédéral pour les services de garde correspondant à 1 % du Produit intérieur brut annuel du Canada. Les verts veulent aussi éliminer la Taxe sur les produits et services sur les frais de construction associés à la création de places supplémentaires de garderie.
« Il faudrait aussi que le fédéral prenne le leadership pour régler le problème de la reconnaissance des diplômes, notamment entre les provinces », estime Mme Perron.
Voir au-delà
La Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF) juge que c’est tout le domaine de l’éducation qui doit être prioritaire.
« La petite enfance, on en parle de plus en plus depuis quatre ans, car c’est crucial. Mais ce que nous voulons, c’est que l’éducation soit au cœur du prochain Plan d’action pour les langues officielles et que le fédéral augmente ses investissements. Il y a eu des argents supplémentaires dans la récente entente entre le fédéral et les provinces et territoires sur l’éducation, mais c’est insuffisant pour répondre aux problèmes », explique le président de l’organisme, Mario Pelletier, qui veut également travailler avec le fédéral pour éviter d’avoir forcément recours aux tribunaux pour défendre des acquis.