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La rentrée scolaire qui arrive à grands pas fait craindre aux professeurs et experts sur le possible rattrapage qu’auront à effectuer les enseignants auprès des élèves ontariens. Ces derniers mettront les pieds dans les salles de classe pour la première fois depuis six mois.

Autant les enseignants que les parents et élèves ne cachent pas que les cours en ligne ont été très difficiles. Un papier de deux chercheuses de l’organisation Northwest Évaluation Association (NWEA), de Portland en Oregon, dresse un constat sombre pour les élèves à la rentrée. Selon les expertes Megan Kuhfeld et Beth Tarasawa, les élèves auront seulement assimilé 70 % des nouveaux acquis en lecture.

C’est encore pire en mathématiques, qui sera la seule matière en Ontario à connaître des changements à son curriculum pour la rentrée 2020-2021.

« En mathématiques, les élèves sont susceptibles de montrer des gains d’apprentissage beaucoup plus petits, revenant avec moins de 50 % et dans certaines années, près d’un an de retard sur ce que nous observerions dans des conditions normales », peut-on lire dans le rapport américain.

Est-ce que ce possible rattrapage inquiète les professeurs?

« Quand tu es convaincu que ça va arriver, c’est plus une inquiétude, c’est certain que ça va se produire. Je connais les enseignants de 7e année de mon école et je sais qu’ils sont super compétents, mais ils ont fait le travail qu’ils ont pu faire avec ce qu’ils avaient. Les élèves ne seront pas outillés autant qu’ils l’étaient par le passé », confie un enseignant en 8e année d’une école du Nord de l’Ontario ayant requis l’anonymat.

Les professeurs croient qu’il faudra couper dans le gras dans certaines matières dans le but de franchir la ligne d’arrivée à la fin de l’année.

« Je l’ai vu (le rattrapage) tout de suite en lecture. Le niveau était affreux, les élèves ont baissé, j’anticipe définitivement beaucoup de retour à la base et de refaire beaucoup de matières pour les adapter à la réalité. Je suis déjà mentalement prête pour ça. On va les prendre où ils sont à ce moment et les guider du mieux qu’on peut », affirme une enseignante en seconde année ayant requis l’anonymat.

Plusieurs craignent de faire du cas par cas, car il existera une sorte de déséquilibre entre chaque étudiant et ses collègues de classes.

« Chaque famille a vécu le confinement et la pandémie de façon différente. J’ai fait le plus que je pouvais avec mes leçons, mais ça revient aux parents et à l’enfant. Un parent qui va l’aider et lui expliquer comment faire les travaux, c’est pas nécessairement de la même façon dont moi je m’y prendrais en salle de classe », indique l’enseignante d’une vingtaine d’années d’expérience.

Plus dur pour les francophones?

Même si elle croit que certains retards pourraient avoir lieu chez des francophones, la professeure à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, Carole Fleuret, pense qu’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions ou comparer les francophones aux anglophones.

« Si les élèves ont eu moins accès au français pour diverses raisons dans les derniers mois, ça pourrait effectivement avoir une influence sur leur apprentissage. Il faut mettre un bémol là-dessus, car ça dépend de plusieurs détails comme si les enfants ont été exposés au français en dehors de l’école. Il est trop tôt pour tirer des conclusions… C’est certain qu’il va falloir que l’enseignant restimule en français pour que les apprentissages s’accumulent, même chose pour l’élève. »

Mme Fleuret croit que le système scolaire devrait faire un virage à 360 degrés pour s’habituer aux difficultés apportées par le coronavirus.

« L’idéal si l’on veut vraiment être dans une perspective inclusive serait de délaisser le rendement scolaire et les examens pour davantage répondre aux besoins des élèves, c’est ça la priorité… Les enseignants pourraient établir un profil à savoir où l’élève est rendu. À partir de là, on peut compenser en présentant des objectifs de l’année en cours, mais aussi certains de l’année précédente. »

Un apprentissage délaissé pour les mesures de sécurité?

L’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) dénonce de son côté que la tâche de rattraper le retard scolaire s’ajoute à celle des mesures sanitaires. Le syndicat francophone avait dénoncé le guide de la rentrée scolaire de la province disant qu’il n’assurera pas « la protection des enseignants et enseignantes ».

Le président de l’AEFO Rémi Sabourin dénonce le faux sentiment de sécurité du gouvernement et croit qu’il n’y aura pas « d’apprentissage chez les enfants s’ils ne se sentent pas en sécurité ».

« Les enseignants vont être débordés qu’on leur parle de santé et sécurité. Juste de s’assurer que les élèves de la maternelle ainsi que ceux de la première à la quatrième année se lavent les mains pourrait durer deux heures par jour et donc en plus de ça, on veut faire du rattrapage! »

Est-ce que les derniers mois et les difficultés que les élèves pourront rencontrer dès le mois de septembre pourraient influer à la hausse les chiffres sur le décrochage scolaire dans le futur?

« Ça peut avoir un effet, mais on va espérer que non, on peut ne rien garantir. Ça pourrait être très difficile pour les élèves qui sont déjà fragilisés et dont on n’essaiera pas de compenser pour ce retard acquis durant cette période. Toutefois, on ne peut pas tirer des conclusions tout de suite. Il va falloir attendre les retombées de cette pandémie dans plusieurs années », croit Carole Fleuret.