Laïcité : une corde sensible entre l’Ontario et le Québec
TORONTO – Alors que les premiers ministres de l’Ontario et du Québec se rencontrent aujourd’hui, plusieurs députés ontariens estiment que Doug Ford doit exprimer, devant son homologue François Legault, le désaccord de l’Ontario vis-à-vis de la Loi 21 sur la laïcité. Mais tous ne partagent pas cet avis.
Adoptée à l’unanimité lundi par l’Assemblée législative de l’Ontario, la motion défendue par la chef de l’opposition officielle, Andrea Horwath, condamne le texte québécois qui interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité coercitive, ainsi qu’aux enseignants du réseau scolaire public.
La motion demande en outre à Doug Ford de prendre les mesures nécessaires pour le faire savoir à son voisin, M. Legault. Les deux hommes auront deux occasions de le faire. Après un tête-à-tête ce soir à Montréal, ils se retrouveront lundi à Toronto, lors du Conseil de la Fédération qui réunit l’ensemble des premiers ministres des provinces et territoires canadiens.
« On a pris une décision qui demande au gouvernement québécois de réfléchir » – Gilles Bisson, député NPD
« C’est l’opportunité d’envoyer un message directement au gouvernement québécois », estime le leader parlementaire de l’opposition officielle, Gilles Bisson. « C’est au premier ministre de lui expliquer pourquoi on s’est prononcé à l’unanimité sur cette question et pourquoi il faudrait prendre un autre direction. »
Le député franco-ontarien de Timmins ne voit aucune ingérence dans cette motion qui statue sur une décision votée par une assemblée démocratiquement élue.
« On a pris une décision qui demande au gouvernement québécois de réfléchir à ce qu’il a fait et de regarder si il est capable de changer le cap », clarifie-t-il. « Entre bons voisins, on a cette responsabilité. »
Et d’ajouter : « Il faut être capable de se prononcer sur des questions pan-canadiennes. Ce qui arrive dans une province peut se produire dans n’importe quelle autre. En tant que pays d’immigration, on a une certaine responsabilité à dire ce qu’on pense. »
« Histoire et perception différentes », pour Fraser
John Fraser est sur la même longueur d’onde. Les libéraux ont voté la motion des néo-démocrates.
« On ne demande pas un débat, mais que Doug Ford donne le message », assène le chef intérimaire du Parti libéral. « Notre assemblée est très préoccupée. On a voté à deux reprises pour dénoncer cette loi et exprimer notre anxiété », dit-il, rappelant la motion sur la liberté de religion, déposée au début du mois par son collègue Michael Coteau.
Vue de l’Ontario, la laïcité – principe de séparation des sphères civile et religieuse – est largement perçue comme une mesure discriminatoire, une entrave à la liberté individuelle religieuse.
« On ne demande pas un grand débat mais que Doug Ford donne le message » – John Fraser
Selon M. Fraser, cela s’explique par le fait que l’Ontario s’est bâti grâce à une mosaïque de communautés diverses et en croissance.
« On a une expérience, une histoire et une perception différentes », dit-il. « Peut-être que nos communautés religieuses et culturelles voient ce projet de loi comme une attaque à leur croissance, leur différence, leur liberté. Ma responsabilité est de représenter toutes les cultures et les droits de chaque personne. »
« Ne pas dire au Québec quoi faire », pour Simard
La position d’Amanda Simard, absente en chambre lors de l’adoption de la motion du Nouveau Parti démocratique (NPD), est beaucoup moins vindicative.
« Je ne pense pas qu’on devrait dire au Québec quoi faire. Ils ont une législature. Ils ont leurs raisons. C’est leur affaire. Nos droits s’arrêtent là où ceux des autres commencent. Ils sont indépendants de leurs décisions. »
Si l’élue de Glengarry-Prescott-Russell juge la motion de M. Coteau « correcte car elle dit ce qu’on veut faire en Ontario mais ne dit pas au Québec quoi faire », elle se dit en désaccord avec celle du NPD, trop frontale avec le Québec.
Elle trouve important de respecter les croyances religieuses, mais dénonce cette pratique qui consiste à prendre des exceptions pour justifier une règle.
« Ce sont souvent des cas extrêmes », juge-t-elle. « Ce n’est pas tout le monde qui porte une burqa. Et puis, il faut expliquer que, dans la loi 21, les signes religieux ne sont pas interdits partout mais quand tu représentes l’État. »
Si elle doute de l’utilité de la motion du NPD adoptée par l’assemblée législative de l’Ontario, elle ne s’y oppose pas. « C’était peut-être pour rassurer les gens », suppose-t-elle.
« La loi 21 n’est pas un problème chez nous. M. Ford n’a pas besoin de l’aborder avec M. Legault. Je préfère qu’ils parlent des dossiers urgents comme l’économie ou l’électricité. »