
L’anxiété financière des jeunes s’intensifie malgré une nouvelle loi ontarienne sur le travail à la demande

TORONTO – Depuis le 1er juillet, la loi de 2022 sur les droits des travailleurs de plateformes numériques, par exemple les chauffeurs ou les coursiers, est en vigueur dans toute la province. Même si elle étoffe certaines protections sur un travail souvent jugé précaire, certains de ces travailleurs multiplient les critiques. En outre, les 18-34 ans demeurent la part prépondérante de cette économie des petits boulots.
Avant de reprendre ses études car il ne gagnait pas assez, Brice Sopher, un Franco-Ontarien ayant grandi à Toronto, a travaillé pour des plateformes de livraison pendant 4 ans.
Par ailleurs, son engagement en tant que vice-président du syndicat Gig Workers United représentant ces travailleurs, n’en était pas moins laborieux.
« Se mobiliser syndicalement était difficile, car les gens étaient fatigués, démoralisés et ne pouvaient pas prendre du temps pour arrêter de travailler », raconte l’ancien coursier.
Déposée il y a quelques années, la loi de 2022 qui œuvre pour les travailleurs de services de covoiturage, de livraison et de messagerie, leur assure aujourd’hui de nouveaux droits, tels qu’un revenu minimum garanti, plus de transparence salariale ou encore un renforcement des mesures de santé et de sécurité.
Néanmoins, la communauté des syndicats s’accorde à dire que ces nouvelles directives négligent une part importante d’un cadre équitable, comparativement à celui d’un employé dit « traditionnel ».
« Cela ne couvre pas le temps d’attente, par exemple le temps qu’ils rentrent d’une course, mais seulement le temps actif. Et il y a des études qui ont montré qu’il s’agit presque de la moitié du temps de quelqu’un qui travaille », affirme Brice Sopher.

Aissa Nauthoo, la vice-présidente des services juridiques, emploi et établissement du Centre francophone du Grand Toronto (CFGT), affirme que les mêmes droits doivent s’appliquer aux employés couverts par la loi sur les normes d’emploi (LNE) : « La loi doit être universellement appliquée aux acteurs du marché du travail, peu importe le statut, employé, travailleur ou entrepreneur indépendant », appuie-t-elle.
Alors que la seule et unique accréditation syndicale de chauffeurs Uber au pays ait été récemment instaurée en Colombie-Britannique, Brice espère qu’un cadre similaire verra le jour en Ontario.
« Il faut que nos organisations soient reconnues par la Commission des relations de travail de l’Ontario, pour que ça soit légalement officiel et pour pouvoir entretenir des négociations », alerte l’ancien représentant.
Peut-on parler d’une « youth-cession »?
L’année dernière, un rapport a révélé que l’économie des petits boulots reste largement alimentée par les jeunes travailleurs, ce secteur ayant explosé depuis la pandémie. À l’échelle de la province, c’était plus de 80 000 chauffeurs qui étaient actifs sur les plateformes comme Uber et Lyft, selon le site d’informations financières Money.ca.
« Ils ont la vingtaine la plupart du temps. Ce sont des étudiants internationaux » , ajoute M. Sopher.
La semaine dernière, le dernier rapport trimestriel de MNP sur l’endettement des consommateurs a montré que près de la moitié des 18 à 34 ans sont plus susceptibles de subir du stress financier. À l’heure actuelle, « le taux de chômage des Canadiens de 15 à 24 ans s’élève à 14 %, soit le double de la moyenne de la population totale », selon une étude de Indeed Canada.
Les chercheurs et économistes constatent que les jeunes traversent leur propre crise économique en partie due à la querelle commerciale avec les États-Unis qui affaiblit le marché du travail des jeunes, sur lequel les employeurs sont plus réticents à embaucher.
« Si l’on regarde l’historique du taux de chômage des jeunes, ça a toujours été des chiffres plus hauts, et ça empire surtout lorsqu’on se trouve dans une période de taux d’intérêt forts à la suite de l’inflation », explique Rafael Gomez, qui dirige le Centre des relations industrielles et des ressources humaines de l’Université de Toronto.
La loi de 2022 sur les droits des travailleurs de plateformes numériques montre que les droits ne sont pas tout à fait homogènes parmi les travailleurs ontariens. Même si elle marque une étape importante pour les dizaines de milliers de personnes qui gagnent leur pain quotidien grâce à ces applications, ses limites font lumière sur la précarité qui mine la jeune génération.
Avec de plus en plus de travailleurs de plateformes actifs à la fois, le nombre de courses que chaque coursier reçoit continuera de diminuer en même temps que leur revenu. « Sur la fin, je ne gagnais peut-être plus que 6 dollars par heure », déplore Brice Sopher, une des raisons qui l’a découragé.