Le bilinguisme réussi du festival Undercurrents

OTTAWA – À la fin d’un processus entamé il y a trois ans, le festival de théâtre Undercurrents est maintenant complètement bilingue. L’événement d’hiver organisé par le Fringe d’Ottawa se déroule à la Cour des arts jusqu’au 15 février et les Franco-Ontariens sont bien présents dans la programmation. ONFR s’est entretenu avec le directeur artistique et exécutif, Alain Richer.
La bilinguisation du festival Undercurrents a été faite par étapes : offrir des spectacles en français, tester la réaction du public, puis offrir les services aux festivaliers dans les deux langues.
Les organisateurs ont été agréablement surpris de la réaction des habitués, explique Alain Richer. « On pensait qu’il faudrait trouver complètement un nouveau public, mais en réalité, il y a beaucoup de notre public qui venait déjà et qui va aussi assister aux spectacles en français. »
Le directeur explique qu’il a fallu faire connaître l’option, mais que les spectateurs se présentent chaque année en plus grand nombre. Pour une meilleure accessibilité linguistique, Undercurrents a ajouté des surtitres en anglais aux spectacles francophones, un incitatif qui fonctionne réellement.

« On avait aussi l’idée de faire l’inverse. Jusqu’à présent, l’intérêt du public n’est pas là. La plupart des francophones d’Ottawa sont assez bilingues qu’ils n’ont pas le désir de voir le spectacle anglophone avec des surtitres en français. »
La région d’Ottawa-Gatineau est également parfaite pour offrir des pièces qui ne se préoccupent pas de s’adresser à un public soit francophone ou anglophone.
C’est le cas de Daddy’s issues, texte de Merlin Simard mettant en vedette Xénia Gould et Sophie-Thérèse Stone-Richards. « On saute vraiment entre le français, l’anglais et le franglais. C’est quelque chose d’unique, que je n’ai pas vu sur scène jusqu’à présent », affirme Alain Richer.
Les artistes nord-ontariens à l’honneur
En sortant de Cochrane d’Alain Lauzon est une pièce chouchou d’Undercurrents, qui suit son évolution depuis trois ans. « Le spectacle a débuté avec nous en 2023, lors d’une résidence de développement, explique Alain Richer. On a été très intéressés dans la voix théâtrale qu’Alain apporte. C’est du théâtre documentaire, mais la façon dont le texte est écrit, tu ne sens pas que tu regardes un documentaire. »
Alain Lauzon, originaire de Moonbeam, raconte sa double histoire de silence familial : les tabous entourant l’accident de sa mère et son propre coming out. Il délie les langues et tente de faire la paix avec cette période de sa vie dans un récit autobiographique.

Le directeur artistique et exécutif d’Undercurrents est heureux de pouvoir présenter une pièce qui prend place dans le Nord de l’Ontario, « qu’on ne voit pas assez souvent à Ottawa, même en anglais. Il y a beaucoup de projets qui nous arrivent de Toronto ou de Montréal, mais c’est rare qu’on a des artistes du Nord de l’Ontario. »
Le Nord ontarien est pourtant bien représenté cette année, avec Alain Lauzon (maintenant établi à Ottawa), Caroline Raynaud (Sudbury) et Stéphanie Morin-Robert, aujourd’hui établie à Winnipeg, mais originaire de Timmins.
Cette dernière propose à Undercurrents deux versions de son spectacle. Il est possible de voir Blind Side ou Angle mort. L’artiste multidisciplinaire avait remporté le prix Coup de cœur de Contact ontarois en 2023.

En 2025, c’est la Sudburoise Caroline Raynaud qui a remporté le prix Audace Réseau Ontario (le prix Coup de cœur ayant été modifié en 2024 pour offrir un prix Distinction et un prix Audace). Rencontrée par ONFR, la principale intéressée avait raconté les réactions du public.
« Il y a des personnes qui sont venues me voir et m’ont parlé de ce qui les a touchés : la vulnérabilité, la légèreté ou de parler de sujets qui ne sont pas nécessairement faciles à aborder, comme la sexualité, le rapport à son corps. (…) Je pars d’une expérience intime que j’ai transposée dans une autofiction. Là où ça marche, c’est que les gens se sentent touchés et se racontent ensuite leur propre histoire. »
Le Téton tardif avait avant cela été présenté devant public en mode laboratoire, aux Feuilles vives 2024 à Kingston et au Cabaret de la cellule d’écriture du Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO), à Sudbury, qui appuie la création du spectacle.
Une dernière proposition en français sera présentée au « mardi nouveautés », une séance de lecture publique de quatre nouveaux textes, le 11 février.
Qu’en est-il du Fringe?
Le festival Fringe d’Ottawa a lui aussi entamé un processus de bilinguisation. Le site web est maintenant bilingue. Les formulaires et informations pour les artistes seront aussi complètement offerts dans les deux langues d’ici la fin de l’année.
Le Fringe 2025 sera la première édition avec une catégorie francophone. Huit spectacles seront présentés en partenariat avec La Nouvelle Scène Gilles Desjardins. Il a toujours été possible de proposer des spectacles en français, mais il fallait gagner à la loterie des inscriptions, que notre candidature soit pigée dans le même bassin que les autres. Cette fois, des places ont été réservées spécifiquement pour des équipes francophones.
« On a eu beaucoup plus d’intérêt qu’on pensait pour la première année. On a hâte de voir ce que ça va donner au mois de juin », se réjouit Alain Richer.

Le Fringe est un concept de festival né à Édimbourg, en Écosse, et connu un peu partout dans le monde. Il présente des spectacles indépendants, parfois écrits directement pour le Fringe, et les propositions peuvent aller dans tous les sens.
Undercurrents propose des spectacles un peu plus établis, qui ont déjà été présentés à un Fringe ou lors d’un laboratoire, par exemple. Mais l’idée reste la même.
« On dit souvent (aux visiteurs du Fringe) de prendre une chance, parce que c’est accessible (…) c’est facile sur le temps et le portefeuille. C’est la même chose avec Undercurrents », qui propose une billetterie accessible, où les gens peuvent choisir de payer 10, 20 ou 50$, rappelle Alain Richer.
Environ 1200 visiteurs se rendent à Undercurrents chaque année. Le festival en est à sa 15e édition. Une exposition d’art bilingue prend également place à la Cour des arts, coordonnée cette année par Fierté dans la capitale et la Bibliothèque trans d’Ottawa.