« Le français cède le pas à l’anglais dans la recherche universitaire » s’alarme Éric Forgues

Le chercheur Éric Forgues. Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS] 

QUI :

Éric Forgues est directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques de l’Université de Moncton.

LE CONTEXTE :

L’Association de promotion et défense de la recherche en français (ACFAS) a dévoilé une étude menée par l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques et la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante de l’Université de Montréal qui met en évidence le déclin de la recherche en français.

L’ENJEU :

La survie de la langue française est un enjeu dans plusieurs domaines de recherche, et si des solutions ne sont pas rapidement trouvées pour inverser la tendance.

« Quels sont les principaux obstacles à la recherche en français au Canada?

Il y a de fortes pressions qui incitent les chercheurs francophones à publier en anglais. On valorise davantage les publications en anglais lors des demandes de financement ou de promotion. Les revues anglophones ont souvent des facteurs d’impact plus élevés. Les chercheurs qui cherchent à se faire financer ou à obtenir une promotion vont privilégier les publications en anglais. De plus, l’anglais est la langue de communication privilégiée à l’international pour communiquer les savoirs.  

Cela se reflète par la proportion de revues anglophones qui est passée d’environ 60 % dans les années 1970 à 70 % dans les années 1990, puis au-delà de 90 % depuis 2005.

Combien de chercheurs francophones ne publient jamais dans leur langue au Canada?

Nous n’avons pas ce chiffre mais, dans notre sondage, nous avons demandé aux chercheurs qui ont publié au moins un article entre le 1er avril 2018 et le 1er avril 2020, combien n’ont publié aucun article en français. Ils sont 44 %. Peu importe le type d’établissement, on remarque un déclin des articles en français. À l’Université de Moncton, on passe de plus de 40 % d’articles en français dans les années 1980 à moins de 25 % dans les années 2010.

Tant l’Université Laurentienne que l’Université d’Ottawa ont historiquement eu un pourcentage d’articles en français plutôt bas, même dans les années 1980. Les choses ne s’améliorent pas au cours de la dernière décennie, où le français représente moins de 10 % des articles à l’Université d’Ottawa et de 5 % à l’Université Laurentienne.

Est-ce qu’il y a des domaines de recherche plus affectés que d’autres?

Les domaines en sciences naturelles, technologiques, en santé sont depuis longtemps plus touchés par l’anglicisation. Mais on remarque que les sciences humaines et sociales le sont de plus en plus.

Qu’est-ce qui pousse un chercheur à publier en anglais?

Notre sondage montre qu’une grande majorité (89 %) le font pour rejoindre un plus grand auditoire dans leur domaine d’expertise. Une bonne majorité (80 %) le font pour que leurs publications soient davantage citées. Près des trois quarts (72 %) le font pour gagner en crédibilité sur la scène internationale. Près des deux tiers (64 %) indiquent que ce qui les motive à publier en anglais est de faire avancer leur carrière

Quelles sont les conséquences à moyen et long terme de cette situation?

Si rien n’est fait pour assurer une place pour la recherche en français au Canada, l’espace de la recherche risque de devenir anglais, sauf quelques niches ici et là où la recherche continuera de se faire et de se diffuser en français. Les articles en français se feront rares. Si bien, que les étudiants inscrits dans des programmes francophones auront difficilement accès à des textes en français.

Comment êtes-vous directement affecté par ces obstacles?

Je suis plutôt un contre-exemple des tendances observées. Je publie presque uniquement en français. Mon objet d’étude porte sur les communautés francophones en situation minoritaire. Cela va de soi que je publie en français. C’est d’ailleurs souvent les chercheurs qui étudient les communautés francophones qui publient davantage en français. Il y a un lien entre l’objet d’étude et la langue de diffusion des savoirs. Cela peut avoir eu un effet sur le financement de mes projets de recherche.  

Y a-t-il des solutions?

Nous pouvons mettre en place des solutions qui favorisent l’usage du français en recherche et qui aident les chercheurs à faire de la recherche en français. Par exemple en créant un service d’appui à la recherche en français (le SARF) qui offrirait des services en français aux chercheurs, qui ferait la promotion de la recherche en français et qui sensibiliserait les universités anglophones et bilingues aux besoins de leurs chercheurs d’expression française.  

Les agences subventionnaires ont un rôle à jouer en offrant des services dans les deux langues officielles de qualité égale. En mettant sur pied des programmes qui financent les petites universités et des programmes qui financent des projets portant sur les communautés en situation minoritaire.

Le palier fédéral n’a-t-il pas également un rôle à jouer?

Il a aussi un rôle important à jouer. D’abord en s’assurant que le fondement institutionnel de la recherche – je pense ici aux universités mêmes – soit robuste et viable. Mais aussi en finançant des presses universitaires francophones, des revues en français et le SARF.  

Il y a du travail à faire pour assurer l’épanouissement de l’espace de la recherche en français. L’ACFAS aura besoin de l’appui de ses partenaires pour y arriver. Mais nous savons que c’est possible d’accomplir beaucoup en joignant nos forces et en travaillant ensemble. »