Chroniques

Le mouton blanc

L'aïd al-Adha ou aïd el-Kebir, est la plus importante des fêtes musulmanes. Crédit image: Canva

Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.

La semaine dernière, plus de 2,15 milliards de musulmans à travers la planète, soit plus du quart de la population mondiale, célébraient l’Aïd el-Kebir, communément appelée en Occident la fête du mouton, une appellation à tort soit écrit en passant, puisqu’il s’agit là de faire sa fête au mouton et non de danser avec lui jusqu’aux heures folles de la nuit!

S’en était suivi une réflexion de votre serviteur faite en grande partie de souvenirs. La voici livrée dans son état brut, sans chichi, que du méchoui! Tout d’abord, avant de baigner dans le sang, je tiens à avertir mes chers lecteurs et lectrices que la présente chronique est réservée aux plus de 18 ans et que celles et ceux dont l’âme est sensible devraient s’abstenir de la lire. Vous voilà prévenu(e)s!

Alors que je comptais les moutons à Toronto pour vaincre, en vain, une insomnie à la tête dure, fruit d’un cœur nostalgique loin des miens en ce jour de la plus grande fête religieuse du Royaume, jour où les enfants sont érigés en princes et princesses, des souvenirs lointains remontèrent à la surface pour défiler sur ma paupière comme une pellicule cinématographique en noir et blanc.

La genèse

Cependant, à l’orée de ce plongeon dans le mystérieux et abyssal fond des réminiscences, un petit cours de théologie s’impose, histoire de lubrifier la culture G, remède contre l’ignorance et antidote de la bêtise et des préjugés des moutons de Panurge. Au cœur de la célébration de l’Aïd el-Kebir, il y a ce geste immuable, transmis de génération en génération : le sacrifice rituel du mouton. Toutefois, il pourrait s’agir également, bien que rarement, d’une vache ou même d’un chameau.

Ce sacrifice fait référence à une histoire commune aux trois religions monothéistes, puisqu’il est question d’un chapitre de vie d’Abraham (Ibrahim chez les musulmans). En effet, en se soumettant à la volonté d’Allah, de Dieu ou d’Elohim, le père fondateur du monothéisme était sur le point de sacrifier son fils unique. Mais ce fut sans compter avec l’ange Gabriel qui épargna in extremis l’enfant en lui substituant un mouton.

Cela explique pourquoi le sacrifice ne fait nullement partie des cinq piliers de l’islam, et donc ce n’est point une obligation, contrairement à ce qui est répondu. C’est avant tout une action et un élan de générosité envers les plus démunis, puisque l’animal doit être partagé en trois parts, dont une pour les proches et les voisins et une autre pour les personnes dans le besoin.

La brebis égarée

Mais revenons à nos moutons. Afin de ne pas heurter la sensibilité des âmes les plus endurcies, je vais vous épargner les détails de ce souvenir qui me hante encore et qui me hantera probablement jusqu’à la fin de mes jours, celui du mouton des voisins.

En brebis égarée, il avait senti le couteau sous sa gorge la veille du jour du sacrifice, choisissant de se jeter du toit plutôt que de mourir au nom de Dieu. Sauf qu’il avait atterri pile au centre de notre terrain de football (oups de soccer) à même le bitume sur lequel l’ovin avait éclaté comme une pastèque. Aux yeux du joueur de 10 printemps que j’étais, cela laisse forcément des séquelles -c’est peut-être à cause de cela que je suis un peu zinzin, préférant le steak presque cru au bien cuit, le polar à la romance!

Mission évasion

L’un des souvenirs qui a également élu résidence permanente dans mon cortex cérébral, mais d’une manière plus agréable -quoi que! est celui d’un mouton à la laine blanche, tellement blanche que mes sœurs, mes cousin(e)s et moi l’avons surnommé Soukkar (sucre). À ce propos, toujours au nom de la culture G, ce sont les Arabes qui ont introduit le sucre en Europe au Moyen Âge avec le mot Soukkar, ce qui donnera ensuite sucre en français, sugar en anglais, zucchero en italien, etc.

Revenons à nos… Grâces à la beauté de Soukkar, la bande des petits Chakkouches que nous étions eut pitié de lui. Nous décidâmes alors de lui rendre sa liberté la nuit précédant son exécution. Ce que nous fîmes avec succès avant de rejoindre nos lits respectifs, ni vus, ni connus.

Il faut dire que, curieusement, alors que Soukkar n’avait de cesse de bêler durant ses deux jours de captivité, pendant l’opération, il s’était montré d’un calme et d’un silence religieux. Peut-être qu’il était au courant de ce que nous faisions pour lui.

Or, nous n’avions pas prévu le vil gardien de la rue. Témoin de la scène, il n’attendit guère le lever du soleil pour venir nous dénoncer aux parents en tenant le pauvre Soukkar par les cornes, alléché par un bakchich pour bon service rendu à la religion. Chiche! Il reçut illico ses dirhams et nous notre raclée.

Ah! Qu’est-ce que ces moments me manquent aujourd’hui, raclée comprise! Mais ma solitude n’est rien face à celle des 20 000 enfants orphelins (source UNICEF) de la guerre qui errent aujourd’hui dans la bande de Gaza pour quémander un peu de pain nu, dépourvu de chair.

À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.