Le Nouveau-Brunswick entreprend la révision de sa Loi sur les langues officielles
MONCTON – Les consultations viennent de débuter au Nouveau-Brunswick dans le cadre du processus de révision de la loi provinciale sur les langues officielles qui a lieu tous les dix ans. Mais pour les représentants acadiens et les analystes, le manque de volonté politique pour appliquer la loi demeure un problème de taille.
Le professeur Roger Ouellette de l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton, rappelle que, depuis sa première version qui remonte à 1969, la Loi du Nouveau-Brunswick sur les langues officielles n’a jamais été une loi très forte. Et, si dans son état actuel elle n’est guère plus mordante qu’à l’origine, c’est parce que les deux principaux partis politiques manquent d’enthousiasme à l’appliquer.
« Déjà, la loi qui est là est faible et n’est pas appliquée, ou très peu. Est-ce qu’on a envie d’en ajouter plus? On ne sent pas qu’il ait une volonté politique des partis. Le parti libéral, qui évidemment a beaucoup d’appuis francophones, n’a jamais levé le petit doigt pour la défendre à l’époque de Brian Gallant (premier ministre libéral de 2014 à 2018), quand la commissaire aux langues officielles était attaquée par le People Alliance (Alliance des gens du Nouveau-Brunswick). La loi dit que c’est le premier ministre qui est chargé de son application. Gallant s’est défilé et a nommé Donald Arseneault pour le faire », déplore le professeur Ouellette.
« Les deux principaux politiques, libéraux et conservateurs, voient les langues officielles comme une patate chaude. Ils n’ont pas envie de la saisir. Et les progrès qu’on a faits l’ont été grâce à l’intervention des tribunaux », indique M. Ouellette, citant plusieurs exemples de causes linguistiques ayant abouti en cour.
« On peut avoir les meilleures dispositions législatives au monde, si on n’a pas une volonté politique de les mettre en œuvre, ça ne donne rien… à part devant les tribunaux » – Alexandre Cédric Doucet
Le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Alexandre Cédric Doucet, réclame, entre autres choses, que la Loi soit mieux appliquée, mais il soulève aussi la question de la clarté de certaines dispositions.
M. Doucet explique que les institutions gouvernementales du Nouveau-Brunswick – incluant le premier ministre – doivent en principe s’adresser à la population dans les deux langues officielles et il trouve désolant que ça ne soit pas toujours le cas.
« Il y a toujours des dispositions qui ne sont pas assez claires. Un des exemples les plus concrets pendant la pandémie, c’est que presque à chaque jour, notre premier ministre (Blaine Higgs) s’est pointé en conférence de presse et n’a pas parlé en français. Il a communiqué avec les francophones à travers de la traduction simultanée. Ce n’est pas un traitement égal entre les deux communautés linguistiques et la commissaire aux langues officielles nous a donné raison sur ce point », souligne-t-il, proposant que le premier ministre ait à ses côtés une personne qui maîtrise les deux langues officielles.
Une révision sans commission parlementaire
Par ailleurs, le processus de révision soulève lui-même des questions. Le premier ministre conservateur, Blaine Higgs, a décidé de confier la révision de la Loi à deux commissaires, plutôt que de créer une commission parlementaire, comme ce fut le cas en 2011, lors de la dernière révision de la loi.
« C’est la première fois qu’on procède de cette façon-là. Dans les années 2000, il y a eu une révision de la Loi sur les langues officielles qui émanait d’une décision de la Cour d’appel qui a forcé la main du gouvernement Lord à moderniser la loi », relate M. Doucet. C’est d’ailleurs à ce moment qu’un processus de révision devant avoir lieu à tous les dix ans a été enchâssé dans la Loi.
« Dix ans après, en 2011, le gouvernement Alward a créé un comité parlementaire pour réviser La loi. Et ils ont fait des travaux pendant deux ans… et puis là, dix ans après, on recommence ce processus, sauf que le gouvernement décide de faire une révision non parlementaire, avec deux commissaires qui vont réviser la Loi sur les langues officielles, mais aussi regarder toute la question de l’immersion française et de la langue seconde. C’est la première fois qu’ils mettent deux choses totalement distinctes en une seule : les langues officielles et l’immersion. C’est ça qui va peut-être créer un problème dans le processus », analyse M. Doucet.
Le politologue Roger Ouellette partage cet avis. « Ce n’est pas une démarche habituelle et l’idée d’ajouter un mandat qui n’est pas du tout dans les langues officielles – la question du bilinguisme – a été dénoncée par les partis d’opposition. »
Plusieurs disent que ce processus de révision aurait dû être fait par un comité de l’Assemblée législative, comme cela a été fait lors de la dernière révision en 2011.
Pour Alexandre Cédric Doucet, le modèle de révision choisi par le gouvernement conservateur de Blaine Higgs empêche les communautés linguistiques d’avoir un dialogue. Il évoque « un processus de révision en catimini ». « On manque une opportunité d’avoir une discussion entre les deux communautés linguistiques et d’inclure les communautés linguistiques autochtones. »
« On a présentement une tension et on manque une belle opportunité de l’apaiser », regrette-t-il, n’enlevant rien à la compétence des deux juges Yvette Finn, une juge surnuméraire, et John McLaughlin, un ancien sous-ministre de l’Éducation. « Mais à la fin de la journée, il faudra voir ce qu’ils auront produit », relativise M. Ouellette.
Une « désintégration du français » dans la fonction publique
De son côté, Alexandre Cédric Doucet souligne qu’il y a des choses concrètes qui doivent se retrouver dans la version révisée de la loi.
« Le plus important, c’est toute la question de la langue de travail dans la fonction publique. C’était une des grandes demandes de la communauté acadienne lors de la dernière révision en 2011-2013 et ça n’a pas été pris en compte. Depuis ce temps-là, on voit une désintégration du français dans la fonction publique. Les fonctionnaires travaillent de moins en moins en français et moins de francophones accèdent à des postes supérieurs. On pourrait avoir des dispositions législatives qui permettent une meilleure mise en œuvre. »
M. Doucet penche en faveur de « cellules » dans la fonction publique afin de créer des dualités. Sinon, s’il y a 16 employés et un anglophone, tout le monde va travailler en anglais, illustre-t-il.
La question de la langue de travail devrait aussi être sérieusement abordée, complète Roger Ouellette. « La Loi dit que la population doit être servie dans les deux langues officielles, mais ce n’est pas écrit nulle part que les fonctionnaires provinciaux peuvent travailler dans leur langue, alors que c’est le cas à Ottawa, au fédéral. »
La population néo-brunswickoise peut prendre part à la consultation sur la refonte de la Loi sur les langues officielles par le biais d’un site Internet, par courriel ou par la poste.