Les Acadiens perdent leur seule voix au sein du gouvernement Higgs

Robert Gauvin. Source: Facebook, Robert Gauvin

FREDERICTON – Le député acadien et vice-premier ministre, Robert Gauvin, a décidé de claquer la porte du gouvernement progressiste-conservateur de Blaine Higgs, ce vendredi. Une décision qui conduit à l’absence totale de voix francophones au sein du gouvernement de la seule province bilingue du Canada et qui rappelle la situation d’Amanda Simard en Ontario.

La décision du gouvernement néo-brunswickois de fermer partiellement le service d’urgence de six hôpitaux, dont celui de Caraquet, aura été la couleuvre de trop. Depuis son élection sous les couleurs du Parti progressiste-conservateur en 2018, le député acadien Robert Gauvin a souvent dû défendre des décisions impopulaires auprès de la communauté acadienne. Mais ce vendredi, il a décidé de jeter l’éponge.

Lors d’une conférence de presse très attendue, ce vendredi à Shippagan, il a annoncé sa décision de siéger comme indépendant.

L’ancien député Robert Gauvin. Source : Twitter, SANB

« Il y a eu suffisamment d’exemples de manques de compréhension et de mesures défavorables à la population acadienne pour qu’on puisse même s’étonner qu’il n’ait pas quitté plus tôt », analyse la sociologue de l’Université de Moncton, Michelle Landry.

Pour elle, toute autre décision devenait difficile aujourd’hui.

« M. Gauvin semblait ne plus avoir aucune influence au sein du gouvernement, même comme vice-premier ministre. Même si elle n’est pas directement linguistique, la réforme des hôpitaux, menée sans consultation, touche la ruralité et donc, beaucoup plus la population acadienne qui est nombreuse à vivre en milieu rural. Les gens de la circonscription de M. Gauvin vont seront affectés et il aurait eu du mal à défendre cette décision. »

Un avis que partage la politologue du Collège militaire royale du Canada, Stéphanie Chouinard.

« C’est sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, mais compte tenu des récents événements, son départ devenait une évidence. On voyait bien que le courant ne passait pas entre lui et Blaine Higgs. Le premier ministre ne le consultait même pas pour des décisions qui touchent les francophones, alors qu’il avait dit qu’il serait son lieutenant dans le dossier. »

Comme Amanda Simard?

Faut-il faire un parallèle entre la décision de M. Gauvin et celle d’Amanda Simard, en Ontario, lorsqu’elle avait quitté le gouvernement après l’abolition du Commissariat aux services en français et la mise sur la glace du projet d’Université de l’Ontario français? Mme Chouinard relativise.

« Dans les deux cas, ce sont des gouvernements qui ont pris des décisions sans prendre en compte l’effet disproportionné que cela pourrait avoir sur la communauté francophone. On a donc l’impression que l’histoire se répète. Toutefois, à la différence de Mme Simard qui n’arrivait pas à accéder au premier ministre Doug Ford, M. Gauvin était vice-premier ministre. Il était donc beaucoup plus près du gouvernement et sa décision n’en devenait que plus inévitable. »

Incompréhension et manque de considération

La veille de l’annonce de M. Gauvin, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) se montrait solidaire du député acadien, par voie de communiqué.

« Que vous soyez d’accord ou non avec ses actions jusqu’à présent au sein du Parti conservateur du Nouveau-Brunswick, nul ne peut nier la difficulté de la situation dans laquelle se trouve le vice-premier ministre Robert Gauvin. Dès son entrée en fonction, il a dû naviguer en eaux troubles,  le seul et unique député francophone au sein d’un caucus conservateur mené par un chef manifestement hors de son élément en ce qui concerne le maintien du fragile équilibre entre les deux communautés de langues officielles de la province », rappelait l’organisme porte-parole de la communauté acadienne. « Malgré les lourds défis posés par cette conjoncture, M. Gauvin a tout de même réussi à quelques reprises à tirer son épingle du jeu, notamment lors des efforts de mobilisation qui ont mené au maintien du Consulat de France à Moncton. »

Sur les médias sociaux, l’avocat spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet, parfois critique envers le député de Shippagan-Lamèque-Miscou, a salué son geste, tout comme de nombreux internautes et personnes présentes sur le lieu de sa conférence de presse.

« Bravo Robert Gauvin pour cette décision courageuse. On aurait pu s’attendre à ce que Higgs fasse tout en son pouvoir pour garder dans ses rangs son seul député francophone. On voit ainsi le peu d’intérêt qu’il a pour notre communauté. »

« Le départ de M. Gauvin traduit que la seule province officiellement bilingue du Canada est désormais dirigée par un gouvernement sans aucun député francophone! » – Michelle Landry, sociologue

Mais cette décision ne peut toutefois cacher l’échec de M. Gauvin au sein du gouvernement, nuance Mme Landry.

« M. Gauvin a soutenu d’autres décisions surprenantes du gouvernement qui ont touché la population acadienne. Là, il a sûrement senti que ça allait trop loin. Au sein du gouvernement, il n’a jamais vraiment su faire entendre la voix des Acadiens. Il est clair depuis le premier jour, que ce soit sur la question des ambulanciers ou de l’annulation des Jeux de la francophonie, que le gouvernement Higgs manque totalement de considération et de compréhension pour la population acadienne. »

Des élections inéluctables

Avec M. Gauvin qui siègera désormais comme indépendant, le Parti progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick compte désormais le même nombre de députés que le Parti libéral, soit 20 élus à l’Assemblée législative.

Cette nouvelle réalité et l’absence de voix francophone autour de la table de décision pourrait-elle renforcer l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick et ses positions hostiles à la dualité linguistique et au bilinguisme?

« Je pense surtout que cela rend le déclenchement des élections inéluctables », prédit Mme Landry. « C’est un peu surprenant que le gouvernement Higgs ait laissé la situation se détériorer, car son parti, comme tous les autres, n’a pas franchement intérêt à aller en élection, notamment pour des questions financières. L’Alliance risque de perdre des sièges au profit du Parti progressiste-conservateur. En fait, le seul parti qui pourrait en profiter, c’est le Parti vert, qui travaille fort, a bonne presse et pourrait donc faire des gains. »