Les inquiétudes des aînés en Ontario français
SUDBURY – La situation est précaire pour les aînés de l’Ontario français, si l’on en croit l’atelier sur le vieillissement des populations offert dans le cadre du congrès annuel de l’Assemblée de la francophonie ontarienne (AFO) à Sudbury. Un atelier donné un mois après le dévoilement par l’organisme du Livre blanc sur le vieillissement des francophones. Pour mieux comprendre leurs inquiétudes, ONFR+ a rencontré des participants des quatre coins de la province.
Aurore Lemieux habite à Elliot Lake, où elle s’implique activement dans le Club des aînés. Elle constate de ses propres yeux le vieillissement de la population qui affecte sa région, et s’inquiète du manque de services.
« Je suis énormément préoccupée », dit-elle. « Dans un petit coin comme qu’on est, c’est très difficile d’avoir les soins qu’on a besoin. Il faut toujours se déplacer! Soit à Sault-Sainte-Marie, soit à Sudbury. »
Même lorsque les services sont offerts, ils ne sont souvent pas aussi accessibles qu’elle le souhaiterait : « Il y a des spécialistes qui viennent chez nous, mais c’est difficile de savoir qui et comment on peut les rejoindre. »
« Il n’y a pas de soins de longue durée en français. À l’hôpital Saint-Joseph, il y a les soins palliatifs pour les gens qui n’ont plus beaucoup de temps. Ensuite il y a le Huron Lodge et le Manoir Saint-Joseph, mais ce sont des établissements anglophones. Il n’y a rien en français. »
En revanche, elle affirme que même si ces services étaient offerts en français, ils seraient hors de sa portée financière.
« Une personne comme moi qui ai juste sa petite pension, je ne pourrais pas me permettre de payer le 2 000 à 3 000 $ par mois pour vivre là », explique Aurore Lemieux.
Des services sans main d’œuvre
Selon Jean-Claude Carrière, président de l’ACFO du Témiskaming à New Liskeard, le problème dans sa région est moins l’offre de services en français, mais la pénurie de relève.
« On a un centre de santé communautaire et une maison de soins de longue durée qui offrent des services en français, mais on est toujours à la merci du manque de personnel », note-t-il.
« Dans le Témiscamingue, on exporte nos jeunes comme nos ressources naturelles », illustre Jean-Claude Carrière.
L’absence de jeune main-d’œuvre se fait aussi sentir dans le milieu associatif, soutient le président.
« Je regarde les organismes franco-ontariens de la région, et ils cherchent tous la relève, mais ce n’est pas évident. Il ne manque certainement pas de clubs dans notre coin. On a l’Union culturelle des Franco-Ontariennes, les Richelieus, le Club Lion et même trois clubs d’âge d’or : un à Haileybury, un à New Liskeard et un à Earlton. Mais on ressent le vieillissement de la population quand on cherche la relève. »
Un service inégal
Le président de la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO), Jean-Rock Boutin, note l’inégalité des services que reçoivent les francophones.
« En province, il y a un lit de soins de longue durée pour chaque 170 Ontariens », indique l’homme qui est aussi un gérontologue de formation. « Pour les francophones, c’est un lit pour 3400 francophones. Il y a un écart énorme à combler. »
« Les gens doivent vieillir et mourir en anglais. » – Jean-Rock Boutin, président de la FARFO
Selon lui, l’enjeu de l’heure est cependant l’inégalité des services d’une région à l’autre.
Il note entre autres une pénurie de services dans le sud-ouest de l’Ontario.
« C’est une région défavorisée parce qu’elle est tellement dispersée, et le taux de francophones est particulièrement bas. On y compte 37 lits de soins de longue durée pour 117 000 francophones dans la région de Toronto. »
S’inspirer des communautés autochtones
Mariette Carrier-Fraser, présidente du Conseil consultatif pour les services en français du ministre de la Santé et des soins de longue durée, a aussi participé à l’atelier.
« Ce qui est inquiétant, c’est que les personnes ne peuvent toujours pas être servies dans leur langue », débute-t-elle.
Selon elle, cet accès est particulièrement important pour les personnes âgées.
« On dit souvent que les francophones sont tous bilingues, mais c’est faux, particulièrement en ce qui concerne les personnes âgées. Je pense à mes propres parents qui vivaient dans le nord de l’Ontario. Lorsque ma mère est décédée à 98 ans, elle ne comprenait pas un traître mot d’anglais. »
Les gens qui parlent couramment l’anglais ne sont pas plus à l’abri, note l’Ottavienne, puisqu’ils ont tendance à perdre l’usage de leur seconde langue en vieillissant.
« Les gens qui ne peuvent pas être servis dans leur langue, on remarque que leur santé est moins bonne. Soit qu’ils ne comprennent pas bien ce que leur médecin leur raconte, soit qu’ils s’expriment moins qu’il le ferait autrement. »
« Si tu veux dire que tu as mal au cœur en anglais, et tu dis « my heart hurts », ça ne veut pas dire la même chose », fait part Mariette Carrier-Fraser.
Si son pronostique pour le futur des soins en français n’est pas particulièrement optimiste, elle voit toutefois une lueur d’espoir dans l’accès à la technologie.
« Maintenant, un médecin d’Ottawa peut servir un patient qui est à Smooth Rock Falls à l’aide d’outils de téléconférence comme FaceTime. Il ne peut pas soigner une jambe cassée, mais ça se fait très bien pour des services de consultation ou de santé mentale. C’est quelque chose qui a été mis en place pour les autochtones dans les communautés éloignées. On pourrait s’en inspirer. »