Les muettes souffrances des réfugiés franco-ontariens
Placée sous le signe d’une francophonie « aux mille saveurs », la Semaine nationale de l’immigration francophone bat son plein. Des activités et des événements qui se veulent représentatifs de l’ensemble de la pluralité et du multiculturalisme de cette communauté se déroulent dans les quatre coins du pays. Et pourtant, une catégorie semble être laissée pour compte. Il s’agit des réfugiés et des demandeurs d’asile qui, en comparaison avec d’autres statuts d’immigrants, bénéficient de moins d’investissements de la part du gouvernement. Les réfugiés franco-ontariens n’échappent pas à ce constat avec, en prime, une barrière supplémentaire, celle de la langue.
Avec une part de 35%, l’Afrique est de loin le premier réservoir de l’immigration francophone en Ontario. Parmi ces nouveaux arrivants au Canada, beaucoup sont des réfugiés ou des demandeurs d’asile qui proviennent de pays où règnent l’instabilité politique et/ou la guerre civile pour ne citer que ces deux fléaux qui rongent le continent.
Pour faire court, deux portes d’entrée s’offrent à ces personnes. D’une part, ils peuvent être reconnus dans leur pays d’origine ou dans des contrées de transit comme étant des réfugiés par des organismes internationaux ou privés, et ce avant même de fouler le sol canadien, auquel cas leur situation est relativement moins difficile à l’arrivée. D’autre part, ils peuvent atteindre le Canada par leurs propres moyens et y déposer une demande d’asile, un processus qui peut, à l’image de leur périple, s’avérer long et jonché d’incertitudes.
Réfugié n’est guère un choix
On ne devient pas réfugié au Canada par choix, mais par absolue nécessité. « C’est d’autant plus difficile pour les réfugiés parce qu’ils ne sont pas des immigrés volontaires, ils ne l’ont pas décidé. Pour beaucoup, ils ont fui leur pays pour sauver leur vie », explique Luisa Veronis, professeure agrégée au Département de géographie, environnement et géomatique à l’Université d’Ottawa.
Les témoignages abondent dans ce sens, à l’instar de celui de Florence Ngenzebuhoro, directrice générale du Centre Francophone du Grand Toronto (CFGT) et ex-réfugiée qui a dû quitter son Burundi natal au milieu des années 90.
« C’est une histoire de mon passé que je raconte rarement. Je ne suis pas venue au Canada avec ma famille par choix. Dans mon pays, j’étais issue d’une famille aisée et ma situation était très confortable. Mais, à cause du conflit ethnique qui a éclaté, nos vies étaient en danger et on s’est échappés pour se retrouver dans un abri presque démunis de tout », se livre-t-elle.
Mme Ngenzebuhoro possédait le titre de princesse dans son pays d’origine « avant de se retrouver du jour au lendemain réfugiée avec toute une vie qui tient dans deux valises », se rappelle-t-elle, émue.
Plus récent encore, la militante burundaise pour les droits de l’homme, Antoinette Irarera, qui a abandonné maison et famille en 2017 pour se réfugier d’abord au Rwanda, où elle a continué à être persécutée, avant de fuir vers le Canada et y demander asile afin de s’éloigner le plus possible de ses persécuteurs.
« J’ai beaucoup manifesté contre la troisième réélection antidémocratique du président Pierre Nkurunziza. Ce qui m’a valu des menaces sérieuses de mort. Autrement, j’étais bien là où j’étais, parce que j’avais une vie épanouie et bien établie », se souvient-elle.
L’enfer dans un centre pour sans-abri : ni chambre ni matelas
Toutefois, si l’ancienne réfugiée était venue avec l’idée que le Canada était un pays de droits par excellence, elle avoue avoir vite déchanté tant ses premières semaines s’y étaient révélées catastrophiques. Les larmes à la gorge, elle se remémore :
« Dès mon arrivée au Canada, le YMCA m’a placée dans un centre pour sans-abri à Ottawa et non dans un centre pour réfugiés et demandeurs d’asile, sous prétexte que j’étais célibataire, alors que j’avais ma famille au Burundi. J’ai vécu l’enfer dans ce centre avec tous les problèmes que connaissent ses pensionnaires comme la toxicomanie, l’alcoolisme, les maladies mentales, l’hygiène et j’en passe. »
« Je me sentais moins en sécurité que dans mon pays » – Antoinette Irarera
Et d’ajouter après un lourd silence : « J’ai vécu l’enfer dans ce centre où je n’avais ni chambre ni matelas. J’étais obligée de dormir au salon à même le sol, la peur au ventre. Il arrivait aussi qu’on crache dans mon assiette au réfectoire, j’ai fini par ne plus me nourrir. Pour tout vous dire, là-bas, je me sentais moins en sécurité que dans mon pays. Loin des miens, j’étais détruite moralement et le fait de m’avoir placé là-bas a fini par m’anéantir. À l’époque je me sentais comme un boulet dans ce pays d’accueil. »
Plus grave que cela, la trentenaire dénonce une sorte de discrimination, voire de racisme. Selon elle, toutes les personnes dans la même situation qu’elle qu’on avait installées dans ce centre pour sans-abri étaient des noires, alors que les demandeurs d’asile sont de toutes les couleurs. « On m’a rapporté la même situation dans un autre centre comme celui-là, mais réservé aux hommes. Pourquoi ce sont que les noirs qui sont acheminés dans de tels endroits? C’est une question à laquelle je n’ai toujours pas de réponse! Dieu merci, ce cauchemar n’était que temporaire », conclut Mme Irarera.
Pour la directrice du CFGT, « il faut casser ce mythe qui perçoit ces gens comme un fardeau à qui on apporte de la compassion. Il faut changer cette mentalité et les considérer comme de vraies potentialités pour ce pays, parce que ce ne sont pas les exemples de réussite d’anciens réfugiés qui manquent au Canada en général et en Ontario en particulier ».
La barrière de la langue
Sur le plan théorique, la professeure Luisa Veronis, titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes, explique ce phénomène et ce ressenti par le fait que « beaucoup de ces gens qui viennent de zones de guerre ont des besoins importants en matière de soins, aussi bien sur le plan physique que mental. Donc, certains peuvent se sentir assistés ou comme une charge qui dépend du gouvernement ».
Les propos de la chercheuse prennent tout leur sens lorsqu’on les recoupe avec un événement remontant à l’ère Harper. Le premier ministre de l’époque avait tenté de donner un grand coup de sabre dans l’enveloppe fédérale destinée au soutien de santé pour les demandeurs d’asile. Cependant, une forte mobilisation de la société civile l’en avait empêché.
L’autre enjeu réside dans la langue. Un grand pan de cette catégorie d’immigrés est francophone et ne parle pas anglais. Or, à en croire Mme Irarera, « personne ne parle français dans les centres des sans-abri. Pour des personnes qui ont besoin d’écoute, ce n’est pas l’idéal ».
« Les gouvernements fédéraux, comme provinciaux, n’investissent pas assez dans les services pour les réfugiés » – Florence Ngenzebuhoro
Le même constat a été fait il y a un quart de siècle déjà par la directrice générale du CFTG. D’après cette dernière, il n’existait à ce moment pratiquement pas de services en français pour les réfugiés.
« Il y en a peut-être plus aujourd’hui, mais c’est loin de suffire. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les gouvernements fédéraux, comme provinciaux, n’investissent pas assez dans les services pour les réfugiés, ils préfèrent investir dans des services pour les immigrants économiques par exemple », assure-t-elle.
Pour sa part, Luisa Veronis estime que les services en français pour les réfugiés et demandeurs d’asile existent bel et bien, mais le problème se situe au niveau de la communication qui les accompagne, car ces services ne sont pas visibles. Autrement dit, on oriente mal les gens.
Ce qu’il faut améliorer
C’est justement ce mauvais aiguillage que l’universitaire pointe du doigt pour évoquer les motifs de ce non-sens que l’on pourrait rencontrer parfois, s’agissant du placement géographique dans la province des réfugiés parrainés par le gouvernement.
« Les réfugiés sont envoyés majoritairement vers les grandes villes parce que c’est là où sont concentrées les ressources pour les accueillir. Parfois, ce choix est peu judicieux. On l’a observé récemment dans le cas des réfugiés syriens qui ont été placés à Toronto alors qu’ils vivaient dans des zones rurales dans leur pays et étaient des fermiers et des agriculteurs pour la plupart. Donc, évidemment leurs compétences professionnelles n’étaient pas adaptées à leur nouvelle vie », soulève la titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes.
Par ailleurs, là où la théorie rejoint la pratique quant à ce qu’il faut améliorer en priorité, c’est la période d’attente entre le statut de demandeur d’asile et celui de réfugié ou encore de résident permanent, qui revient dans toutes les langues.
Il est vrai que le demandeur d’asile peut obtenir un permis de travail, mais, selon les personnes rencontrées qui sont toujours sous ce régime et qui ont voulu garder l’anonymat pour des raisons évidentes, les employeurs font la moue lorsqu’ils apprennent que le candidat est un demandeur d’asile, puisque cela est synonyme d’instabilité pour eux.
Qui plus est, et comme le souligne la chercheuse, « pour les personnes qui arrivent au Canada et demandent l’asile, cette voie est la plus longue pour la régularisation. Il faut se faire reconnaître ici par une panoplie de documents et, malheureusement, il arrive que les gens qui doivent fuir en urgence leur pays n’aient pas le temps pour rassembler ces preuves ».
Lorsque l’on rajoute à cela la donnée que les requérants d’asile séparés de leur famille ne peuvent prétendre à un regroupement familial, étant eux aussi en situation incertaine (ils peuvent se faire conduire à la frontière par où ils sont entrés au Canada, si leur demande n’aboutit pas faute de preuves convaincantes), l’attente devient insupportable.
Accélérer le processus administratif est donc l’une des priorités pour adoucir, un tant soit peu, les maux de ces immigrants.
Cela est loin d’être insurmontable. Plus que cela, c’est du déjà vu. En effet, durant le paroxysme de la crise sanitaire, le gouvernement a levé la majorité des restrictions afin de régulariser au plus vite les demandeurs d’asile à qui on a fait appel pour prêter main-forte, spécialement dans le secteur de la santé. Seulement, il a fallu une pandémie sans précédent pour que cela soit possible.