Les tribunaux, ces alliés des francophones

(La Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr)
La Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr

[CANADA 150]

OTTAWA – Avec la Loi sur les langues officielles (LLO) en 1969, puis la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), en 1982, les francophones en milieu minoritaire ont gagné un arsenal législatif considérable. Mais ce sont surtout les tribunaux qui ont été leurs plus grands alliés, s’accordent à dire plusieurs spécialistes des droits linguistiques.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Si la Charte consacre, dans son article 23, le droit des francophones de recevoir une instruction dans leur langue maternelle à travers le Canada, il aura fallu aller jusque devant la Cour suprême du Canada pour le faire reconnaître.

« L’article 23 est sans doute le gain le plus important pour les francophones en 150 ans, car l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969 était surtout symbolique et arrivait 50 ans trop tard », estime l’avocat, spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet. « Mais pour la Loi, comme pour la Charte, le problème a ensuite été l’absence de volonté politique qui a forcé le recours aux tribunaux. »

Face à des négociations qui n’avançaient pas dans les provinces et territoires, cette option s’est vite imposée aux francophones. L’arrêt Mahé, en 1990, a marqué un tournant dans les communautés francophones en situation minoritaire en confirmant leur droit de gérer leurs écoles.

« Mais certaines provinces ont été plus proactives, comme l’Ontario, qui a demandé aux tribunaux d’éclaircir ses obligations dès 1984, sans passer par une bataille judiciaire », souligne la professeure adjointe au département de science politique du Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard, qui rappelle que la province avait traversé plusieurs crises en éducation en français à Sturgeon Falls, Cornwall ou encore, Penetanguishene.

Pour la politologue de l’Université de Windsor, Emmanuelle Richez, il faut aussi comprendre que les réticences des provinces à la Charte, dans ce dossier, s’expliquaient par un empiétement du fédéral sur l’une de leurs compétences.

 

Des outils pour se battre

La Charte et la LLO ont eu des impacts majeurs pour la reconnaissance des droits des francophones de l’extérieur du Québec, mais elles n’auraient suffi sans l’engagement des francophones eux-mêmes, rappelle le premier président de la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ), Hubert Gauthier.

« La Charte nous a donné le droit de nous battre, mais elle ne nous a pas construit des écoles. Avec la Loi sur les langues officielles, ce sont de bons outils, mais ça prend surtout des bagarreurs! »

Cette volonté a permis des gains dans des causes comme Arsenault-Cameron, à l’Île-du-Prince-Édouard, confirmant le droit à des établissements d’enseignement quand la demande est suffisante, ou Beaulac, qui précise que le bilinguisme institutionnel signifie « l’accès égal à des services de qualité égale ».

« Plus que les tribunaux, ce sont les francophones eux-mêmes qui ont été leurs propres alliés! » – Hubert Gauthier, premier président de la FFHQ 

 

Un député libéral qui poursuit son gouvernement

Le sénateur Serge Joyal a lui-même fait appel aux tribunaux en 1976. Alors député libéral, il décide d’attaquer son propre gouvernement et Air Canada pour corriger la politique d’unilinguisme anglais du transporteur national.

« Ça a été une grande victoire même si pendant un bon moment, je n’étais pas très bien vu dans les cercles libéraux », sourit-il.

Conscient de l’importance de pouvoir intenter ce genre de poursuites, il annonce ensuite, à titre de Secrétaire d’État, que le gouvernement fédéral financera les contestations juridiques fondées sur les articles 16 à 23 de la Charte qui traitent des questions linguistiques.

« Il ne faut pas hésiter à faire recours aux tribunaux car les gouvernements ne sont pas spontanément généreux. Il faut forcer leur vertu! »

 

La Cour suprême est plus prudente aujourd’hui

Après des années plutôt favorables, marquées par une interprétation généreuse des droits linguistiques de la part des tribunaux, l’heure serait aujourd’hui davantage à la prudence, pense M. Doucet.

« Il faut faire attention avec les dossiers qu’on porte devant la Cour suprême du Canada car il ne faudrait pas qu’il y ait de recul. »

L’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache assure ne pas craindre de retour en arrière, mais regrette que la voie des tribunaux reste encore bien souvent la seule option des communautés francophones en situation minoritaire.

« Cette période devrait être révolue. On devrait être capable de négocier avec les gouvernements! »

Pour le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, Pierre Foucher, les récents revers dans la cause Caron ou le dossier de l’éducation au Yukon montrent un tournant.

« Peut-être que nous sommes arrivés à la limite de ce que le système actuel peut nous donner? Il faut ouvrir d’autres dossiers, même si beaucoup de domaines concernent les provinces. »

La mise en œuvre de la partie VII de la LLO, sur la promotion du français et de l’anglais, demeure assez nébuleuse et pourrait faire l’objet de précisions des juges, suggère Mme Chouinard. D’autant que selon elle, le changement prochain de juge en chef à la Cour suprême du Canada risque de changer la dynamique actuelle.

« Pour l’instant, il n’y a pas ce champion des droits linguistiques à la Cour suprême » – Stéphanie Chouinard, politologue

Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson, mise sur une autre approche.

« Les tribunaux devraient toujours être le dernier recours, même si on a l’impression qu’on y est poussé de plus en plus rapidement. Je pense qu’il y a un travail de sensibilisation à faire auprès des gouvernements pour l’éviter. »

 

Tout au long de la semaine, #ONfr revient sur le 150e anniversaire de la Confédération canadienne avec une série d’articles traitant des enjeux francophones. Pour en savoir plus : http://onfr.tfo.org/