L’histoire et le patrimoine franco-ontariens au cœur de la capitale du Canada
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.
[CHRONIQUE]
Les Franco-Ontariens sont présents partout sur le territoire ontarien et leur enracinement ne fait surtout pas exception à Ottawa. En cette longue fin de semaine de la Fête du Canada, visite guidée textuelle sur la riche histoire et le patrimoine d’exception franco-ontariens au cœur de la capitale du pays.
Secteur de la rue George
Notre visite guidée se concentrera sur le territoire délimité par les rues Boteler au nord, l’avenue King-Edward à l’est, la rue Rideau au sud et la promenade Sussex à l’ouest. Le secteur du Marché By dans la Basse-Ville Ouest d’Ottawa est un site du patrimoine protégé en vertu de la Loi provinciale depuis 1991.
Pour commencer, l’édifice situé au 98, rue George mérite qu’on s’y attarde. Lieu du premier magasin Tigre Géant ouvert en 1961 (et toujours en activité), le bâtiment abritait à l’origine les bureaux du quotidien franco-ontarien Le Droit, de 1915 à 1929. Fondé le 27 mars 1913 en pleine crise du Règlement 17, Le Droit fut le seul quotidien de langue française publié en Ontario pendant plus de cent ans, jusqu’en 2020.
Œuvre artistique tout-à-fait exceptionnelle : une gigantesque murale en hommage à l’histoire franco-ontarienne orne le mur latéral Est du Tigre géant donnant sur une ruelle. Commanditée par la compagnie Tigre Géant et dévoilée en 1992, cette murale, est une œuvre de l’artiste-muraliste franco-ontarien Pierre Hardy et René St-Pierre.
On y aperçoit des symboles et des personnalités de l’histoire franco-ontarienne, tels que la page frontispice de la première édition du Droit et son fondateur, le père Charles Charlebois, la Caisse populaire Saint-Jean-Baptiste d’Ottawa, Alphonse Desjardins, Jos Montferrand, la légende de la Chasse-galerie, l’historien franco-ontarien Séraphin Marion, l’ethnologue Germain Lemieux, le missionnaire et Saint-Martyr-Canadien Jean de Brébeuf ou encore les résistantes au Règlement 17 Jeanne Lajoie et les gardiennes de l’École Guigues.
Le bâtiment situé à côté du 98, rue George, le 366, rue Dalhousie, fut construit en 1929 et également occupé par le quotidien Le Droit (jusqu’en 1955) selon les plans du prolifique architecte dans la région, Charles Brodeur (1871-1936).
À côté, au 377, rue Dalhousie se trouvait l’un des premiers grands magasins à grande surface d’Ottawa, le magasin Larocque. Ouvert en 1923, le magasin était destiné à servir dans leur langue les clients francophones d’Ottawa. Quatre ans après son ouverture une riche famille juive de Montréal s’en porta acquéreur et conserva le nom francophone et le souci d’embaucher du personnel bilingue jusqu’à la fermeture définitive du commerce en 1971. Le bâtiment fut complètement restauré en 1988.
Où est situé l’hôtel Courtyard au 350, rue Dalhousie se trouvaient deux institutions franco-ontariennes aujourd’hui disparues : le Monument National, grandiose édifice aux allures de château érigé en 1906 qui fut le lieu de fondation en 1910 de l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFÉO, aujourd’hui AFO : Assemblée de la francophonie de l’Ontario) et de l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO), en 1929. À ses côtés, le Théâtre Français, ouvert en 1913 (et fermé en 1961), fut l’un des premiers cinémas d’Ottawa. Les deux bâtiments furent démolis en 1963.
De l’autre côté au 325, rue Dalhousie se trouvait le gratte-ciel de l’Union du Canada, une compagnie d’assurance-vie franco-ontarienne fondée en 1863 à Ottawa et qui a fait faillite en De style résolument moderne et construit en béton en 1968 selon les plans de l’architecte Louis-J. Lapierre (né en 1924) la ville d’Ottawa autorisa la démolition en 2013 d’un des rares gratte-ciel franco-ontarien, bien qu’une désignation patrimoniale fut réclamée à l’époque par des citoyens du secteur.
L’ancien entrepôt S.-J. Major de 1929, désigné patrimonial en vertu de la Loi, trône toujours au 126, rue York. Cette prospère entreprise de marché d’alimentation fut fondée par la famille Major d’Orléans et dirigée par Ascanio-J. Major, vraisemblablement le premier millionnaire franco-ontarien.
Fondé en 1852, l’Institut canadien-français d’Ottawa est situé au 316, rue Dalhousie depuis L’Institut est le plus ancien club socio-culturel franco-ontarien. Son président fondateur, Joseph-Balsora Turgeon, fut le premier maire franco-ontarien d’Ottawa, en 1853 et son idée de changer le nom de la cité de Bytown à Ottawa fut retenue.
Secteur des rues Dalhousie et Murray
Des professionnels franco-ontariens continuent d’être en affaires depuis plus de 100 ans au cœur de la capitale du Canada. Située depuis 1994 au 270, rue Dalhousie, la pharmacie Brisson fut fondée en 1921 à Ottawa. Tout près, au 260, rue Dalhousie se trouve les bureaux du cabinet d’avocats Vincent, Dagenais, Gibson, fondé en 1897. Ce sont trois générations de la famille Vincent qui se sont succédé à la tête du cabinet (comme pour la pharmacie Brisson) dont l’avocat Gaston Vincent, président de l’ACFÉO de 1953 à 1959.
Au 213, rue York se trouve les bureaux des Monuments Laurin, entreprise spécialisée dans les monuments funèbres. Comptant à son actif plus de 50 000 réalisations, cette entreprise franco-ontarienne a été fondée en 1902 au 95, rue George, à Ottawa et occupe son emplacement actuel depuis 1956.
Située au 159 rue Murray, l’ancienne École Guigues fut probablement le lieu de la résistance le plus connu au Règlement 17. C’est dans cette école construite en 1904, où enseignèrent les sœurs Diane et Béatrice Desloges, qu’a eu lieu en 1916 la fameuse bataille des épingles à chapeaux. Fermée en 1979, désignée en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario en 1980, l’école est devenue aujourd’hui un centre des aînés et des condominiums. Derrière elle au 172, rue Guigues, se trouve l’ancienne École Routhier.
Construite en 1932 selon les plans de l’architecte Lucien Leblanc, cette imposante école de trois étages (fermée en 1994) se démarque par son style art déco, sa brique jaune caractéristique et ses bas-reliefs, uniques dans l’architecture scolaire franco-ontarienne d’Ottawa.
Secteur de la promenade Sussex
Nouvellement située au 50, rue Rideau, le Centre de services Desjardins Rideau-Sussex est la continuité de la Caisse populaire Notre-Dame d’Ottawa, fondée en 1913 en présence d’Alphonse Desjardins lui-même. Sur ce tronçon du boulevard de la Confédération se trouvait jusqu’en 1989 au 489, promenade Sussex l’Institut Jeanne d’Arc, la seule congrégation féminine catholique de langue française fondée en Ontario, en 1919.
À l’ombre de la basilique-cathédrale se trouvent côte-à-côte trois maisons patrimoniales franco-ontariennes, dont la modeste maison ouvrière en bois Flavien-Rochon au 142, rue Saint-Patrick, l’une des plus vieilles d’Ottawa. À côté, au 144, rue St-Patrick, est située est la maison Valade, résidence et cabinet médical de 1866 à 1918 du docteur François-Xavier Valade, l’un des trois (et seul francophone) médecin chargé d’évaluer l’état mental de Louis Riel pour savoir si ce dernier était apte à subir son procès pour haute trahison en 1885.
Depuis 1992, la galerie d’art franco-ontarienne Jean-Claude-Bergeron est située dans la maison Alphonse-Rochon construite en 1898 au 150, rue St-Patrick. Depuis près de 125 ans, cette maison a toujours été une propriété d’une famille franco-ontarienne. En face, véritable œuvre collective, la construction de la basilique-cathédrale Notre-Dame d’Ottawa s’échelonna de 1841 à 1865.
Elle fut entamée dans le style roman par l’entrepreneur (et premier Franco-Ontarien élu à l’Assemblée législative de l’Ontario en 1883) Honoré Robillard avant d’être achevée dans un style néo-gothique. La décoration intérieure fut réalisée sous la direction du chanoine-architecte Georges Bouillon. Il a été appuyé par de nombreux artisans francophones tels que les Rochon. Elle est la seule église du patrimoine franco-ontarien à être désignée en vertu de la Loi sur le patrimoine provincial et fédéral.
En face, le Musée des beaux-arts du Canada, ouvert en 1988, héberge en son sein la chapelle du couvent Notre-Dame-du-Sacré-Cœur (couvent de la rue Rideau), œuvre également de Charles Bouillon, sauvée de la démolition controversée du couvent franco-ontarien à Ottawa en 1972.
Au 373, promenade Sussex se trouve le berceau de l’enseignement secondaire franco-ontarien à Ottawa. Le bâtiment de style palladien construit en 1847 fut tour-à-tour le palais épiscopal de Monseigneur Guigues et l’hôtel Champagne et une caserne militaire. De 1852 à 1856 l’édifice est occupé par le Collège de Bytown avant de devenir l’Académie De La Salle (une école secondaire privée franco-ontarienne des Frères des Écoles chrétiennes) de 1899 à 1971.
Le bâtiment jouit d’une désignation patrimoniale fédérale depuis 1988. La maison-mère de la congrégation des Sœurs de la Charité d’Ottawa, complété en 1850, est située au 9, rue Bruyère. On peut apercevoir sur le mur extérieur deux cadrans solaires, datant de 1851, les premiers du genre au Canada. L’Hôpital général d’Ottawa (premier hôpital fondé à Ottawa, fondé par Élisabeth Bruyère) était situé à côté du couvent de 1866 à 1980 dans ce vaste complexe institutionnel construit sur plusieurs années.
Notre visite guidée textuelle se termine au 60, rue Boteler. Ce bâtiment typiquement moderne fut construit en 1964 par l’ACFÉO pour y loger ses bureaux et regrouper divers organismes franco-ontariens sous un même toit.
Connue sous le nom de la Maison franco-ontarienne, elle fut dessinée par l’architecte franco-ontarien Auguste Martineau suite à un tirage au sort l’opposant aux deux autres prolifiques architectes franco-ontariens de la région de l’époque, Jean-Serge Le Fort et Roger Thibault. Le Haut-Commissariat de Malaisie occupe les lieux depuis 1974. Le bâtiment a récemment été ajoutée au Registre du patrimoine de la Ville d’Ottawa.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.