Livres en français à Toronto : « J’offre mes excuses aux francophones »

La bibliothécaire en chef de Toronto, Vickery Bowles. Crédit image: les bibliothèques publiques de Toronto

TORONTO – La colère des francophones a eu l’effet d’un électrochoc sur les bibliothèques publiques de Toronto. En plus d’annuler la décision de retirer 26 000 livres en français, l’institution publique confirme maintenant qu’elle achètera, d’ici la fin de l’année, 20 000 nouveaux documents (romans, livres électroniques, DVD,…) en français. Les Franco-Torontois se retrouveront davantage dans leurs bibliothèques, promet la bibliothécaire en chef, Vickery Bowles, qui veut réparer la gaffe commise.

« Je crois que la quantité de matériel que nous voulions enlever, c’était injustifiable. Oui, c’était trop haut. Oui, je le crois vraiment », affirme Vickery Bowles, qui dirige le réseau de bibliothèques publiques de Toronto.

Dans une longue entrevue accordée à ONFR+, elle revient sur cette crise éclaire, qui a éclaboussé son institution et s’est même taillée une place dans certains médias en France.

« Je suis profondément désolée que ça ait provoqué autant d’inquiétudes, d’avoir placé les gens dans cette situation », lâche-t-elle, empathique.

« J’ai beaucoup de respect pour nos deux langues officielles. Il y a une mauvaise compréhension de ce que nous voulions faire. Nous reculons, car nous voulons dire aux gens que nous avons entendu leurs préoccupations », dit-elle.

La décision de retirer 26 000 livres en français des bibliothèques de Toronto, d’abord rapportée par ONFR+, a aussi fait l’objet d’articles dans le quotidien Le Devoir, à Montréal, mais aussi dans des médias basés en France, dont TV5Monde et LivresHebdo. Crédit image : photomontage ONFR+

Mme Bowles affirme, que sur le fond, elle n’a pas changé d’idée : les collections en français ont connu une baisse en popularité et il faut poser des gestes drastiques pour s’attaquer au problème. Mais la décision de retirer autant de livres, sans proposer d’alternatives et sans les remplacer, était la mauvaise, dit-elle, aujourd’hui sans détour.

Elle pose le problème ainsi : les emprunts de documents francophones (livres, dvd, bandes dessinées,…) dans ses bibliothèques ont chuté de 10 %, en cinq ans. Dans le cas des romans en français, elle évoque une baisse des emprunts de 24 %. En comparaison, les romans en anglais ont connu une diminution des emprunts de 2% pendant la même période, avance-t-elle.

Actuellement, un francophone qui se présente à sa bibliothèque de quartier se retrouve face à une petite collection, souvent dépassée et comportant plusieurs doublons, dit-elle.

« Si vous allez à votre bibliothèque et vous voyez deux tablettes de livres en français, ce n’est pas suffisant. Il faut une diversité de matériel », ajoute-t-elle.

En 2019, 336 000 emprunts de documents en français ont été enregistrés dans les bibliothèques publiques de Toronto. La collection francophone comptait alors 150 017 titres.

Le nouveau plan de match

Face à la grogne populaire, Vickery Bowles compte proposer un nouveau projet à la communauté francophone. La clé de voûte, selon elle : l’achat de 20 000 nouveaux documents en français, par année et dès cette année, qui vont séduire la clientèle francophone.

Un engagement qui implique que le budget d’achat de livres et items numériques en français passera de 200 000 à 400 000 $, dès cette année. Une décision qui fera passer la collection francophone à environ 165 000 titres, dès 2020. Elle promet de limiter à 5 000 le nombre de livres retirés, et uniquement, parce qu’ils sont dépassés ou abîmés.

Autre nouveauté : la bibliothèque centrale de Toronto et celle de North York auront des collections bonifiées « très complètes » avec des ouvrages classiques et des nouveautés du Québec, de la France et d’ailleurs en francophonie, dit-elle.

La levée de boucliers des derniers jours a aussi permis de sauver la collection francophone de livres en gros caractères, prisés par des clientèles âgées. La collection sera conservée et même bonifiée.

Mais Vickery Bowles garde cependant le cap sur sa décision de réunir davantage de livres francophones dans un plus petit nombre de bibliothèques.

« Il y aura ainsi des bibliothèques avec de grandes collections francophones », insiste-t-elle. Des petites collections francophones éparpillées ne sont pas attrayantes, martèle-t-elle.

Plutôt que de retrouver des livres en français pour adultes dans 42 bibliothèques, les Franco-Torontois en trouveront donc dans 24 points de service. C’est davantage que les 16 prévus avant la controverse de la semaine passée.

Quant aux bandes dessinées, le plan de les rassembler à un endroit demeure aussi. Elles atterriront toutes à la bibliothèque de North York.

« Il y en avait quelques-unes ailleurs avant, mais c’était des petites collections. Là, nous aurons une riche collection à un endroit », affirme Mme Bowles.

La politique s’en mêle

Vickery Bowles a suivi avec beaucoup d’attention les réactions des francophones suite aux changements initialement proposés. Ultimement, la décision de retirer 26 000 livres aurait été annulée, dit-elle.

Mais sans la pression politique venant du fédéral, de la province et de la Ville de Toronto… ça aurait pris beaucoup plus de temps, admet-elle, du même souffle.

Elle a vu les ministres Caroline Mulroney et Mélanie Joly s’accorder, tour à tour, le crédit pour la résolution de cette crise.

« C’est correct. C’est correct si elles veulent dire ça », lâche-t-elle. « C’est vrai que leur intervention nous a forcé à agir très rapidement. Normalement, on va consulter différentes personnes, là on a été directement à la décision », dit-elle, sans broncher.

Son organisation a quand même répondu rapidement aux critiques et posé des gestes pour calmer le jeu, insiste-t-elle.

« Ce qui est positif c’est de voir comment les gens tiennent à leurs collections en français, d’entendre leur opinion et de pouvoir ajuster notre plan pour montrer que notre institution écoute et répond rapidement », affirme celle qui invite les citoyens francophones à prouver leur attachement aux livres francophones en les empruntant davantage.

Elle invite aussi les francophones et francophiles à participer aux activités culturelles en français proposées, qu’il s’agisse des conférences d’auteurs ou des clubs de lecture, notamment.

Pour connaître leurs goûts en matière de livres, de magazines et de films en français, les bibliothèques publiques de Toronto mèneront des consultations publiques au printemps. Les détails seront connus plus tard, cet hiver, fait-on savoir.