Marc Keelan-Bishop, illustrateur militant

L'illustrateur franco-ontarien Marc Keelan-Bishop. Capture écran TFO 24.7

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

COMTÉ DE PRINCE EDWARD – Ses illustrations ont parsemé les manifestations franco-ontariennes du 1er décembre et depuis l’énoncé économique du 15 novembre, il illustre le mouvement de résistance qui fleurit en Ontario français. Rencontre avec l’illustrateur franco-ontarien, Marc Keelan-Bishop.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Depuis le début de la crise en Ontario français, vos illustrations ont beaucoup circulé sur les médias sociaux. Le 1er décembre, pour les manifestations en opposition aux décisions du gouvernement de Doug Ford, elles étaient très nombreuses dans les cortèges. Qu’est-ce que cela représente pour vous?

Plus jeune, j’aurais sûrement été très fier. Mais avec Internet aujourd’hui, je travaille parfois tellement vite que ce ne sont pas les illustrations dont je suis le plus satisfait. J’aime passer davantage de temps sur une illustration pour qu’elle soit impeccable, ce qui n’est pas possible quand on fait de l’illustration éditoriale comme ça.

Mais je suis content de les avoir partagées et fier pour mes enfants. Ce qui m’a le plus touché, c’est de voir les gens refaire en vrai mon illustration du poing devant le drapeau franco-ontarien.

Où étiez-vous le samedi 1er décembre?

J’étais à Belleville, près de chez moi. J’avais peur qu’on ne soit que 10, mais finalement on était environ 80 personnes. On a eu de belles réactions du public, des gens qui klaxonnaient en guise de soutien.

Que pensez-vous du mouvement de résistance qui s’organise à travers la province?

Au départ, j’étais fâché comme tout le monde, particulièrement par l’abandon du projet d’Université de l’Ontario français. Ce qu’un adulte ne comprend pas toujours, c’est que quand on attend quatre ans ou plus pour un tel projet, ce sont une ou plusieurs générations de jeunes francophones qui n’auront pas droit à cette éducation postsecondaire en français.

Aujourd’hui, ce que je remarque, ce qui est le plus important, c’est de voir le réveil de la communauté qu’on avait déjà senti avec les propos de Denise Bombardier [la journaliste et romancière québécoise avait dit que les francophones hors Québec ont quasiment tous disparu à l’émission Tout le monde en parle, suscitant une controverse].

Comment faire, selon vous, pour que ce mouvement perdure?

Il faut combattre l’invisibilité des Franco-Ontariens et tirer avantage du mouvement qui s’est formé. Regardez les groupes franco-ontariens sur Facebook dont certains sont passés de 4 000 à 27 000 membres!

À titre personnel, depuis le début du mouvement de résistance, j’ai recommencé à dire « Bonjour » et « merci » dans les commerces, même si je sais que la personne ne parle pas le français. C’est comme un muscle, plus on le fait, plus c’est facile. Et si on ne parle qu’en anglais en public, on devient invisible. Si on veut que Ford nous accorde de l’importance, il faut être visible.

Ce qui me fait le plus honte, c’est de voir des commerces francophones ne pas s’afficher en français ni offrir des services dans leur langue, comme Farm Boy qui appartient à des Franco-Ontariens! Ça vient de loin, de toutes les discriminations subies qui ont amené les francophones à avoir honte de leur culture et de leur langue…

Il faut nous faire connaître par la majorité anglophone. Je travaille sur un projet d’affiches en anglais pour partager notre histoire et convaincre les anglophones d’être nos alliés.

Une de vos illustrations les plus utilisées est celle du poing levé devant un drapeau franco-ontarien. Racontez-nous comment s’est déroulée sa création?

Celle-ci, je l’ai partagée dans les cinq minutes après l’annonce des compressions, le 15 novembre, lors de l’énoncé économique. Je me souviens de m’être senti comme si on m’avait frappé dans la gueule lors de ces annonces qui venaient de nulle part et qui étaient spécifiquement portées contre notre communauté. On venait de gagner notre Université de l’Ontario français et là, il fallait tout recommencer à zéro!

Quand j’ai créé cette illustration, je voulais réagir vite, que ça ait un impact. J’avais déjà cette image d’un poing levé que j’avais utilisée pour la mort de Fidel Castro, à Cuba. Ça représentait le poing levé des prisonniers politiques cubains derrière les barreaux. J’ai utilisé cette image, car elle est forte et que je voulais dire aux gens : « Courage! ».

Il s’agit d’une illustration assez puissante et évocatrice. Vous considérez-vous comme un illustrateur militant?

J’ai toujours eu un côté militant, car je suis quelqu’un de très passionné. En illustration, j’aime beaucoup les affiches de propagande, j’en ai quelques-unes, notamment du Vietnam, dans ma collection. Ça m’inspire même si je ne suis pas d’accord avec les causes qu’elles appuient. Ce qui m’intéresse, c’est le design. Et puis, ce n’est pas pour rien que ça a fonctionné. On cherche à y provoquer des émotions et c’est ce que j’essaie de faire aussi.

Mon militantisme vient de ma mère. Elle a grandi en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale et mon grand-père lui laissait écouter la BBC pour lui permettre d’apprendre l’anglais et de savoir que ce n’était pas normal ce qui se passait. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour mon grand-père qui avait un côté rebelle.

D’où puisez-vous votre inspiration?

Je dois dire que je manque très rarement d’inspiration, même si des fois, ça prend plus de temps. J’y pense en faisant la vaisselle, en conduisant…

Pour une illustration plus éditoriale, je n’ai pas cette possibilité. Il faut agir vite! Mais cette contrainte aide parfois la créativité. Je me souviens de cette illustration que j’ai faite quand Donald Trump [président des États-Unis] a annoncé son décret interdisant l’entrée sur le territoire américain, de façon permanente, aux ressortissants de six pays majoritairement musulmans. Elle a été beaucoup partagée, alors qu’elle ne m’a pris qu’une heure à faire.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir illustrateur?

Je pense que mon intérêt pour l’illustration vient de mes parents. Mon père travaillait, le bois et ma mère faisait de la courtepointe. Ils m’ont fait suivre des cours d’art très jeune. À 5 ans, j’ai fait de la poterie et à Noël, je faisais des dessins comme cadeaux.

Il y a tout de même une différence entre aimer dessiner et en faire son métier, non?

En fait, je pense que c’est le journalisme qui m’a fait devenir illustrateur. Avant, je n’avais pas d’objectif quand je dessinais. Mais en devenant directeur créatif, puis en illustrant des articles, ça m’a conduit à en faire un métier. Quand j’ai quitté TFO pour l’Angleterre avec ma femme, j’ai commencé à faire des piges. J’ai notamment travaillé pendant longtemps pour les Producteurs laitiers du Canada.

Y a-t-il des artistes qui vous ont particulièrement inspiré dans votre travail?

J’aime beaucoup Far Side cartoons. Ce sont des illustrations simples, conceptuelles, mais qui font rire et penser. J’aime réussir à raconter des histoires avec très peu de mots. Une image peut être tellement puissante.

Votre passion pour les illustrations remonte à loin. Est-ce vrai que vous aviez déjà créé votre propre compagnie à l’âge de… six ans?

L’école avait demandé de faire des affiches pour un événement, alors j’avais créé ma compagnie pour le faire, même si je ne me faisais pas payer! (Rires) Elle s’appelait Marc inc.!

Est-ce difficile de vivre de son art quand on est illustrateur?

Ça va de mieux en mieux, même si ça dépend toujours des moments. Je me diversifie et fais différent type d’illustrations. Un tiers de mon travail, ce sont des illustrations touristiques, un autre tiers des illustrations commerciales et un dernier tiers, des illustrations franco-ontariennes.

Depuis quelque temps, je travaille avec l’entreprise EnTK, ce qui me permet de vendre mes affiches des rebelles, par exemple. C’est très populaire. Je propose aussi des murales franco-ontariennes pour les écoles que je distribue à travers toute la province.

Vous venez d’une famille où votre père était anglophone et votre mère allemande. Comment expliquer votre engagement en francophonie?

Tout vient de Félix Saint-Denis! Quand j’étais plus jeune, j’étais assez réservée, mais ma voisine de casier m’a parlé de la FESFO [Fédération de la jeunesse franco-ontarienne]. Ça a été un réveil pour moi! Quand j’ai rejoint la FESFO, Félix Saint-Denis était un des animateurs culturels. Il savait raconter les histoires, nous inspirer…


« Je pense que sans la FESFO, je ne connaîtrais même pas le mot « Franco-Ontarien » »


Auparavant, j’avais eu la chance d’étudier en français au Manitoba où mon père avait été muté, à la base des forces canadiennes Shilo.

Comment se porte la francophonie dans le Comté de Prince Edward?

Je dis toujours que je suis un Franco-Ontarien au pays des loyalistes! (Il rit) Il est vrai qu’il s’y trouve très peu de Franco-Ontariens, mais il y a de nombreux francophones à la base militaire de Trenton. Mais ce ne sont souvent que des gens de passage, peu au courant de ce qui se passe en Ontario français et qui ne se sentent pas de sentiment d’appartenance. On a quand même deux écoles de langue française qui sont magnifiques et où vont mes enfants. Sans ces écoles, ma vie ne serait pas aussi francophone.

En 2015, vous aviez réalisé des illustrations des rebelles franco-ontariens pour le 400e anniversaire de présence française en Ontario. Quel est le personnage qui vous inspire le plus dans ces figures marquantes de l’histoire de l’Ontario français?

Béatrice Desloges et la bataille des épingles à chapeaux semblent être un choix trop évident. En fait, je suis plus inspiré par un rebelle que je n’ai pas encore illustré. Ce sont celles et ceux qui se sont rendus au chalet du premier ministre Bill Davis [le 1er septembre 1979, des militants se rendent au chalet du premier ministre pour obtenir une école secondaire de langue française à Penetanguishene]. Leur audace me plaît et j’ai hâte de les dessiner. »


LES DATES-CLÉS DE MARC KEELAN-BISHOP :

1974 : Naissance à London

1994 : Termine ses études en journalisme à La Cité collégiale, à Ottawa

1995 : Débute sa carrière professionnelle à l’émission Volt, de TFO

1999 : Crée sa compagnie Ideomedia, devenue aujourd’hui Marc Keelan-Bishop Illustration

2015 : Réalise les affiches des rebelles franco-ontariens pour les 400 ans de présence française en Ontario

2018 : Son affiche représentant un poing levé devant le drapeau franco-ontarien devient le symbole du mouvement La Résistance

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.