
Mariage des prêtres, place des femmes… ce que des Franco-Ontariens attendent du futur pape

Dans l’Est ontarien, au sein de l’archidiocèse d’Ottawa-Cornwall, des enjeux spirituels, linguistiques et sociaux traversent la communauté catholique francophone, la plus grande hors Québec. Et les attentes sont bien précises envers le futur Saint-Père.
Après les commémorations en l’honneur du pape François, les esprits sont tournés vers la suite : le successeur poursuivra-t-il son œuvre?
« Le changement ne devrait pas arrêter ce que François a mis en place », lance Laurent Souligny, 80 ans, paroissien de St-Isidore très impliqué dans la communauté locale.
Grand chevalier de l’ordre des Chevaliers de Colomb de St-Isidore-Fournier, il plaide pour une Église davantage connectée à la vie des fidèles, notamment en permettant aux prêtres de se marier.

« Ceux qui dirigent une paroisse comprendraient mieux la vie familiale s’ils la vivaient eux-mêmes », souligne ce grand-père, lui-même issu d’une famille chrétienne pratiquante de 11 enfants. Et la réforme autorisant le mariage des prêtres n’est pas vue d’un mauvais œil par les principaux concernés, bien au contraire. Pour l’abbé Albert Kaumba qui officie à la paroisse St-Isidore, il s’agit d’un retour aux sources.
« Qu’on revienne aux origines de l’église où la plupart des apôtres étaient mariés et cela ne posait aucun problème », dit cet abbé d’origine congolaise, installé au Canada depuis 1998 et qui dirige chaque semaine des messes rassemblant environ 80 à 100 fidèles.
Autre souhait de réforme : « l’inclusion des femmes dans toutes nos structures », soutient ce prêtre arrivé à la paroisse St-Isidore en pleine pandémie, alors que l’église venait d’être reconstruite après un incendie.
Laurent Souligny abonde dans le même sens. « Les femmes sont déjà très impliquées, mais elles devraient pouvoir devenir prêtres. » Selon lui, leur présence ne répond pas simplement à un souci d’égalité, mais de compréhension pastorale. « Cela permettrait peut-être de ramener du monde à l’église », est-il convaincu.

François Lanthier, un employé de l’archidiocèse d’Ottawa-Cornwall estime que l’Église a perdu beaucoup de terrain à cause de blessures non reconnues. « L’Ontario français a été blessé, comme le Québec. Des femmes ont été soumises à des grossesses multiples. Ma propre grand-mère a eu 13 enfants, elle s’est arrêtée uniquement parce que son mari est mort », témoigne ce directeur des communications et de la promotion de la Mission de l’archidiocèse.
Ce passé douloureux a éloigné plusieurs générations. « Les femmes ont transmis cette distance à leurs enfants, créant une génération coupée de l’Église », poursuit-il.
Même son de cloche du côté de Jean Comtois, 87 ans, bénévole engagé avec sa famille durant des décennies à la paroisse Sainte-Geneviève à Ottawa. Cet ancien agent du ministère de l’Éducation observe, non sans inquiétude, les transformations démographiques dans les paroisses. « Dans plusieurs églises d’Ottawa, on voit de moins en moins de fidèles. »
À ses yeux, les jeunes se détournent de la foi, souvent faute d’un engagement réel de leurs parents. « Si les parents ne viennent pas à l’église, les enfants non plus. »
Un message envers les Franco-Ontariens
Pour regagner la confiance, un geste fort serait nécessaire. « Ce serait bien de recevoir un message spécifique pour notre réalité, pas seulement un communiqué bilingue générique. Quelque chose de personnalisé pour les Franco-Ontariens », fait remarquer François Lanthier. Il cite en exemple le geste du pape François envers les peuples autochtones : « Sa visite a ouvert une porte, sans tout régler. Mais c’était un signe. Un geste similaire pour les francophones serait tout autant apprécié. »
Le poids du français dans l’Église ontarienne reste aussi un enjeu crucial. « À Ottawa et dans la région, les francophones ne représentent plus que 8 à 10 % de la population catholique. On est dans un combat constant pour maintenir notre place », déplore François Lanthier.
Selon lui, le diocèse voit pourtant un renouveau grâce à l’arrivée de nouveaux Canadiens, des communautés africaines, maghrébines, asiatiques francophones remplissent désormais les églises. Une bénédiction!
Par ailleurs, les statistiques peuvent être trompeuses. Situant entre 200 000 à 300 000 le nombre de catholiques francophones dans l’Est ontarien, cet employé de l’archidiocèse d’Ottawa-Cornwall relève que seuls environ 10 000 seraient pratiquants réguliers. « On parle d’un bassin allant d’Ottawa à Pembroke. Mais la majorité est constituée de catholiques culturels, qu’on ne voit qu’aux mariages ou aux funérailles », tempère-t-il.
Un défi spirituel et politique
Une chose est sûre pour François Lanthier, le futur pape devra naviguer dans des réalités complexes.
« Il doit comprendre les enjeux des sociétés occidentales : droits des femmes, communautés LGBTQ, aide médicale à mourir, tensions politiques… L’Église ne changera pas son message, mais elle doit savoir aimer, écouter », assure-t-il.
Pour sa part, Jean Comtois voit dans l’approche du pape François une boussole spirituelle pour l’Église moderne. Il appelle ainsi l’Église à « être un endroit où l’on détruit la haine, la violence, la méfiance. C’est cela que les francophones recherchent aussi : un lieu de paix. »
Dans ce sens, il cite à plusieurs reprises la vision d’une « Église pauvre pour les pauvres », d’un « hôpital de campagne pour les blessés », et d’un lieu de réconciliation.
De son côté, l’Abbé Albert Kaumba invite les fidèles à la prière pour les cardinaux électeurs qui se réunissent en conclave à partir de ce mercredi. « Ce sont 133 personnes qui vont faire un choix lourd de conséquences. Prions pour qu’ils choisissent selon le désir de nombreux chrétiens. »