Rencontres

Marie-Eve Sylvestre : ancrer l’Université d’Ottawa dans sa communauté

À la tête de l’Université d’Ottawa, Marie-Eve Sylvestre entend renforcer les liens avec la communauté franco-ontarienne et autochtone. Photo : uOttawa

OTTAWA – Première femme à la tête de l’Université d’Ottawa depuis sa fondation en 1848, Marie-Eve Sylvestre place la francophonie, l’engagement communautaire et l’autochtonisation au cœur de son mandat. Rectrice désignée depuis le 3 juin, elle souhaite conjuguer ambition académique et gestion responsable pour assurer la viabilité et le rayonnement de l’établissement.

« D’où vient votre intérêt pour le droit et comment votre parcours s’incarne-t-il dans l’identité de l’Université d’Ottawa que vous dirigez désormais?

Cela fait déjà plusieurs années, depuis la fin du secondaire et mes débuts collégiaux au Québec, que j’ai développé un intérêt pour le droit. À l’époque, je m’impliquais dans la politique étudiante, dans la représentation des droits et des intérêts des étudiants.

C’est ce goût pour la représentation et la justice sociale qui m’a naturellement amenée vers le droit, nourri aussi par mes préoccupations citoyennes et sociales. Ma famille venait d’un milieu de classe moyenne, et observer ces réalités m’a poussée vers ces enjeux.

En entamant mes études en droit à l’Université de Montréal, puis aux cycles supérieurs, je me suis particulièrement intéressée aux interactions entre le droit et les populations marginalisées, racisées et autochtones. J’y voyais la capacité du droit à provoquer du changement et à contribuer à la réforme de notre société pour plus de justice.

Est-ce ce fil conducteur a animé votre parcours de chercheuse et d’enseignante?

Oui, tout autant que mes interactions avec les étudiants, essentielles à mes yeux. Dès cette époque, j’ai commencé à tisser des partenariats avec la communauté.

Aujourd’hui, au rectorat, ma vision est celle d’une université actrice sociale, ancrée dans son milieu, qui répond aux besoins de formation et de recherche et interagit avec différentes communautés : les francophones, le secteur privé, les gouvernements, les milieux de la santé et de l’éducation. Mon mandat sera placé sous le signe de l’ouverture et du partenariat.

Lors de votre désignation, trois priorités ont été mises de l’avant : la francophonie, les Autochtones et la viabilité financière. Sur la question autochtone, on compte environ 1000 étudiants sur 49 000. Quels sont vos objectifs?

J’étais doyenne de la Faculté de droit avant ma nomination, et j’y ai créé un programme spécifique pour les étudiants autochtones : un certificat en droit autochtone. Ce programme leur donne accès aux études en droit de manière plus accessible, moins étrangère et dans le respect des cultures. J’aimerais promouvoir ce type de modèle à l’échelle de l’université.

L’Université d’Ottawa a déjà annoncé la gratuité pour les nations anichinabées présentes sur le territoire que nous occupons. Mais il faut aller plus loin : diminuer les barrières d’accès aux études postsecondaires, créer un milieu accueillant, transformer nos espaces physiques, mieux comprendre et valoriser les savoirs autochtones, qui sont milléniaux.

En droit, par exemple, les Autochtones concluaient déjà des traités internationaux bien avant l’arrivée des colons européens. L’université a donc un rôle à jouer pour tendre la main aux communautés, répondre à leurs besoins et appuyer la revitalisation des langues.

Et pour ce qui est de la francophonie, disposez-vous de moyens suffisants?

En matière de francophonie, il existe un réel sous-financement provincial. L’Université d’Ottawa offre près de 400 programmes en français, dont environ 60 exclusivement en français. Nous accueillons environ 80 % des étudiants francophones de l’Ontario : nous desservons donc une large part de la communauté.

Cela demande des fonds pour appuyer le développement de ces programmes. Un groupe d’experts qui s’est penché sur la viabilité financière des universités ontariennes a démontré qu’il existait un manque à gagner important, particulièrement en ce qui concerne la mission francophone de l’Université d’Ottawa. Le ministère a d’ailleurs mis sur pied un groupe de travail pour chiffrer ce manque et mieux appuyer les étudiants francophones.

Est-ce que la majorité des étudiants francophones viennent de l’étranger?

Pas nécessairement. Cette année, on observe une hausse importante des inscriptions d’étudiants francophones ontariens et de la communauté d’Ottawa, ce qui est un excellent signe.

En revanche, nous anticipons une baisse du nombre d’étudiants francophones internationaux en raison des délais et restrictions fédérales sur les visas. Aujourd’hui, la majorité de nos francophones proviennent de l’Ontario, du Canada et du Québec.

Justement, ces restrictions sur les permis d’études vont-elles impacter vos ressources?

Le contexte budgétaire reste difficile : restrictions provinciales sur les frais de scolarité, financement stagnant sauf dans quelques secteurs précis, et limites imposées par le fédéral quant au nombre de permis d’études octroyés aux étudiants internationaux. Cela touche tout le secteur universitaire.

Face à cette réalité, nous devons être créatifs : générer de nouveaux revenus, rationaliser nos dépenses, tout en protégeant notre mission fondamentale — l’enseignement, la recherche et le service à la communauté franco-ontarienne.

Lors des réductions de permis d’études, l’impact sur la mission francophone n’a pas toujours été évalué. Une plainte a d’ailleurs été déposée au Commissariat aux langues officielles et nous attendons son rapport. Entre-temps, des ajustements ont été faits, mais des difficultés persistent, notamment avec des taux d’acceptation de visas très variables qui touchent particulièrement les étudiants issus de pays francophones.

Venons-en à la viabilité financière. L’Université était en déficit en 2023. Où en êtes-vous aujourd’hui?

En 2023, l’Université d’Ottawa affichait un déficit opérationnel de 18 millions de dollars. Ce n’est pas soutenable à long terme. Le Bureau des gouverneurs a donc approuvé un plan visant à revenir à l’équilibre budgétaire d’ici deux ans.

Nous faisons les représentations nécessaires auprès des gouvernements, mais nous travaillons aussi à diversifier nos sources de revenu. Mon objectif est clair : conjuguer ambition académique et gestion responsable pour assurer la viabilité et le rayonnement de l’établissement.


2005 : Se joint au corps professoral de l’Université d’Ottawa après des études en droit à l’Université de Montréal et un doctorat (S.J.D.) à Harvard.

2019 : Devient doyenne de la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

2022 : Reçoit la distinction d’avocate émérite (Ad. E.) du Barreau du Québec.

2025 : Est nommée rectrice et vice-chancelière de l’Université d’Ottawa

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones en Ontario et au Canada.