Marie-France Kenny, quatre ans après le départ de la FCFA
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
REGINA – Depuis quatre ans, Marie-France Kenny voyage un peu moins à travers le Canada. En juin 2015, la Fransaskoise alors présidente sortante de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada laissait son siège à Sylviane Lanthier. En marge de l’assemblée générale annuelle de l’organisme, cette fin de semaine, rencontre avec celle qui reste à ce jour l’ancienne présidente la plus longtemps en poste à la tête de l’organisme.
« Lors de vos six ans en tant que présidente de la FCFA de 2009 à 2015, vous aviez l’habitude de dire qu’il était minuit moins une pour la francophonie en contexte minoritaire. Quelle heure est-il donc aujourd’hui, en juin 2019?
Je dirais qu’il y a certains progrès, notamment sur la manière dont on fait le compte des francophones. On a changé le règlement, mais on n’est pas allé assez loin. J’aurais aimé que ce soit dans la Loi sur les langues officielles. [Le nouveau règlement présenté en octobre veut changer la façon de calculer le nombre de personnes ayant droit aux services dans la langue officielle minoritaire].
On a vu aussi l’augmentation du financement du Plan d’action pour les langues officielles, mais pas à la hauteur de ce qu’on aurait dû avoir. Pour les médias, il y a eu aussi un fonds d’aide, même si les critères sont très restrictifs. Le jour où l’on dit, on a fini de revendiquer, la FCFA n’existera plus. Je rêve de cela.
Un mot sur Jean Johnson, l’un de vos successeurs, qui s’apprête à être réélu par acclamation président de la FCFA?
Je n’ai pas à me prononcer sur mes prédécesseurs ni mes successeurs. Le dossier chaud, c’est la modernisation de la Loi sur les langues officielles, et le dossier de l’immigration. Encore là, on est loin d’avoir accompli tout ce que l’on devait faire.
Est-ce que vous voyez des défis pour lui?
D’une manière générale, il faut qu’on apprenne à se mobiliser davantage, mais pas seulement quand on est en crise. Il faut aller chercher des gens du Québec. Il y a eu cette sensibilisation pendant la crise linguistique. Ronald Caza fut le seul qui a parlé des francophones au-delà de l’Acadie, du Québec, et de l’Ontario, quand il était à Tout le monde en parle. C’était un beau moment pour sensibiliser les autres!
Et vous, depuis juin 2015, que faites-vous?
J’ai pris une pause, et ensuite je suis retournée à mes deux entreprises, Dualicom laquelle permet des services de traductions et MFK Solutions. J’ai repris des contrats, je me suis impliquée dans la communauté en tant que présidente de la Coopérative des publications fransaskoises. Avec tous ces financements et les coupures dans la publicité fédérale, il a fallu restructurer notre journal. On a porté le journal [L’Eau vive] à bout de bras pendant quelques années.
J’avoue qu’après la FCFA, le téléphone sonne moins. Je me suis retrouvée à prendre une pause, renouer avec des amis, car je n’étais pas souvent à Regina. Je suis la ligne 1-800 quand on a besoin d’informations sur la gouvernance et les règlements (rires). Je fais encore partie de la politique, je prépare des notes de breffages à titre bénévole pour certains élus peu importe la couleur politique.
On célèbre cette année le 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles. Est-ce le moment idéal pour la moderniser?
Bah oui, il est temps de donner du mordant à cette loi! Je n’ai jamais vu une loi qui n’a pas été appliquée à la lettre au Canada, hormis la Loi sur les premières nations (sic). Imaginez si on ne mettait pas notre ceinture de sécurité!
La semaine dernière, nous avions écrit un article pour dire justement que l’idée de pénaliser financièrement ceux ne respectant pas cette loi divisait encore. On avait pris l’exemple de Don Boudria, l’ancien député fédéral, opposé à des amendes. Et vous, quel est votre avis?
Bah oui, mais oui, il faut des sanctions! Une loi, c’est une loi! Quelle autre loi on se permet de ne pas appliquer!
Six ans à la tête de la FCFA, ce n’est pas rien. Qu’est-ce qui a été le plus difficile durant ces années?
C’était entre les mains très compétentes de la directrice générale Suzanne Bossé qui gérait. Le plus difficile, c’est que la politique communautaire, comme la politique parlementaire, est ingrate. Il n’est pas toujours évident de prendre les critiques, de se faire critiquer pour se faire critiquer, surtout les attaques personnelles.
Il fallait constamment me battre avec un gouvernement. Le plus dur, c’était de transiger avec le comité permanent des langues officielles qui tournait en rond et n’était pas fonctionnel. C’était une perte de temps, une perte d’argent. Les huis clos ne donnaient pas suite aux recommandations. Le comité n’était pas là pour nous, mais pour les partisaneries. Le comité est maintenant plus fonctionnel. Tous les partis ont maintenant décidé de travailler ensemble, ce qui n’était pas le cas avant.
Vous connaissez donc Andrew Scheer… Que pensez-vous de sa vision pour la francophonie?
Andrew, je le connais depuis longtemps. Au niveau des dossiers francophones, il s’y connait. Son français s’est amélioré, mais ses positions officielles, je ne les connais pas toutes. Je sais que certains dans son entourage ont dit qu’il faut moderniser la Loi sur les langues officielles, mais ce sont les mêmes qui bloquaient la modernisation de cette loi quand les conservateurs étaient au pouvoir.
Certains leaders vous ont-ils impressionnée?
Oui, je dirais Michael Chong, James Moore, Maria Chaput, Yvon Godin, Stéphane Dion… Je suis vraiment non partisane. D’ailleurs, avec James Moore [ancien ministre du Patrimoine canadien], les premières rencontres n’étaient pas jojo. Il a fallu mettre les points sur les i et les barres aux t… Il a refusé longtemps de me rencontrer, mais après on a établi une relation où l’on s’appelait pour préparer certaines choses. Il m’a consultée pour la préparation de la Feuille de route. Il y avait des choses bien dans notre relation, mais lorsque je lui disais que le comité permanent sur les langues officielles était dysfonctionnel, il n’a jamais bougé.
Pourquoi votre aspiration à défendre la francophonie?
J’ai fait mes études en anglais, et je suis née au Québec et j’ai grandi au Québec. Mais à 25 ans, je suis partie à Moncton, une province bilingue. Un jour, dans une banque, je me suis fait dire I don’t speak french, et je me suis fait engueuler. J’ai réalisé que j’avais, à tort, pris la langue française pour acquise en vivant à Montréal. C’est là que j’ai décidé de m’impliquer à la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), puis avec la communauté francophone en Saskatchewan.
Pourquoi avoir déménagé en Saskatchewan?
Essentiellement pour travailler à Financement agricole Canada en tant que traductrice. J’ai été par la suite directrice des langues officielles et de traduction, puis je suis passée de l’autre côté de la clôture étant présidente de l’Assemblée communautaire fransaksoise (ACF). Mon PDG à Financement agricole Canada m’a dit que ce n’était pas un conflit d’intérêt, car le mandat était de favoriser l’épanouissement de la communauté.
Quel est le véritable défi pour les francophones qui militent en Saskatchewan?
Le défi, c’est la division de la communauté (soupir). De plus, il y a des problèmes de gouvernance à l’Assemblée communautaire fransaskoise de Regina (ACFR). Certaines gens ne connaissent pas ce qu’est la gouvernance.
Le gouvernement du Parti saskwatchanais est en place depuis 2007. Sentez-vous une volonté de ce gouvernement de faire avancer les dossiers?
(Hésitation). C’est encore drôle, je viens de recevoir un sondage du gouvernement, effectué auprès des organismes communautaires. C’est une évaluation en matière d’affaires francophones. Le problème, je ne sais même pas si les engagements du gouvernement ont été réalisés. Je pense, par exemple, aux traductions d’affiches publiques qui étaient bourrées d’erreurs. On ne sait pas si le suivi a été fait.
Concrètement, qu’est-ce qui manque donc aujourd’hui?
La reconnaissance! La Direction des affaires francophones (DAF) est maintenant dépendante du ministère des Parcs, de la Culture et du Sport. Est-ce que le sport a besoin d’être francophone? Qu’est-ce que cela veut dire? On souhaite plus qu’une politique sur les services en français, c’est sûr. La politique est là où c’est pertinent. Pour le permis de conduire, tu peux aller passer ton test en français, mais les services ne sont pas dans tous les bureaux. Globalement, il y a un manque d’information.
De toutes les provinces, la Saskatchewan est celle qui comporte le moins de francophones, un peu plus de 17 000 en tout, n’est-ce pas un désavantage quand il faut revendiquer?
Oui, mais là on parle seulement de francophones de langue maternelle. Il faut ajouter les francophones de choix. Plein de gens sont arrivés ici, mais avec d’autres langues, pleins d’anglophones vivent ici en français. Si on additionne tous ces gens, on peut arriver à 50 000 ou 60 000. Partout où je vais, je peux être servie en français. »
LES DATES CLÉS DE MARIE-FRANCE KENNY :
1963 : Naissance à Montréal
1994 : Arrrivée en Saskatchewan
2004 : Présidente pendant deux ans de l’Assemblée communautaire fransaksoise (ACF)
2009 : Élue présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA)
2015 : Fin du mandat à la FCFA
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.