Michel Doucet, Acadien 365 jours par année
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
MONCTON – Incontournable personnage de la francophonie canadienne, avocat et ancien professeur de droit spécialisé dans les questions linguistiques, l’acadien Michel Doucet est retraité depuis cinq ans. Retraité? Peut-être, mais toujours aussi actif et volubile quand il s’agit d’analyser et de commenter un dossier qu’il suit depuis plus de 40 ans.
« Pour commencer, et c’est la question que l’on a posée à tous nos invités de la Rencontre ONFR+ depuis mi-mars, comment se passe votre confinement?
Il n’y a pas eu tant de cas dans notre province, mais d’un point de vue personnel, c’est assez difficile, du fait de la maladie de mon épouse. On doit rester très prudent, car son système immunitaire est diminué.
De plus, nos deux filles ne peuvent toujours pas nous visiter. Une est à Kingston, et nous l’avons vue pour la dernière fois en février, l’autre est dans le Connecticut, aux États-Unis, et on ne l’a pas revue depuis décembre. Ça ajoute du stress, mais j’essaie de vivre normalement et de continuer à travailler.
Samedi, ce sera la Fête nationale de l’Acadie. Que faites-vous habituellement le 15 août et qu’avez-vous prévu cette année?
Normalement, c’est la journée la plus spéciale de l’année pour notre famille. Peu importe les fonctions que j’occupais, j’ai toujours pris cette journée fériée pour participer au tintamarre, puis souper en famille.
« Ma fille qui est aux États-Unis m’a dit qu’elle fêterait le 15 août là-bas »
Cette année, ce sera différent, car le 16 août, nous devons être à Halifax où mon épouse doit subir une greffe de la moelle osseuse. Mais peut-être que nous pourrons participer s’il y a un tintamarre en voiture. Et on organisera un zoom avec nos filles.
Est-ce parce que votre fille est aux États-Unis que vous suivez particulièrement la politique américaine et n’hésitez jamais à dénoncer le président Donald Trump?
Je ne l’aimais pas bien avant! Mais la pandémie a montré à quel point c’est une personne totalement déconnectée de la réalité qui empire la situation. Heureusement, ma fille vit dans le Connecticut où ils ont pris des mesures dès le départ.
Qu’est-ce que le 15 août représente pour vous?
Ça doit être le moment où on célèbre sa fierté acadienne, mais aussi où on réfléchit à où on en est rendu comme communauté et ce qu’il reste à faire. Si on affirme notre identité uniquement le 15 août, ça ne veut rien dire.
Je déplore que beaucoup de personnes ne se sentent acadiennes que le 15 août. Mais c’est toute l’année qu’on doit revendiquer le respect de nos droits et de notre identité.
Est-ce que c’est quelque chose que vous célébriez déjà, plus jeune, en famille?
Quand j’étais plus jeune, on ne se posait pas la question de savoir si on était Acadien. On vivait tout en français, au quotidien. À l’adolescence, j’ai commencé à participer à la parade à Caraquet et ça a été l’événement marquant qui m’a permis d’affirmer mon identité.
Est-ce que c’est ça qui vous a conduit vers la défense des droits linguistiques?
Ça a commencé bien avant l’adolescence. J’ai même l’habitude de dire que comme Obélix, je suis tombé dans la potion magique quand j’étais petit! (Rires)
Vous savez, quand vous avez été élevé à Bathurst, avec une mère unilingue francophone, vous réalisez très vite les inégalités entre les anglophones et les francophones. Rien que pour jouer au baseball ou au hockey, même dans une communauté aussi francophone, il fallait parler anglais!
À l’école, j’ai vite compris que quelque chose n’allait pas. Les petits francophones apprenaient très vite l’anglais, mais nos confrères anglophones arrivaient à peine à dire « oui » ou « non » en français!
On avait du mal à se faire servir dans notre langue dans les magasins, c’était l’époque du maire Leonard Jones, à Moncton… Je ne comprenais pas la situation, d’autant qu’on avait adopté la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, en 1969. Ça m’a fait prendre conscience des inégalités linguistiques.
La situation linguistique du Nouveau-Brunswick est toujours difficile et les débats aussi nombreux qu’houleux. Comment le vivez-vous personnellement, vous qui êtes impliqué dans cette cause depuis de nombreuses années?
Je trouve ça décevant, plus de 50 ans après le bilinguisme officiel… Il y a eu des progrès, mais on est loin des attentes suscitées au moment de l’adoption de la Loi. Il y a encore beaucoup de batailles qu’on menait dans les années 70 qui sont encore d’actualité. C’est assez démoralisant.
Pourquoi d’après vous?
Nous n’avons pas eu de champions des langues officielles au niveau politique, à part peut-être Jean-Maurice Simard, sous le gouvernement Hatfield. Même Louis Robichaud [premier ministre acadien du Nouveau-Brunswick de 1960 à 1970] a été assez timide.
Aucun n’a voulu faire comprendre l’importance des langues officielles et la signification de l’égalité linguistique. La majorité n’a jamais vraiment saisi l’enjeu et même une grande partie de la communauté acadienne ne le comprend pas ni le prend au sérieux.
Une rumeur a fusé récemment sur la renaissance du Parti acadien. Pensez-vous que ce serait une bonne idée?
Si on est pour le faire, il faudrait le faire plus sérieusement! Même si je n’aime pas l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, il faut reconnaître qu’ils sont allés rencontrer et discuter avec du monde avant tout.
Lancer l’idée de relancer le Parti acadien comme ça risque de faire plus de mal que de bien à la communauté acadienne. Et je ne crois pas que celle-ci soit prête à appuyer ça.
Personnellement, j’ai été intéressé, à l’époque, par le Parti acadien [dans les années 70-80]. Je pourrais encore l’être aujourd’hui, mais il faudrait que la démarche soit menée plus sérieusement et qu’on sache quel est le projet.
Au cours de votre carrière d’avocat en droits linguistiques, quelle est la cause à laquelle vous avez contribué et qui vous rend le plus fier aujourd’hui?
Elles ont toutes été importantes! Mais politiquement, je citerais celle menée quand j’étais le président de la SAANB sur l’enchâssement de l’article 16.1 [sur le principe d’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick] dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Juridiquement, je dirais l’affaire Charlebois contre Moncton [obligeant les autorités provinciales et municipales à étendre les services bilingues dans la province], le dossier Paulin jusqu’en Cour suprême qui a permis de clarifier les obligations linguistiques des institutions fédérales au Nouveau-Brunswick, notamment de la Gendarmerie royale du Canada et enfin, la cause des circonscriptions acadiennes en Nouvelle-Écosse.
« Nous avons gagné devant deux fossoyeurs du peuple acadien! »
Ce dernier cas est très symbolique, car pendant les audiences, chaque matin, je passais devant l’église Saint-Paul d’Halifax, le lieu où est enterré Charles Lawrence qui a signé la déportation des Acadiens. Puis je plaidais à la Cour suprême de Nouvelle-Écosse où se trouve un portrait de Jonathan Belcher, qui a rendu le jugement sur la déportation des Acadiens.
En 2013, vous aviez décidé de ne plus prendre de nouvelles causes linguistiques. Vous reprochiez la judiciarisation de cet enjeu. Finalement, vous n’êtes pas parvenu à vous détacher vraiment?
Les dossiers linguistiques sont très difficiles émotivement. Ils touchent notre quotidien et nous affectent personnellement. C’est épuisant!
Quand j’ai pris cette décision, j’espérais que quelqu’un prendrait la relève, car je pense qu’il est vraiment important d’avoir des avocats acadiens pour défendre ces causes dans la province. Ils comprennent le contexte historique et politique. Mais ce n’est pas le plus payant et beaucoup d’avocats préfèrent représenter le gouvernement, par exemple.
Et puis, ce sont de longs dossiers, onéreux et parfois démoralisant pour les communautés.
Aujourd’hui, ça m’attriste un peu de voir que personne n’a repris le flambeau. À 65 ans, je ne me sens pas de rembarquer dans une cause de dix ans, même si je suis encore prêt à aider sur des dossiers.
Vous étiez parmi les candidats au poste de commissaire aux langues officielles, en 2017. Qu’est-ce que vous auriez fait différemment?
J’ai toujours déploré que le Commissariat soit moins présent dans les régions qu’il l’était auparavant. Pourtant, c’est souvent là que les gens subissent les manquements aux droits linguistiques.
C’est devenu une institution centralisée qui n’a plus de visage. J’aurais voulu changer ça et aussi donner plus de mordant au Commissariat. Après 50 ans de Loi sur les langues officielles et en constatant encore tous les problèmes, je pense qu’il faut être plus agressif.
Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux, n’hésitez jamais à prendre position, y compris parfois contre la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick que vous avez présidée. Est-ce que le terme franc-tireur vous correspond bien?
Je n’aime aucun terme. Quand quelque chose me dérange, je le dis! Un des problèmes de la SANB, comme de nombreux organismes francophones, c’est la difficulté à accepter la critique. On prend ça personnel, alors que si je le fais, pour ma part, c’est parce que je pense que ces organismes ont un rôle important à jouer. Quand je vois qu’ils sont absents d’un dossier, je le dis! Il ne faut pas qu’ils deviennent les véhicules de Patrimoine canadien. J’ai toutefois bon espoir avec le nouveau président de la SANB, Alexandre Cédric Doucet, qui semble vouloir revenir à la raison d’être de l’organisme.
La politique, ça ne vous a jamais tenté?
On m’a approché plusieurs fois. Ça m’intéressait, mais à l’époque, mes filles étaient trop jeunes. La famille passait en premier. Et puis, j’ai réalisé que je pouvais contribuer et faire bouger les choses autrement.
La politique, on dit que c’est l’art du compromis et je ne suis donc pas sûr que ça aurait marché pour moi. J’ai des principes que je ne pourrais pas remettre en cause, comme celui de l’égalité linguistique. J’avais dit à un chef de parti à l’époque que si j’acceptais de me lancer en politique, il devrait se débarrasser de moi dans cinq ou six mois! (Il sourit)
Vous avez récemment lancé un blogue. Pour quelle raison?
Des fois, on veut aller plus en profondeur qu’un simple gazouillis ou une entrevue avec un journaliste qui choisira un extrait. Ce qui m’a convaincu, c’est le dossier judiciaire en Colombie-Britannique. J’avais écrit un texte que j’ai fait un peu circuler, on m’a conseillé de le publier, mais je ne me sentais pas de passer à travers tout le processus des revues scientifiques. Et puis, je pense qu’avec un blogue, on touche plus de gens. Mais si je le fais, c’est surtout pour moi. Je ne fais pas de jardinage, je ne sais pas bricoler, mais je ne peux pas me passer d’écrire.
Pourquoi ne pas plutôt aller vers les romans alors?
(Rires) J’adore lire et ceux qui me connaissent savent à quel point j’aime les romans policiers scandinaves, notamment. Mais je n’ai pas la prétention d’avoir cette habilité.
Vous semblez parfois un peu découragé par la situation des droits linguistiques, mais demeurez encore actif. Pourquoi?
Je me le demande parfois. (Il réfléchit) Peut-être que je suis têtu? Je ne supporte par l’injustice et que des lois soient bafouées.
Quand j’étudiais le droit, on me conseillait d’aller en droit fiscal ou commercial. Peut-être que ça m’aurait donné moins de maux de tête, mais ça fait partie de ma vie et de mon identité. Même si je ne suis pas optimiste, si je peux faire avancer les choses ne serait-ce qu’un peu…
En terminant, quel serait votre souhait pour l’Acadie à l’occasion de la Fête nationale, cette année?
Que les Acadiens prennent conscience de leur identité et de l’importance de rester vigilants. Il ne faut pas devenir complaisant, mais être Acadien 365 jours par année! »
LES DATES-CLÉS DE MICHEL DOUCET :
1955 : Naissance à Bathurst
1986 : Président de la SAANB (Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick)
1995 : Doyen de la Faculté de droit de l’Université de Moncton
2002 : Membre du Tribunal canadien des droits de la personne
2010 : Directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques
2019 : Ordre du Nouveau-Brunswick
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.