Nouveau-Brunswick : une pénurie de personnel infirmier au cœur d’un débat sur le bilinguisme en milieu hospitalier
FREDERICTON – Les propos du premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, qui a déclaré en Chambre que les exigences linguistiques étaient un obstacle au recrutement de personnel de soins infirmiers, soulèvent l’inquiétude dans les communautés francophones et acadienne. M. Higgs laisse entendre que le français est au cœur du problème de pénurie de personnel infirmier au Centre hospitalier universitaire Georges-L.-Dumont, de Moncton.
« Peut-être le moment est-il venu d’examiner nos soins de santé dans leur ensemble et de nous demander quels sont les obstacles qui empêchent les gens de rester, de travailler et de vivre au Nouveau-Brunswick dans tous les cas », s’est interrogé le premier ministre s’adressant à la chambre, il y a quelques jours.
« Cela comprend la capacité de parler les deux langues officielles. Nous devons comprendre. Devons-nous former les gens à la langue après qu’ils aient obtenu leur diplôme et qu’ils soient en mesure de travailler afin de garder les gens ici? Quels sont les défis à relever? »
Pour le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Alexandre Cédric Doucet, il s’agit là de propos déjà entendus auparavant.
« C’est le (discours) classique des gouvernements populistes qui, lorsqu’il y a une crise, au lieu de trouver des solutions concrètes, vont trouver un fautif. En tant qu’Acadiens, on est habitués d’être pointés du doigt pour dire que c’est la faute (de l’aspect) linguistique si on ne peut pas régler le problème », déplore M. Doucet.
D’ailleurs, les paroles prononcées l’Assemblé législative par M. Higgs font écho à son passé politique au sein du Confederation of Regions Party qui a vu le jour à la fin des années 1980 et qui a été dissout en 2002. Le parti CoR était farouchement opposé au bilinguisme au Nouveau-Brunswick.
« Sans aller en détail dans l’historique de Blain Higgs comme personne et ancien candidat à la chefferie du parti CoR, c’est certain que lorsqu’il a été élu chef chez les progressistes conservateurs en 2016, une des premières choses qu’il a mise de l’avant au niveau des langues officielles, c’est l’abolition des régies de santé au niveau des francophones et des anglophones. Donc, il a toujours eu un problème de compréhension profond en ce qui a trait aux langues officielles chez monsieur Higgs, et là je pense que sincèrement, sans dire qu’il le fait exprès, c’est très proche là », pense M. Doucet.
Le chef du Parti vert du Nouveau-Brunswick, David Coon, estime quant à lui que les lois sont claires et que le premier ministre devrait en rester là.
« Je ne comprends pas son commentaire. Pourquoi créer une peur dans la communauté francophone au Nouveau-Brunswick? C’est facile pour lui (le premier ministre Blaine Higgs), il doit seulement dire qu’il appuie la loi qui reconnait l’égalité des deux communautés linguistiques officielles, la Loi sur les langues officielles et la Charte (canadienne de Droits et Libertés) c’est tout! », affirme M. Coon.
Identifier les vraies causes de la pénurie de personnel infirmier
Alexandre Cédric Doucet de la SANB, souhaiterait que le gouvernement concentre son énergie sur les véritables causes du manque de personnel infirmier.
« Il y a plusieurs solutions à ce problème-là. Il y a toute la question de l’examen d’entrée et les documents préparatoires au niveau des infirmières francophones qui sont totalement désavantagées. Il y a toute la question de la reconnaissance des acquis pour les infirmières qui proviennent d’autres provinces, mais surtout d’autres pays (qui) ne peuvent pas accéder à la profession au Nouveau-Brunswick. Il y a toute la question aussi des inégalités salariales des infirmières au Nouveau-Brunswick, vis-à-vis des autres provinces. Au niveau du recrutement, le Nouveau-Brunswick se doit de regarder toutes ces solutions-là et ça prend un minimum de volonté politique », estime le président de la SANB.
Pour le chef intérimaire du Parti libéral du Nouveau-Brunswick, Roger Melanson, le fait que le personnel infirmier de la province soit sans contrat de travail depuis plus de deux ans est une des causes principales du manque de main-d’œuvre actuel dans le réseau de la santé de la province.
« La barrière et l’enjeu, c’est que le gouvernement actuel au Nouveau-Brunswick n’investit pas dans la rétention et le recrutement de personnel dans le secteur de la santé, et je soulignerais que le gouvernement actuel n’a toujours pas réglé la convention collective qui est échue depuis décembre 2018 avec nos infirmières et infirmiers au Nouveau-Brunswick. Alors comment voulez-vous retenir ou recruter des gens en nursing lorsqu’il n’y a même pas de convention collective qui améliorerait les services? », demande M. Melanson.
David Coon du Parti vert ne s’oppose pas à une réforme du réseau de la santé, mais il espère que rien ne sera oublié.
« Oui, nous devons améliorer notre système de soins de santé absolument tout de suite, mais ce n’est pas un enjeu linguistique. C’est un enjeu des salaires pour les infirmières, c’est une question de mauvaises conditions de travail. C’est aussi pour moi un enjeu de centralisation qui existe maintenant au Nouveau-Brunswick dans le système de soins de santé juste avec les deux grands réseaux de santé, mais ce n’est pas une question de langues officielles. Les nouveaux infirmiers et infirmières regardent les options au Québec, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, avec un salaire acceptable et des postes permanents », soutient-il.
Car les postes permanents se font de plus en plus rares pour celles et ceux qui aspirent à œuvrer dans le secteur de la santé au Nouveau-Brunswick.
« Les postes à Vitalité (un des deux réseaux de santé du Nouveau-Brunswick), depuis cinq ans à peu près, sont des postes non-permanents en grande partie. Alors, ce n’est pas attirant. Tout le monde veut avoir du travail, tout le monde veut avoir une certaine stabilité, et des postes permanents c’est un élément important », explique le libéral Roger Melanson.
Il souligne que les problèmes sont nombreux et que certains d’entre eux surviennent avant même que les candidates et candidats aient obtenu leur diplôme.
« Il y a toute la question d’avoir des incitatifs financiers pour retenir et recruter du personnel dans le secteur de nursing et d’infirmières auxiliaires. Il y a toute la question aussi de l’examen pour les gradués en nursing francophones, qui est un examen anglophone qui cause des problèmes sérieux à celles et ceux qui graduent de l’Université de Moncton. Le gouvernement n’a toujours pas réglé ce dossier-là. Et on remarque que les gradués de l’Université de Moncton choisissent d’aller dans d’autres juridictions », poursuit M. Melanson.
Enfin, pour Alexandre Cédric Doucet, il n’est pas question de laisser les politiciens empiéter sur les droits linguistiques des francophones et acadiens de sa province.
« C’est extrêmement inquiétant de voir tout ça, et j’espère avoir une mobilisation de la communauté acadienne et francophone et la SANB sera au front », prévient-il.
Le Nouveau-Brunswick a un système de santé divisé en deux entités, l’une anglophone, l’autre francophone, afin de permettre a chacune des deux communautés linguistiques de gérer son propre réseau de soins de santé. Elles sont toutefois toutes deux tenues de servir les patients dans la langue officielle de leur choix.