Les aurores boréales de Prince Albert, en Saskatchewan, ont pu inspirer l'artiste choisi par la troupe du jour, Michael Bowden, en octobre. Photo: Michael Bowden

OTTAWA – Le projet d’écriture Nuits claires, qui met en valeur des auteurs de tout le pays, en est à la dernière étape ontarienne de son parcours. C’est Louis-Philippe Roy qui a été choisi par La Nouvelle Scène Gilles Desjardins afin de relever le défi du mois de février. ONFR s’est entretenu avec lui et Sylvain Lavoie, stratège communication du Théâtre français du Centre national des arts (CNA), juste avant qu’il reçoive les instructions qui orienteraient sa démarche.

Nuits claires est une idée de Mani Soleymanlou, directeur artistique du Théâtre français du CNA, et de Corey Haas, directeur artistique et général du Théâtre la Seizième de Vancouver. Ils ont sélectionné douze compagnies de théâtre à travers le Canada. Chaque compagnie a choisi un auteur ou une autrice. Chaque mois, l’auteur sélectionné doit produire un texte d’une dizaine de minutes, s’appuyant sur des « consignes-contraintes ludiques », dont la nature est jalousement gardée.

Ce sont les artistes Danielle Le Saux-Farmer et Gabriel Plante qui transmettent les consignes à chaque nouvelle page de calendrier. Ils coordonneront aussi le rendu final, une présentation qui aura lieu les 12 et 13 septembre à Ottawa, pendant les prochaines Zones théâtrales.

Réfléchir à la nuit

Le thème principal est la nuit. Les auteurs sont d’ailleurs invités à écrire la nuit pour réfléchir à leur rapport avec elle. Ce rapport diffère selon les situations de vie, les provinces ou territoires et le moment de l’année.

Louis-Philippe Roy écrira pendant le mois le plus court, mais aussi celui où l’on commence à voir les journées s’allonger. L’autrice Geneviève Doyon a écrit au mois d’août à Whitehorse, où les heures d’ensoleillement varient énormément (de 14 h à 17 h d’ensoleillement par jour en août, mais moins de 6 h au milieu de l’hiver). La mère de famille du Yukon et l’oiseau de nuit insomniaque de Toronto (Carolyn Fe, qui vient de terminer l’étape de janvier) n’ont probablement pas les mêmes inspirations quand elles réfléchissent au grand thème de la nuit.

Louis-Philippe Roy est l’auteur désigné par La Nouvelle Scène Gilles Desjardins d’Ottawa. Photo : Gracieuseté du Théâtre français du CNA.

L’idée est aussi que « les gens de la francophonie ne parlent pas tant de l’angle d’identité, mais parlent d’autre chose », explique Sylvain Lavoie.

Et selon lui, le public trouvera aussi son compte. « Tout le monde vit la nuit, ou essaie de l’éviter, ou la subit, peu importe. »

« Bien qu’on demande notre parole, que chacun est choisi pour sa personnalité, je pense qu’au final, l’œuvre veut avoir une portée plus large que notre expérience personnelle », renchérit Louis-Philippe Roy.

L’auteur de février estime que « la nuit, il y a quelque chose qui est interdit. Ou alors, tous les interdits sont possibles. On a moins de retenue ».

Représenter le Canada

Après ER Simbagoye à Sudbury et Carolyn Fe à Toronto, Louis-Philippe Roy est le troisième auteur à représenter l’Ontario, étant rattaché à La Nouvelle Scène Gilles Desjardins d’Ottawa. Pour celui qui habite de l’autre côté de la rivière des Outaouais, à Gatineau, il est important de refléter la réalité de cette région à cheval entre deux provinces.

« Il y a pour moi une responsabilité. Je trouve que notre milieu fourmille d’artistes, d’auteurs, de créateurs. De faire partie de la sélection, il y a un mandat de rendre justice à l’effervescence des plumes qu’il y a ici, à Ottawa et Gatineau. »

ER Simbagoye est l’artiste qui a représenté Sudbury et le Théâtre du Nouvel-Ontario en décembre. Photo : Gracieuseté du Théâtre français du CNA

Nuits claires suivra ensuite son cours au Québec (Montréal et Québec) et au Nouveau-Brunswick (Moncton et Caraquet). Les écrits seront ensuite assemblés pour être présentés aux zones théâtrales. « Les gens d’ici vont être doublement représentés, car on va travailler avec des gens de la région pour ce rendu théâtral », affirme Sylvain Lavoie.

Beaucoup de mystère

Les douze auteurs, dont l’identité est dévoilée mois après mois, se sont rencontrés virtuellement une seule fois, au début du projet. Ils se transmettent quelques notes dans un cahier Canada, envoyé à l’auteur suivant avec plus ou moins de fluidité, selon l’état des postes. Ce cahier joue un peu le rôle de témoin, comme lors d’une course à relais.

Mais à part cet élément, les auteurs n’ont pas accès à ce qui a été écrit dans les étapes précédentes. « Je pense que ça fait partie du concept et de l’excitation liée à ce processus-là, affirme Louis-Philippe Roy avec enthousiasme. D’unifier un thème, mais de travailler chacun dans son silo, et de ne pas se parler, je trouve ça vraiment stimulant et intrigant. »

Geneviève Doyon était l’autrice du mois d’août, choisie par le théâtre bilingue, l’Open Pit theatre. Photo : Gracieuseté du Théâtre français du CNA

Sylvain Lavoie explique la raison derrière ce mystère entre les auteurs. « L’Ouest commençait en juillet avec rien. On imaginait mal la dernière personne, en juin, recevoir (tous les textes). C’est à la fois riche et en même temps, c’est un poids immense. »

Le processus est également un brin déstabilisant pour des auteurs habitués aux créations collectives, et habitués à réfléchir au rendu final d’une pièce lors de l’écriture. Ici, le but est vraiment de laisser la liberté à l’auteur.

« C’est rare que les auteurs soient mis de l’avant d’abord et avant tout dans le processus, explique l’artiste de février. Je pense qu’ils veulent vraiment nous envelopper dans un cocon pour mettre toutes les chances de notre côté. »

Au moment de commencer son étape, Louis-Philippe Roy est fébrile. « C’est un projet vertigineux, ambitieux. Mais pour les auteurs et autrices, je trouve que ça apporte un côté complètement surprenant de ne pas savoir ce qu’ils vont construire (avec ça). Gabriel et Danielle ne tentent pas de nous obliger dans une forme théâtrale (…) La balle est dans leur camp. »