Olivia Chow : défis, embûches et pistes francophones
TORONTO – Logement, transport, sécurité, services en français… Fraichement élue mairesse de Toronto, Olivia Chow doit maintenant répondre à des attentes élevées, avec deux épines dans le pied : un déficit handicapant et un gouvernement provincial à l’opposé de l’échiquier politique.
L’édile de la Ville Reine, qui entrera en poste le 12 juillet, a promis de s’attaquer à la crise du logement en en construisant 25 000 habitations à loyer contrôlé sur des terrains appartenant à la ville avec un minimum de 7 500 unités abordables. Elle a également l’intention de retirer du marché privé des unités pour les confier à des organismes sans but lucratif en investissant 100 millions de dollars par an dans un fonds dédié.
Ses marges de manœuvre unilatérales resteront toutefois extrêmement limitées, la plupart des règles du jeu étant fixées par la province. Elle dispose en effet de « peu de leviers pour mettre en place ses promesses quand on pense, par exemple, à la question de la protection des locataires qui incombe au gouvernement provincial et du cadre législatif autour de la Loi sur les locataires », contextualise Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster.
Quant à la construction de nouveaux logements publics, la capacité d’acheter des appartements sur le marché immobilier réclamera un budget conséquent alors que les caisses de la Ville sont vides. « Il faut avoir de l’argent pour le faire et, si elle va de l’avant, elle devra nécessairement mettre en veilleuse d’autres priorités », croit M. Graefe.
La 66e mairesse de Toronto est aussi attendue sur la question de la fiabilité et de la sécurité des transports en commun. « S’il y a de l’argent à dépenser dans ce secteur, ce sera plus pour geler les tarifs et freiner des coupes qui risquaient de se produire dans les niveaux de service, que pour embaucher des agents de sécurité », anticipe le politologue.
Mais elle devra dans le même temps répondre, d’une manière ou d’une autre, aux attentes des Torontois en matière de sécurité en trouvant des façons qui n’induisent pas de nouvelles dépenses trop élevées.
Francophonie : au-delà des mots, des actes?
Sur le plan de la francophonie, Olivia Chow a promis de « défendre les communautés de langue française auprès des gouvernements provincial et fédéral pour le financement d’institutions comme la Maison de la francophonie ».
Cette déclaration sans grande prise de risque, au micro d’ONFR+, sera-t-elle honorée? Son prédécesseur John Tory, qui avait manifesté le même appétit, n’a jamais vraiment su ou voulu influencer le fédéral sur ce projet en panne.
« Elle n’a pas une vision classique du Canada binationale comme John Tory », soulève M. Graefe. « Je ne pense donc pas qu’elle va investir de l’attention ou de l’énergie dans ce domaine. »
Mme Chow s’est en outre engagée à trouver « une façon de communiquer les annonces et les services de la Ville de Toronto à la communauté francophone de notre ville » qui tiennent compte des langues officielles, et à explorer l’idée d’« un commissaire municipal aux services en français ».
Le conseil municipal voudra-t-il se risquer à rétablir des communications bilingues abolies par le passé? Et quelles chances de voir le jour aura un poste de commissaire? Avec quelle indépendance et quels pouvoirs? Autant de questions dont les membres du prochain Comité consultatif aux affaires francophones de la ville pourront se saisir dès leur entrée en fonction au courant de l’été.
Combler un « trou structurel » dans le budget
Mme Chow sait que, pour tenir ses promesses, elle devra trouver de nouvelles sources de financement, à la fois par des hausses d’impôt et des transferts en provenance de la province et du palier fédéral. Sa tâche est immense, avertit M. Graefe.
« Depuis les années Miller (David Miller, ex-maire qui a précédé Rob Ford et John Tory), les maires parlent de « trou structurel », que Toronto n’est pas comme les autres villes, qu’elle a besoin d’avoir un mode de financement différent… Mais les taxes foncières sont les plus basses parmi l’ensemble des municipalités avoisinantes et John Tory a laissé une facture salée. »
Et d’ajouter : « Il y a un énorme besoin de réinvestissement dans les services publics, mais je ne vois pas comment Mme Chow va arriver à mettre son programme en œuvre avec une augmentation « modeste » des taxes foncières. Elle pourra juste éviter des coupes, mais l’espace public a connu une telle dégradation qu’il faut tout changer. C’est cette attente qui a porté Mme Chow au pouvoir. »
Une partie de la réponse réside également dans sa capacité à négocier de nouvelles mannes financières auprès des gouvernements.
S’entendre avec Doug Ford
« Ça dépendra de sa capacité à négocier avec eux », abonde le politologue. « Elle a démontré une certaine habileté en ce sens par le passé avec le maire Mel Latsman qui n’est pas si loin de Doug Ford de par son tempérament et son positionnement idéologique. »
« Si par exemple elle sait faire des concessions sur des projets de Doug Ford comme celui de la Place de l’Ontario, peut-être sera-t-il prêt à aller dans la même direction avec elle sur d’autres fonds comme le transport en commun. »
Mme Chow et M. Ford partagent un intérêt commun à avancer malgré leur opposition idéologique, estime M. Graefe, d’autant que le premier ministre a montré qu’il pouvait changer son fusil d’épaule dans certaines circonstances. « Il y a un potentiel d’avoir des relations tendues, mais aussi d’aller chercher des compromis. »
Olivia Chow a trois ans pour convaincre.
Dix promesses phares de la mairesse
– Lutter contre les rénovictions via un fonds de 100 M$ par an.
– Augmenter la taxe sur les logements vacants de 1% à 3%
– Étendre les équipes de crise communautaires à l’échelle de la ville.
– Lutter contre le projet de méga-spa de luxe sur la Place de l’Ontario.
– Maintenir le Centre des sciences dans Flemingdon et Thorncliffe.
– Augmenter les droits de cession immobilière sur les maisons de luxe.
– Élargir les heures d’ouverture de la bibliothèque en semaine.
– Créer un itinéraire de transport en commun rapide pour Scarborough.
– Augmenter le financement du Conseil des arts de 10 M$ sur cinq ans.
– Doubler les augmentations de financement pour les organismes de services aux arts.
Article écrit avec la collaboration de Sandra Padovani.