Pénurie d’infirmières francophones à prévoir en Ontario?
OTTAWA – Le très faible taux de réussite à l’examen en français d’accréditation pour les étudiants en sciences infirmières, en Ontario, pousse les francophones à se tourner vers l’anglais. Une situation qui pourrait menacer, à terme, l’offre de service de santé en français dans la province, s’inquiètent des intervenants.
« J’ai choisi d’aller dans une école anglophone pour apprendre mon métier en anglais et pour écrire mon examen en anglais. Quand une Québécoise d’origine comme moi décide d’entamer cette procédure, ça en dit beaucoup sur la situation! »
Le cas d’Ashley Pelletier-Simard, étudiante à l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, et membre de l’Association des étudiant(e)s infirmier(ère)s du Canada (AEIC), est représentatif de la situation que vivent beaucoup d’étudiants francophones de l’extérieur du Québec, à commencer par l’Ontario.
Depuis la mise en place de l’examen d’accréditation américain NCLEX, en 2015, le taux de réussite à l’examen d’accréditation en sciences infirmières s’est effondré chez les francophones. Problèmes de traduction et manque de ressources pédagogiques en français sont les principaux points avancés.
En Ontario, sur 117 inscrits pour une première tentative à l’examen d’accréditation en 2017, 15 étudiants ont tenté leur chance en français et seulement 33,3 % l’ont réussi, contre 75,5 % pour les étudiants qui ont fait leur première tentative en anglais. Un an plus tôt, le taux de réussite à l’examen en français était de 37,5 %.
« Nous avions des taux de réussite beaucoup plus élevés auparavant, au-delà de 70 % », se souvient Michelle Lalonde, professeure à l’École des sciences infirmières de la Faculté des sciences de la santé à l’Université d’Ottawa.
Les étudiants s’interrogent
Si le taux d’inscription n’a pas encore diminué à l’Université d’Ottawa, les étudiants s’interrogent.
« De plus en plus d’étudiants se demandent s’ils n’auraient pas dû étudier en anglais. Mais on a aussi un pourcentage de 20 à 30 % d’étudiants qui ne sont pas en mesure d’étudier en anglais, qui sont venus à l’Université d’Ottawa parce que le programme est en français et qui ne savent pas quoi faire. »
À l’Université Laurentienne, ce sont « entre 80 et 100 % » des étudiants francophones qui ont décidé de passer leur examen d’accréditation en anglais, après avoir étudié en français, explique Sylvie Larocque, directrice de l’École de sciences infirmières. Beaucoup de nouveaux étudiants hésitent à s’inscrire au programme en français, selon elle.
« On a fait beaucoup d’efforts dans les derniers 10 ans pour encourager les francophones à étudier en français, pour ensuite offrir des services aux francophones en contexte minoritaire. S’ils optent pour étudier en anglais, il va sûrement y avoir un effet sur le nombre d’infirmières francophones », s’inquiète Mme Larocque.
Un avis que partage Mme Lalonde.
Des pouvoirs limités pour le fédéral
Représentants étudiants et des écoles de sciences infirmières étaient ce mercredi devant les députés fédéraux du comité permanent des langues officielles pour aborder le sujet.
Mais la marge de manœuvre du gouvernement fédéral est limitée, explique l’avocat acadien spécialiste en droits linguistiques, Michel Doucet.
« Politiquement, un rapport pourrait avoir un impact, mais légalement, les ordres professionnels sont de compétence provinciale. Le seul pouvoir qu’a le fédéral, c’est celui de dépenser. Il pourrait donner aux ordres professionnels des fonds pour les aider à s’adapter, comme ça a pu être le cas au Nouveau-Brunswick, quand la Loi sur les langues officielles de la province impliquait des obligations pour les municipalités. Le fédéral leur avait donné du financement pour aider à traduire les arrêtés municipaux. »
Le gouvernement fédéral a déjà contribué au développement de ressources pédagogiques en français, ces deux dernières années, via le Consortium national de formation en santé (CNFS). Mais de l’aveu de Mme Larocque, on est encore loin du compte.
« C’est une goutte dans un océan si on compare aux ressources qui existent en anglais. »
Un nouveau test?
Mme Lalonde espère toutefois que l’appui des députés fédéraux fera bouger les choses.
« C’est un plus! Ils peuvent mettre de la pression pour qu’il y ait des changements. »
Car en coulisses, l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI) travaille sur une solution. Elle envisage de proposer, à l’automne 2019, un test canadien et bilingue au Conseil canadien des organismes de réglementation de la profession infirmière (CCORPI). Restera ensuite à convaincre les ordres professionnels, dont l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, de l’adopter. Et la partie ne semble pas facile.
« On a des réunions avec l’Ordre pour leur faire réaliser l’ampleur du problème. Ils voient les chiffres, mais ne comprennent pas encore l’impact de cette situation », analyse Mme Larocque.
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