
Pourquoi le projet de loi 5 est-il si controversé?

TORONTO – Ce nouveau projet de loi du gouvernement Ford fait grand bruit depuis quelques semaines, et ce n’est qu’un début. Pour doper l’économie face aux volte-face américaines, l’Ontario veut créer des « zones économiques spéciales » pour s’affranchir de réglementations provinciales et accélérer des projets à fort potentiel économique tels que l’exploitation minière. « Un passe-droit » qui donnerait « carte blanche » au gouvernement, s’insurge l’opposition, et ferait fi des droits autochtones et des normes environnementales.
Ce projet de loi 5, Loi de 2025 pour protéger l’Ontario en libérant son économie, passé en seconde lecture et en étude en comité, pourrait être adopté dans les prochaines semaines.
Le principe est simple, faire accélérer les processus d’approbation de projets d’infrastructure et d’exploitation minière du Cercle de feu dans le Nord de l’Ontario, ou encore l’extension de la déchetterie de Dresden, notamment grâce à la création de « zones économiques spéciales » permettant à des investisseurs de s’affranchir de réglementations provinciales.
Les partis d’opposition dénoncent un passe-droit qui donne « carte blanche au gouvernement pour exempter n’importe quel projet ou secteur des lois et règlements en vigueur » et demandent que le gouvernement retire le projet de loi et reparte de zéro.
« Les « zones économiques spéciales » (…) ne sont rien d’autre qu’un raccourci pour permettre à ce gouvernement de faire ce qu’il veut, où il veut, a déploré la cheffe de l’opposition officielle Marit Stiles. Sans consentement. Sans consultations. Sans respecter les lois, c’est la méthode de ce gouvernement. »
Des groupes de protection environnementale et animale s’inquiètent des conséquences sur les peuples autochtones, mais aussi de l’abrogation de la Loi sur les espèces en voie de disparition de l’Ontario.
Des groupes et chefs de plusieurs Premières Nations, dont les Chefs de l’Ontario, les Nations Nishnawbe Aski, Anishinabek ou encore l’Association des Iroquois et des Indiens alliés, ont tenu lundi une conférence de presse demandant l’abrogation d’un projet de loi qui « piétine les traités », désapprouvant l’absence de consultations.
Le gouvernement tente de réctifier les points de tension
Le député néo-démocrate Sol Mamakwa, porte-parole de l’opposition en Affaires autochtones, a qualifié les amendements de dernière minute que le gouvernement apporte au projet de loi comme « une insulte destinée à faire baisser la température ».
En comité, le projet de loi a en effet été l’objet de plusieurs ajustements, notamment des éléments de langage citant la reconnaissance des droits ancestraux de traités existants prévus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Le bureau du premier ministre a également indiqué que les Premières Nations seraient consultées sur les zones économiques après l’adoption du projet de loi pour élaborer des réglementations.
« Nous avons compris le besoin de renforcer le projet de loi, a déclaré aujourd’hui Stephen Lecce, le ministre de l’Énergie et des Mines. Nous respecterons la Constitution et nous ferons des consultations. »
Greg Rickford, le ministre des Affaires autochtones et de la Réconciliation économique avec les Premières Nations a également défendu en chambre le fait que ce projet de loi pourrait augmenter leur potentiel économique.
« On les traite avec le plus grand respect. On fait plus pour eux que n’importe quel gouvernement. 3 milliards de dollars ont été donnés aux Premières Nations pour qu’ils soient nos partenaires », a également défendu Doug Ford. Il faut éliminer les formalités pour permettre aux entreprises du monde entier d’investir (…) La population nous a donné un large mandat pour tenir tête au président Trump. »
« Ce projet de loi est profondément vicié à de nombreux niveaux : atteinte aux droits des Autochtones, affaiblissement des protections environnementales, attaque contre les règles du travail, absence de surveillance démocratique… la liste est longue. Ce projet de loi est voué à l’échec dès son dépôt : il doit être abandonné et remplacé », a tranché en mêlée de presse le chef du Parti vert Mike Schreiner
Des priorités inconciliables?
Interrogé par ONFR aujourd’hui sur une possible conciliation entre développement minier et droit autochtone, Sol Mamakwa analyse : « Vous savez, je pense qu’il faut pouvoir comprendre les répercussions sur les modes de vie, les impacts sur les animaux, sur notre peuple. (…) Je ne suis pas certain qu’il existe réellement un développement minier durable. Et vous savez, ce mot-là, nous ne l’avons même pas dans notre langue. »

« Cependant, je pense qu’il y a des possibilités de collaborer dans le respect, de travailler avec les Premières Nations. Et je crois que c’est la voie qu’elles souhaitent emprunter. Or, en ce moment, on ne les écoute pas », conclut-il.
Le gouvernement fédéral semble, lui, vouloir ménager la chèvre et le chou : « Nous faisons face à l’un des plus grands défis de notre génération, et nous devons travailler ensemble pour faire avancer des projets d’intérêt national qui rendront le Canada plus fort, plus compétitif et permettront de faire croître notre économie afin qu’elle devienne la plus forte du G7 », a exprimé le bureau de la ministre de l’Environnement Julie Dabrusin.
De concéder que : « La Couronne a l’obligation légale de consulter (les peuples autochtones), une responsabilité qui s’applique également aux provinces et aux territoires. Bien faire les choses est essentiel pour accélérer les projets d’intérêt national et éviter les retards liés à des contestations judiciaires. »
Les échanges autour du projet de loi 5 se poursuivent en comité à Queen’s Park aujourd’hui et demain.