L'Université d'Ottawa a remis des doctorats honorifiques à David Williams, Yvette Bonny et Myrna Lashley. Photo: gracieuseté de Jude Mary Cénat

Jude Mary Cénat est professeur en psychologie à l’Université d’Ottawa, où il est directeur du laboratoire de recherche Vulnérabilité, Trauma, Résilience et Culture et du Centre interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s. Il organise le deuxième colloque national sur la santé mentale des personnes noires.

Le colloque a débuté mercredi et se déroule jusqu’à vendredi, le 18 octobre, à l’Université d’Ottawa. Le thème est Santé mentale des communautés noires : reconquérir les sentiers de la joie. Au tout début de l’événement, des doctorats honorifiques ont été remis à trois sommités en la matière : David Williams, Yvette Bonny et Myrna Lashley.

Le système de santé canadien, d’autant plus dans le domaine de la santé mentale, ne prend généralement pas en compte les déterminants sociaux et les enjeux particuliers vécus par les personnes noires. Une approche où « on ne voit pas les couleurs » invisibilise des patients dont les conditions ne sont pas prises toujours au sérieux.

« Pourquoi faut-il un colloque national sur la santé mentale des personnes noires?

Parce qu’au Canada, la santé mentale des personnes noires est sous attaque de manière continuelle. Les personnes noires ont des conditions sociales et économiques moins favorables que la population générale, et donc une espérance de vie moindre. Il y a un ensemble de déterminants sociaux, en plus de la discrimination raciale.

Les soins que l’on fournit aux personnes noires ne sont pas culturellement adaptés. En tant que professionnels de la santé mentale, et je m’inclus là-dedans car j’ai aussi été formé dans ce système, nous ne savons pas comment aborder les enjeux raciaux dans nos soins, car nous n’avons pas été formés pour le faire.

Quelles ont été les avancées depuis le premier colloque en 2022, dans le cadre d’un projet de l’Agence de santé publique du Canada, qui a un fond spécial sur la santé mentale des communautés noires?

Il y a eu des pas en avant, mais aussi des reculs. Depuis cinq ans, la parole s’est libérée. Les gens ont commencé à parler de santé mentale dans les communautés noires elles-mêmes, grâce aux projets que l’on a menés. Il y a de nouvelles formations disponibles. Aussi, ce fonds était une avancée importante, mais il y a eu une grosse réduction du budget et ça ne répond pas du tout aux besoins.

Au Canada, on a une approche color blind, on est aveugle sur les enjeux raciaux. Des gens vont dire : moi, je ne vois pas la couleur de peau quand je prends quelqu’un en charge. Sauf que quand la couleur de peau de la personne fait partie du problème, ne pas la voir, c’est une attitude profondément raciste.

Le premier Colloque national sur la santé mentale des personnes noires a eu lieu en 2022. Photo : gracieuseté de Jude Mary Cénat

Les hôpitaux, services en santé mentale et conseils scolaires commencent à former leur personnel. Il y a des réticences, surtout dans les services de psychiatrie. C’est la toute puissance (des médecins) qui continue. Beaucoup de personnes noires vont subir des soins coercitifs. Un manque de confiance envers les services en santé mentale persiste aussi dans les communautés noires.

Quels sont les thèmes discutés cette semaine?

Le titre du colloque est Reconquérir les sentiers de la joie. On va parler des déterminants sociaux des communautés noires. Qu’est-ce qui les empêche d’être en bonne santé mentale?

Ensuite, on va évaluer les résultats obtenus dans les programmes de prévention, de sensibilisation et de mobilisation qui ont été mis en place pendant les deux à cinq dernières années. Comment a-t-on pu permettre aux communautés noires de mieux faire face aux dynamiques sociales et économiques? Comment ça a pu leur permettre de retrouver leur joie de vivre?

Parce que c’est ce qu’ils demandent, de pouvoir vivre dans la joie et dans la bonne santé mentale, et ainsi pouvoir mieux contribuer à la société canadienne.

Avez-vous des pistes de solution?

Depuis cinq ans, on a quand même développé un ensemble de choses, dont des formations qui sont aujourd’hui implantées dans plusieurs pays. Parmi celles-ci, il y a Fournir des soins en santé mentale antiracistes, une formation bilingue qui permet de former les psychologues, travailleurs sociaux, psychiatres, médecins de familles, infirmiers, psychothérapeutes, etc.

On accompagne aussi les hôpitaux, écoles et services de santé en assurant un suivi sur les changements mis en place.

Jude Mary Cénat est professeur en psychologie à l’Université d’Ottawa et organisateur du Colloque national sur la santé mentale des personnes noires. Photo : gracieuseté de Jude Mary Cénat.

L’antiracisme n’est pas une finalité. C’est un processus. On doit toujours essayer de s’améliorer. Quand le système est antiraciste, c’est bon pour tout le monde.

Il y a aussi plusieurs cas où on n’a rien fait pour des enfants blancs qui auraient dû être retirés de leur milieu. En formation, je donne l’exemple de la fillette de Granby… le système n’aurait jamais laissé une enfant négligée comme ça dans une famille noire, on l’aurait placée. On ne croit pas en la capacité de changement des parents noirs, mais on croit facilement en celle des parents blancs.

On sait que l’humain est capable des pires choses comme des meilleures. Il faut voir les gens dans leur humanité et les juger avec objectivité.

Quelle est la part du français dans le colloque?

Trois conférenciers sur huit sont francophones. Certains vont intervenir totalement en français. Il y aura la traduction simultanée dans les deux langues officielles tout au long du colloque.

On doit reconnaître qu’il y a très peu de recherche en français, au Canada, sur la santé mentale des communautés noires. Il y a aussi moins de confiance. Les personnes noires anglophones sont mieux nanties, en quelque sorte. Il y a une double stigmatisation : ‘En plus d’être noir, il est francophone.’

Il y a des intersections entre être noir, femme, musulman, francophone, etc. Tous ces enjeux s’imbriquent. 

Qui sont ces trois sommités qui ont reçu un doctorat honorifique de l’Université d’Ottawa?

David Williams est la première personne au monde à avoir permis d’évaluer le racisme de manière quantitative.

Myrna Lashley a beaucoup travaillé sur les relations entre la police et les jeunes des communautés noires. Elle a permis de former des policiers sur la question du profilage racial.

Yvette Bonny est celle qui a fait la première greffe de moelle osseuse sur un enfant au Québec, en 1980. Elle a reçu des enfants de partout au pays et elle a fait plus de 200 greffes en 20 ans.

Quand elle était hématologue, elles n’étaient que trois femmes au Québec à avoir cette spécialité. Dr. Bonny était la seule femme noire, et la seule à pratiquer en pédiatrie. Il faut aussi reconnaître sa contribution dans la recherche sur l’anémie falciforme, qui fait maintenant partie du programme québécois de dépistage néonatal sanguin et urinaire.

Reconnaître ces personnes, c’est aussi reconnaître l’excellence et la contribution des communautés noires au sein de la société canadienne. »