
Serge Fiori : l’Ontario aussi a quelque chose à raconter

Une légende de la musique, Serge Fiori, s’est éteinte le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste. Et comme la Saint-Jean-Baptiste, Serge Fiori, élevé au rang de symbole national au Québec, est aussi célébré dans toute la francophonie canadienne.
En Ontario, dans les années 1970, les notes d’Harmonium, tout comme celles de Fiori-Séguin (collaboration entre Serge Fiori et Richard Séguin) résonnaient en même temps que celles de CANO ou de Robert Paquette. Plusieurs se rappellent les rassemblements autour du feu de camp, les spectacles de la Saint-Jean ou les groupes d’étudiants dans les résidences universitaires, que ce soit à l’Université d’Ottawa ou à La Laurentienne, à Sudbury.
C’est le cas de Daniel Cayen, fier Franco-Ontarien, qui rappelle que les années 1970 étaient effervescentes aussi dans sa province. « C’était pas mal mouvementé. Ce sont des années de contestation en Ontario. Ça nous accompagnait dans nos manifestations. »
Celui qui a plus tard travaillé dans la haute fonction publique ontarienne, notamment au sein du ministère des Affaires francophones, a été choqué par le traitement médiatique de la mort du musicien parmi tant d’autres, trop centré sur le Québec, selon lui. « Nous aussi, on est en deuil, à l’extérieur du Québec, déplore-t-il. Quand on néglige l’impact de Fiori sur le réveil culturel en Ontario français, non seulement ça insulte les francophones hors Québec, mais ça diminue l’influence de Serge Fiori. »
Toute une vague francophone
À la fois Franco-Ontarien et Québécois, Robert Paquette parle en effet d’un sentiment de groupe, incluant également les Québécois de Beau Dommage, les Franco-Ontariens de Garolou ou les Acadiens de 1755, qui partageaient « cette conviction fondamentale de l’importance de la langue française pour véhiculer ce qu’ils étaient et ce qu’on était » en tant que francophones.
À l’opposé de critiques parfois formulées envers les groupes québécois, il n’a pas senti que les artistes des autres provinces étaient mis à part dans cette émancipation collective, même s’il reconnaît qu’il fallait se déplacer au Québec pour être reconnu. Il croit que, de par leurs tournées au pays (entre autres à Sudbury, en 1976), Serge Fiori et Harmonium étaient très conscients de la francophonie canadienne. Il se dit aussi heureux que le talent de l’artiste ait été reconnu de son vivant.

Marcel Aymar raconte également s’être senti dans la même vague, entre autres lorsque Serge Fiori et Richard Séguin étaient venus assister à un spectacle de CANO.
« Comme groupe et comme beaucoup d’autres musiciens à travers le Canada, on trippait sur Harmonium et sur Serge Fiori », raconte-t-il.
Il nuance toutefois en précisant que le groupe de L’heptade « a surtout eu une influence au niveau musical » et pas nécessairement au niveau identitaire pour les francophones hors Québec.
« C’est une époque où tous les francophones à travers le Canada étaient en train de se définir. (…) On n’était pas juste des Canadiens français d’un bout à l’autre du pays, mais on avait des communautés différentes. »
Paul Paiement, musicien amateur et frère des membres de CANO André et Rachel Paiement, abonde dans le même sens. « Il n’y avait rien de politique dans notre goût pour cette musique-là. C’était la musique comme telle qui venait nous chercher. »
Il est tout de même convaincu que les gens de sa génération ont conservé leur fierté francophone grâce à tous ces groupes de la même époque, ce que croit aussi le technicien de son et professeur au Collège Boréal, Jules Ducharme.
« Ça fait partie de ma jeunesse et de ma vie de tous les jours, explique-t-il. Je ne savais même pas que c’était québécois (…) Entre Harmonium, CANO et Robert Paquette, c’était LA musique, LA francophonie qui était chez nous », raconte celui qui a grandi dans une famille de militants franco-ontariens.
Traverser les frontières, linguistiques et temporelles
C’est plus tard, quand il a côtoyé des Québécois, que Jules Ducharme a senti que certains s’appropriaient la musique d’Harmonium comme quelque chose d’exclusif au Québec, comme s’il n’avait pas le droit d’être un fan au même titre qu’eux. « Ce n’était pas méchant. Il y avait juste une incompréhension. »
Pourtant, comme l’explique l’auteur-compositeur-interprète Dayv Poulin, de nombreux musiciens francophones ont gratté leurs premières guitares en fredonnant Pour un instant.
« Quand on apprend, on cherche des chansons que tout le monde connaît. Quand je chante des chansons d’Harmonium, je peux jouer un spectacle à Timmins comme je peux jouer un spectacle à Ottawa ou au Québec, et tout le monde va les connaître. »
Pour Dayv Poulin, l’admiration va encore plus loin. En 2012, avec son projet Le Paysagiste, il a lancé une reprise de la chanson Aujourd’hui, je dis bonjour à la vie. C’est ce qui lui a donné l’idée du prénom de son fils… Fiori.
Quelques années plus tôt, en 2009, Dayv Poulin a orchestré un hommage à Harmonium pour le spectacle de la Saint-Jean-Baptiste de La Slague. Paul Paiement raconte que c’est ce soir-là que ses enfants ont eu la piqûre. Le directeur général de La Slague, Stéphane Gauthier, se rappelle aussi d’une soirée mémorable. « C’est un de nos très beaux gros moments des 20 dernières années. »
Au début de l’âge adulte, Stéphane Gauthier collectionnait les vinyles. Les seuls disques francophones qu’il arrivait à trouver en Ontario étaient ceux d’Harmonium, qu’on pouvait dénicher dans des bacs de disques usagés. Il faut dire que le groupe de Serge Fiori avait d’abord chanté en anglais, en tout début de carrière, et que certains fans avaient suivi le bateau après le virage francophone.

Le musicien punk Véloce André, qui a commencé sa carrière en anglais, raconte pour sa part que c’est Harmonium qui lui a fait comprendre « qu’il y avait de la musique un peu plus flyée en français. » Alors qu’il se renfrognait parfois devant les choix musicaux francophones de son père, il est rapidement devenu fan de Serge Fiori, dont il se rappelle aussi l’album éponyme, sorti en 2014. « C’est vraiment un des grands chanteurs québécois qui m’ont beaucoup influencé. »
Véloce André peut aussi témoigner de l’amour que portent les artistes de la relève franco-canadienne à Serge Fiori. « Au Festival international de la chanson de Granby, j’ai passé beaucoup de temps avec les autres hors Québec. Ils connaissaient tous Serge, on a jammé sur des tounes d’Harmonium. »