Traductions boiteuses et fautes d’orthographe, le français encore malmené au fédéral
OTTAWA – Malgré les plaintes et les rappels à l’ordre, le français continue d’être malmené sur le site internet d’appels d’offres fédéral. Mais le ministère des Services publics et Approvisionnement n’est pas le seul ministère où la qualité du français laisse à désirer.
« L’hiver de sel de voirie », « Projet d’optimisation de la bililbiothèque », « seul surveiller les bras »… De quoi s’agit-il? Difficile de le savoir en lisant l’énoncé. Et pourtant, ce florilège d’intitulés d’appels d’offres se retrouve sur le très officiel site Achatsetventes.gc.ca.
Depuis plusieurs années, Chantal Carey traque ces perles, entre fautes d’orthographe, inventions de mots et traductions incompréhensibles. Il y a quatre ans, cette ancienne adjointe parlementaire de l’ex-député néo-démocrate Yvon Godin – bien connu pour son engagement pour le respect des langues officielles – avait déposé une première plainte au Commissariat aux langues officielles.
Plusieurs interventions et un rapport d’enquête plus tard, le commissariat explique à ONFR+ avoir entamé « le suivi sur les recommandations émises » au ministère des Services publics et Approvisionnement du Canada (SPAC).
« Nos enquêtes étant en cours, nous ne pouvons pas encore confirmer si SPAC a apporté des améliorations », explique le commissariat qui devrait prochainement envoyer aux différentes parties un rapport préliminaire de suivi.
Aucune amélioration en quatre ans
Pas besoin d’attendre jusque-là. Récemment, Mme Carey a réitéré l’exercice. Résultat : toujours autant de problèmes.
« J’ai fait 17 plaintes en deux jours! Il y a un problème au niveau des institutions fédérales. Soit c’est de l’incompétence, soit ce n’est pas une priorité. Il faut vraiment mettre des ressources là-dessus. »
Du côté du ministère, on explique « prendre très au sérieux la situation » et « continuer de travailler pour améliorer la qualité du français sur le site Web ».
SPAC assure avoir mis en place plusieurs mesures, comme des avis relatifs aux obligations en matière de langues officielles sur le site, des communications aux organisations fédérales rappelant notamment l’existence du Bureau de la traduction. En janvier, le ministère devrait mettre en œuvre une modification de son Guide des approvisionnements et un avis de politique pour « fournir des indications claires sur la manière de satisfaire » aux exigences linguistiques.
« Malheureusement, il arrive que des erreurs se produisent encore, mais nous sommes déterminés à continuer de travailler avec les ministères et agences afin d’en réduire la fréquence », assure-t-on.
Plusieurs institutions fédérales responsables
SPAC n’est pas l’unique responsable, rappelle le commissariat.
« Les institutions, qui publient leurs appels d’offres ont aussi leur responsabilité. Les améliorations doivent se faire de concert avec SPAC. »
Ainsi, si ce ministère a été visé par 12 plaintes d’avril 2019 à aujourd’hui, le commissariat a reçu, au total, 66 plaintes concernant les appels d’offres contre plusieurs institutions fédérales, dont 38 ont mené à une enquête jusqu’à présent.
« Mais les plaintes sont inefficaces », se désole Mme Carey. « Il faut un mécanisme de contrôle de la qualité. »
Le ministère des Finances visé, mais acquitté
Le site d’appel d’offres fédéral n’est pas le seul endroit où le français est malmené. Ces quatre dernières années, le Commissariat aux langues officielles a reçu en moyenne, annuellement, une quarantaine de plaintes en lien avec des fautes d’orthographe ou de grammaire, en français ou en anglais, sur différents types de support de communications, y compris à l’interne.
Récemment, c’est le ministère des Finances qui était pointé du doigt pour la version écrite du discours du ministre prononcé dans le cadre du Portrait de l’économie et des finances de juillet où se retrouvaient de nombreuses fautes.
Le commissariat a toutefois classé la plainte et refusé d’enquêter sur la question.
« Lorsque les communications des institutions fédérales ne sont pas parfaites parce qu’elles comportent quelques fautes d’orthographe et de grammaire qui ne nuisent pas à la compréhension du texte, les institutions fédérales ont respecté leurs obligations sous la Loi », justifie le chien de garde des langues officielles, qui ajoute que le ministère « a rapidement corrigé les erreurs et mis des mesures en place pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise ».
L’avocat spécialisé en droits linguistiques, Michel Doucet, approuve l’analyse du commissariat.
« Cela ressemble plutôt à un cas isolé et les correctifs ont été apportés. C’est très différent quand ça empêche une lecture claire du message ou quand ça se reproduit régulièrement, comme on peut le voir sur le site d’appels d’offres. »
Vis-à-vis de ce dernier, il se montre beaucoup moins clément.
« C’est du Google translate! Des fois, il faut regarder la version anglaise pour comprendre. Malheureusement, cela prouve que certaines institutions ne prennent pas au sérieux leurs obligations. Ça ne les dérange pas d’envoyer un message en français totalement incompréhensible! »
« C’est un problème qui perdure et qui ne semble absolument pas pris au sérieux » – Michel Doucet, avocat
« On a un problème de qualité sur un seul site Web, et après quatre ans, il n’y a aucun progrès! Imaginez pour des problèmes plus complexes! Je vais être morte par le temps que le problème soit résolu », enrage Mme Carey.
Pour l’avocat acadien, c’est au gouvernement d’agir et une modernisation de la Loi sur les langues officielles pourrait aider.
« Cela prend une volonté politique. Le commissariat peut faire des rapports éloquents, avec de très belles recommandations, il ne peut pas agir concrètement. Si on avait un tribunal administratif, les institutions pourraient être pénalisées en cas de manquements. »
Voilà en tout cas des exemples prompts à fournir de nouvelles munitions au Parti conservateur du Canada (PCC). Et notamment à son député, Luc Berthold, qui, ces derniers jours, n’a eu de cesse de demander au premier ministre Justin Trudeau de rappeler à l’ordre le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos, pour qu’il s’assure que la Loi sur les langues officielles est respectée par son gouvernement et au niveau de la fonction publique fédérale.