Une anthologie en ligne pour mieux connaître les luttes franco-canadiennes
Un nouvel outil est maintenant accessible à tous ceux qui voudraient en connaître plus sur les luttes des communautés franco-canadiennes en milieu linguistique minoritaire. Prises de parole dans les francophonies canadiennes est une anthologie entièrement en ligne, donc gratuite et accessible de partout. C’est l’aboutissement d’un an de travail pour les historiens franco-ontariens Joel Belliveau et Marcel Martel. Ce dernier s’est entretenu avec ONFR pour parler de ce projet qui vise à rapprocher les communautés francophones.
C’est à l’adresse parolefranco.ca qu’on peut accéder, depuis quelques semaines, à une véritable caverne aux trésors qui nous permet de consulter une cinquantaine de documents historiques franco-canadiens. Chaque fiche contient une retranscription ou une représentation du document original, un texte de contextualisation sociohistorique ainsi que des liens menant vers différentes sources pour approfondir le sujet abordé.
Il est possible de chercher par époque, par thème ou par mot-clé, selon qu’on ait une idée précise ou qu’on fouille pour le plaisir, car il est facile et fascinant de vagabonder à travers ces morceaux de notre histoire. Pour Marcel Martel, « le genre de l’anthologie se prête bien à une présence sur le web ».
L’historien aime ce format qui permet d’accéder gratuitement et de partout à ces documents peu souvent représentés. Et Prises de parole dans les francophonies canadiennes vient répondre à un véritable besoin, selon lui.
« Pourquoi une anthologie en 2024? C’est que celles qui ont été publiées, il y a une trentaine d’années, elles datent », rappelle Marcel Martel, en évoquant des luttes plus récentes, comme celle pour la création de l’Université de l’Ontario français, par exemple.
« Ça nous permet de mieux comprendre le développement des communautés canadiennes de langue française. C’est aussi l’occasion de découvrir que ces gens-là, à un moment donné dans leur histoire, ont décidé de recourir à l’écrit pour faire part de leurs demandes. »
Une vingtaine de manifestes se retrouvent sur parolefranco.ca, dont le fameux Molière Go Home. Le 24 septembre 1970, des étudiants de l’Université Laurentienne, à Sudbury, réclament de se sentir représentés dans leurs études en théâtre ou en littérature française. L’année suivante, ils jetteront les premières pierres du théâtre franco-ontarien avec la pièce Moé, j’viens du Nord, sti!
Constatez par vous-mêmes
Les deux historiens à l’origine du projet tenaient à ce que leur anthologie soit pancanadienne. Cela permet de faire des liens, de rapprocher des luttes, en constatant des revendications semblables dans différentes communautés francophones ou des interactions entre celles-ci.
Par exemple, on peut retrouver une lettre envoyée aux communautés de l’Est de l’Ontario par l’Association canadienne-française de la Saskatchewan, en 1932. Les expéditeurs demandaient de l’aide afin de soutenir les fermiers de leur province, en ces temps de sécheresse doublée d’une crise économique majeure.
Pour d’autres luttes, c’est le chemin parcouru, et tout ce qu’il reste à faire, qui frappe. Marcel Martel donne l’exemple de documents sur la question du statut de la femme au Canada qui, en 1968, demandaient l’équité salariale et des garderies subventionnées par l’État. « Ils n’ont pas si mal vieilli. Ils demeurent encore d’actualité. Bien entendu, les mots qu’on utilise pour exprimer ces revendications ont changé. »
Il peut être étonnant de découvrir certains documents, comme celui de l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario, qui mettait de l’eau dans son vin, comme l’explique Marcel Martel. « Donc, vous avez un document publié en 1927, dans lequel on dit aux Franco-Ontariens, ça va peut-être vous décevoir, mais on a accepté l’idée mise de l’avant par le gouvernement provincial que les écoles fréquentées par les francophones seront des écoles bilingues. On vante les vertus du bilinguisme. Alors qu’aujourd’hui, depuis les années 60, c’est le contraire. On dit qu’on n’a pas besoin d’écoles bilingues, on veut des écoles françaises. »
Des silences qui parlent
Si l’on retrouve certains documents qui témoignent de la lutte pour les droits des femmes, ces dernières font tout de même partie des groupes qui ont été sous-représentés dans la sauvegarde de documents historiques à travers les époques. Ce biais est difficile à déconstruire dans un projet d’anthologie, au grand dam de Marcel Martel.
« On a voulu choisir une diversité de documents. Par contre, il y a ce que j’appelle des silences. Et ces silences-là s’expliquent en partie parce qu’on utilise des documents qui se retrouvent dans les dépôts d’archives. (…) Il y a malheureusement des groupes qui sont sous-représentés : les femmes, les milieux ouvriers, les groupes racialisés, les minorités LGBTQ+. »
Et ce n’est pas tout de dénicher des documents. Il faut aussi s’assurer d’en avoir les droits de reproduction, un travail qui peut s’avérer ardu. L’instigateur du projet invite d’ailleurs les gens qui disposeraient de documents historiques concernant ces groupes marginalisés à les proposer sur le site. Un autre avantage au fait d’être en ligne est de pouvoir bonifier le produit au fil du temps.
Prises de parole dans les communautés franco-canadiennes a bénéficié d’une subvention du Secrétariat aux relations canadiennes du gouvernement du Québec, il y a tout juste un an. En plus de Joel Belliveau et de Marcel Martel, un comité de spécialistes des francophonies canadiennes a été impliqué pour choisir les morceaux qui se retrouveraient dans l’anthologie. Il s’agit d’Ariane Brun del Re, de Marc-André Gagnon, d’Andréanne Joly, de Michael Poplyansky, d’Eugénie Tessier et de Gilberto Fernandes. Ce dernier s’est occupé du design du site web. Tous les textes de contextualisation des documents sont aussi disponibles en anglais.