Victoire conservatrice en Alberta : « Kenney n’est pas Ford »
CALGARY – Le Parti conservateur uni (PCU) de Jason Kenney a remporté sans surprise les élections provinciales en Alberta, ce mardi. Au lendemain de cette victoire, les Franco-Albertains se montrent prudents envers un nouveau gouvernement qui, comme en Ontario, a fait campagne contre la taxe carbone et pour le conservatisme fiscal. Mais M. Kenney n’est pas Doug Ford, assure le politologue Pascal Lupien.
Selon les premières estimations, le PCU remporterait 63 des 87 sièges à l’Assemblée législative albertaine. Cette victoire ne faisait guère de doute, rappelle le professeur adjoint en science politique au Campus St-Jean de l’Université de l’Alberta, Pascal Lupien.
« Ces résultats étaient attendus pendant et même avant la campagne. La seule surprise, c’est qu’il y a désormais une vraie opposition de centre-gauche en Alberta, ce qui n’était pas le cas avant la victoire du Nouveau Parti démocratique en 2015. »
Avec son parti, la première ministre sortante, Rachel Notley, qui a été réélue dans sa circonscription, obtiendrait les 24 sièges restants.
Tout en félicitant le PCU pour sa victoire, le président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), Marc Arnal, rend hommage au bilan francophone de Mme Notley.
« L’ancien gouvernement a permis de franchir le plafond de verre comme jamais auparavant en Alberta. C’était la première fois qu’un gouvernement albertain reconnaissait la langue française pour le rôle important qu’elle joue au Canada. »
Parmi ses accomplissements, le Nouveau Parti démocratique (NPD) a mis en place, en 2017, une première Politique en matière de francophonie, a développé un plan d’action autour de cette politique, en décembre dernier, a reconnu le drapeau franco-albertain comme emblème provincial et a fait du mois de mars le mois de la francophonie.
« Il y a eu pas mal plus d’ouverture en public, mais aussi dans les coulisses », analyse M. Lupien qui souligne que désormais, les groupes qui représentent les 88 000 Franco-Albertains devront rebâtir des ponts avec le nouveau gouvernement. « Il faudra le faire de manière discrète, en coulisses, en limitant les réclamations publiques pour ne pas attirer l’attention d’une partie de la communauté anglophone qui pense que ce sont des dépenses inutiles. »
L’exemple de l’Ontario
Le président de l’organisme porte-parole des Franco-Albertains dit être conscient de l’incompréhension qui existe encore chez certains membres du PCU.
« Je suis modérément optimiste et inquiet, car nous allons vers l’inconnu. Il va falloir faire de la sensibilisation et nous serons prêts quand le cabinet sera nommé et qu’on connaîtra le nom de la personne responsable du Secrétariat francophone. »
Élu sur la promesse d’un retour au conservatisme fiscal, ce qui le rapproche du Parti progressiste-conservateur (Parti PC) de l’Ontario, le PCU a toutefois assuré, pendant la campagne, que même si un gel des dépenses est à prévoir, les services en français ne diminueront pas.
« Ils ont l’air semblables, mais M. Kenney n’est pas M. Ford », analyse pourtant M. Lupien. Et de poursuivre : « Il est beaucoup plus intelligent. Il a vu ce qui s’est passé en Ontario et dans tout le pays après les coupures aux Franco-Ontariens et je ne pense pas qu’il voudra répéter la même chose, d’autant qu’il veut bâtir de bonnes relations avec le Québec, auquel il s’est adressé dans son discours de victoire. »
« On n’a jamais vu M. Kenney hostile aux francophones » – Pascal Lupien, politologue
Le profil d’ancien député et ministre fédéral de M. Kenney, de 2004 à 2016, plaide également en sa faveur, poursuit le politologue. Le nouveau premier ministre de l’Alberta, originaire de l’Ontario, y avait d’ailleurs siégé au comité permanent des langues officielles.
« Son expérience à Ottawa lui a permis d’être en contact avec la communauté francophone. Et sans dire qu’il est francophile, je pense qu’il a une sensibilité à la francophonie. Il parle le français et sait qu’il y a des francophones dans sa province, contrairement à M. Ford. »
Priorité à la sensibilisation
Toutefois, M. Lupien souligne qu’il ne faut pas imaginer de grandes avancées pour la francophonie albertaine avec ce gouvernement tout juste élu.
« Je pense que ce sera le statu quo, d’autant qu’avec toutes les promesses qu’a faites le Parti conservateur uni, le gouvernement sera bien occupé. On ne changera pas ce qui a été mis en place, mais je ne pense pas, par exemple, que la Politique en matière de francophonie devienne une Loi sur les services en français, comme le souhaitaient l’ACFA et certains organismes. »
Le président de l’ACFA espère toutefois que la province continuera à faire comprendre le rôle national du français et accédera à la demande des communautés d’une plus grande visibilité du français dans les régions autrefois très francophones.
« Nous avons aussi des besoins en matière de services de santé en français, notamment pour nos aînés », ajoute-t-il.
S’il n’a pas eu de rencontre avec M. Kenney durant la campagne, il souligne avoir eu de bonnes discussions avec plusieurs candidats conservateurs, désormais députés. La députée PCU de Fort McMurray-Lac La Biche, Laila Goodridge, ancienne étudiante du Campus Saint-Jean et issue des écoles d’immersion, n’a pas hésité à se dire francophile pendant la campagne.
« Mais aura-t-elle du pouvoir au sein du gouvernement Kenney? », s’interroge M. Lupien.