Yao, d’ancien banquier à porte-parole francophone

Le chanteur Yao au moment de recevoir ses récompenses au Gala Trille Or 2019. Crédit image: Stéphane Bédard

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

OTTAWA – Plus besoin de présenter Yaovi Hoyi alias Yao. Chanteur confirmé, visage familier de l’Ontario français, le voilà aujourd’hui porte-parole des Rendez-vous de la Francophonie. Mais derrière ses facéties et sa bonne humeur, l’artiste originaire de la Côte d’Ivoire se souvient de son parcours sinueux pour parvenir aux scènes musicales. Portrait d’un chanteur qui multiplie pour ONFR+ les confidences.

« C’est aujourd’hui le pic des célébrations du mois de la Francophonie, avec la Journée internationale de la Francophonie. Quel est votre rôle à titre de porte-parole des Rendez-vous de la Francophonie durant ce mois de mars?

C’est un rôle de porte-parole, chapeauté par la Fondation canadienne pour le dialogue des cultures. À titre de porte-parole, c’est un peu comme être hôte à une fête. De m’assurer d’accueillir le plus de personnes possibles et que chacun en ait pour son compte (Rires).

C’est comme l’hôte qui se balade dans la maison le steak sous le bras. J’aime cette idée de promotion de la culture francophone. On invite aussi les francophiles et anglophones à découvrir la culture francophone. L’autre porte-parole avec moi, Jill Barber, vient d’ailleurs de Vancouver.

Pourquoi avoir accepté, et quel fut votre première réaction en apprenant que le choix se portait vers vous?

J’ai été agréablement surpris, d’autant plus, que c’était une conversation que j’avais eue il y a cinq ans avec les organisateurs qui m’avaient dit que je ferais un bon porte-parole. C’est un beau clin d’œil d’être venu me chercher avec mes origines multiples.

Source : Facebook Rendez-vous de la Francophonie

Commençons par un premier fait que les gens ignorent souvent de vous : avant de vous lancer dans la chanson, vous étiez… banquier.

Oui, et ça m’a pris sept ans avant de me dire que je pouvais faire une carrière d’artiste. Jeune, j’étais au Centre artistique de l’École secondaire publique De La Salle où j’ai fait du théâtre et de la création littéraire. Mais mes parents conservateurs voyaient ça comme un passe-temps. À la fin du secondaire, j’ai étudié les sciences commerciales, avec majeure en science politique, et une mineure en spécialisation des affaires.

J’ai travaillé à Scotia Bank. Le dernier emploi que j’ai occupé, c’était analyste au département de biens immobiliers de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.

Pourquoi être revenu alors à la création?

L’art avait toujours été un complément à ma vie. J’avais laissé tout ça derrière, mais en 2006, j’ai rencontré des gens qui m’ont tranquillement tiré de l’avant. C’est comme ça que ça a commencé. Je passais tout mon temps libre en studio. Ma vie sociale, c’était la musique. Du vendredi soir au lundi matin parfois, j’étais dans un studio. Vers 2012, je me suis dit : ok c’est maintenant ou jamais.

Est-ce que votre passé de banquier vous aide encore aujourd’hui?

Ah oui, énormément! J’estime même avoir le meilleur des mondes. Je n’ai pas abandonné tout ce côté de moi. En 2011, j’ai créé ma propre structure, Intello-Productions, avec laquelle on fait de l’animation culturelle, de la médiation culturelle, mais on a diversifié nos sources de revenus.

Il y a un mythe qui prévaut de l’artiste tête en l’air, mais c’est faux. On a vu avec l’évolution de l’industrie que les artistes entrepreneurs et indépendants peuvent rivaliser avec les grands. Aujourd’hui, c’est à la fois le pire et le meilleur moment, car les vieilles formules ne fonctionnent plus. Il faut être innovateur. De sous-sol, on peut faire des tubes planétaires, comme par exemple Kaytranada qui a gagné beaucoup de récompenses lors de la dernière cérémonie des Grammy Awards. Les artistes ont besoin d’un plan d’affaire, et d’être « très business ».

On vit de la musique?

Moi je dis que je fais de la musique et autour de la musique. C’est beaucoup plus complexe que faire de la musique. Par exemple, je fais des conférences, des ateliers d’écriture artistique dans les écoles, des consultations du secteur culturelle. C’est aussi s’impliquer de l’autre côté de la médaille pour diversifier ses revenus.

Diriez-vous Yao que votre musique a évolué depuis vos débuts?

Oui, je dis toujours que celui qui apprend ma musique apprend à me connaitre. J’avais fait un atelier la semaine dernière, et les élèves m’ont demandé de jouer la musique de mon premier album. En allant me recoucher le soir, j’ai rejoué cet album. J’ai réalisé à quel point j’avais évolué, mais c’est normal. On change, on grandit, on vit quelque chose.

Pouvez-vous d’ores et déjà nous dévoiler les contours de votre prochain album qui sortira dans quelques mois?

(Rires). Je me pose encore la question. J’explore des sonorités. J’ai vécu des choses les dernières années lesquelles m’ont beaucoup questionné. Il y a un peu un retour à ce que je connais, et le prochain album explore plus les sonorités Afro, alternatives, bien que l’on me mette souvent dans la catégorie de hip-hop alternatif.

J’explore mes origines, et ce qui manque. En termes de musicalité, on va chercher dans le coté afro, soul, avec les tambours et percussions. Pendant que je vivais des moments difficiles, lorsque les percussions traversaient mon corps, j’avais la sensation de revivre. Pourquoi sur les champs de bataille, et sur les galères romaines, les percussions servaient à forcer les gens à ramer? J’explore la douleur, la tristesse, la dépression. Les gens devront s’attendre à un album, lyrique et poétique, avec une musique faite pour emmener les gens vers un autre univers. Je veux un album comme être sous l’eau, et prendre une bouffée d’air.

Yao, Mélissa Ouimet, Damien Robitaille et Étienne Fletcher lors du Gala Trille Or en 2019. Crédit image : Stéphane Bédard

Vous êtes arrivé au Canada à 12 ans. On peut dire que c’est jeune pour immigrer.

En fait, je ne savais pas que je venais au Canada pour rester. Quand tu viens de certains pays d’Afrique, à 13 ans, tu es un homme. Tu vis des choses que des gens ne vivent pas durant tout une vie. Il y avait chez moi ce désir de s’accrocher, de s’intégrer. J’ai le souvenir que lorsque des gens chantaient Notre Place à tue-tête, à l’école, levés sur les tables, je me disais : « il faut que je m’intègre ».

Il y a eu une beaucoup de manifestations l’an passé sous l’impulsion du mouvement « Black Lives Matter ». Vous en tant que personne noire, comment avez-vous vécu ces événements?

Pour répondre plus largement, Statistique canada nous avait laissé savoir en 2016 que sept des dix principaux pays de naissance des Franco-Ontariens étaient an Afrique. Même si l’Organisation des Nations Unies continue de dire le contraire, Paris n’est plus la première ville francophone du monde. Donc, à un moment donné, cette conversation sur l’inclusion me fait sourire car c’est plein de sens. Au Canada, il y a 250 ethnies. L’Ontario francophone a changé et les mentalités ont changé. Certains ont défriché le chemin depuis longtemps, je pense à Afroconnexion, Justine Gogoua, Herléo Muntu ou encore le groupe ZPN.

En 2017, des diffuseurs me disaient encore que le public n’était pas prêt. « Les Blacks, ça ne marche pas chez nous », qu’on me disait de vive voix. J’aimais toutefois cette franchise. Je me suis souvent demandé pourquoi on me laissait jouer beaucoup en février [Le mois de février représente le Mois de l’histoire des Noirs]. Or, je ne suis pas noir seulement en février, mais toute l’année. Combien de fois, j’ai entendu que Yao vient faire de la « musique du monde », mais que croit-on? Que Yao vient avec des tam-tam et de la peinture blanche sur le corps? Ce sont des préjugés qu’il faut combattre.

Avez-vous l’impression d’être mis dès fois dans un case?

Oui, un peu. Souvent, les gens me demandent si je fais du rap (Rires). Cependant, j’estime que je ne rentre pas dans une boite, je l’ai toujours dit. J’ai toujours fait la blague que je suis noir et roux. Bon maintenant, je suis chauve, mais plus sérieusement j’ai toujours aimé chanter autant Andréa Bocelli, Mc Solaar ou Michael Jackson.

Comment vivez-vous la pandémie en tant qu’artiste?

(Hésitation). C’est tellement une question qui est lourde. Je travaille sur mon prochain album. J’en profite pour être créatif, et administratif, rattraper le temps perdu, car durant le temps normal, je suis souvent sur des événements.

Au début de la pandémie, j’avais une réflexion plus large que ma petite personne. Je me disais qu’on est dépendant de facteurs externes à notre contrôle. J’étais vraiment dans ce questionnement très objectif sur comment attirer les gens qui consommaient malgré tout beaucoup de produits artistiques.

Finalement, vous avez vu la pandémie comme une opportunité?

Oui tout à fait, une opportunité de se repositionner, de savoir où l’on va, de manière à faire des ateliers-conférences et enregistrements de la maison. Mais ce n’était pas simple. Par exemple, j’ai déjà vu sept différents spectacles virtuels le même jour à la même heure. Cela causait un problème. Avec l’ampleur prise par les médias sociaux, pendant la pandémie, on voyait plus de créateurs de contenus que de consommateurs.

Faut-il se réinventer alors?

Je dirais qu’il faut miser sur la qualité. Le numérique c’est autre chose, mais c’est très important de miser sur la qualité visuelle et audio. Je me suis équipé pour cette qualité. Aussi, c’est important de s’adapter. Les spectacles virtuels et présentiels sont complètement différentes. Il n’y a plus la proportion 3D et le contact humain. Il faut que tu repenses plutôt et t’éduques sur c’est quoi le numérique. Si tu veux exceller dans ce monde, il faut cerner le virtuel.

À quoi ressemblera le monde à la fin de la pandémie, selon vous?

(Hésitation). J’appréhende. On sait que le virtuel va prendre de plus en plus de place. On sait déjà qu’on perd une partie du public. Paradoxalement, on constate l’importance du secteur culturel, on consomme plus. Je pense qu’il y a une conversation importante pour la balance du pouvoir. Les artistes ont un rôle essentiel dans la salubrité publique. »


LES DATES-CLÉS DE YAO :

1987 : Naissance à Abidjan (Côte d’Ivoire)

1999 : Arrivée au Canada à Ottawa

2006 : Premier album en groupe 2 faces d’une même âme

2011 : Premier album solo Généris

2019 : Remporte trois récompenses au Gala des Trille Or pour son album LAPSUS : « meilleur spectacle », « artiste solo », et « coup de cœur des médias ».

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.