Quand le poids des maux rime avec internationaux
Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, c’est Rym Ben Berrah qui évoque des enjeux de société et d’éducation qui rejoignent le quotidien.
[CHRONIQUE]
Tout va mal dans le monde en ce moment, n’est-ce pas? On s’en veut de ne pas être trop au courant, on s’en veut de pas trop souffrir comme d’autres qui ne l’ont pas facile, on s’en veut d’être privilégié, puis on s’en veut de s’en vouloir d’être privilégié, puisque chacun de nous vit quelque chose et que toute vie est légitime.
Mis à part le chaos international, la misère et les traumas intergénérationnels qui se dessinent et qui sont à venir, je pense à la violence qui sévit dans nos vies de Canadiennes et de Canadiens, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nous.
Je pense au corps repêché à l’île Saint-Quentin, celui de l’étudiante d’origine congolaise, Alexandra Martine Diengo Lumbayi, décédée à l’âge de 21 ans, paix à son âme. Sa disparation fait retentir un sujet qui me tient à cœur, et ce, depuis des années : l’immigration en général, les étudiants internationaux dans une branche particulière.
Il faut avoir du vécu, du cran et, excusez le terme, du culot afin de franchir plusieurs pays et de venir s’installer dans le froid canadien pour réussir des études. C’est l’eldorado du diplôme postsecondaire ou universitaire nord-américain : de Montréal à Toronto, à Ottawa, à Hearst, à Sudbury, à Kapuskasing et j’en passe.
De jeunes téméraires qui vivent comme première expérience, loin de leurs racines, de leur famille proche et de leurs parents, le fait de s’acclimater, de s’adapter et d’opérer dans un système éducatif canadien. Mon expérience personnelle couvre davantage un savoir francophone vis-à-vis de ces données, mais mettons-nous d’accord que le déracinement n’a pas de langue.
J’ai toujours trouvé stupéfiant le fait de payer des sommes aussi exorbitantes pour des frais de scolarité qui n’offrent pas la totale aux gens qui viennent assurer leur avenir en sol canadien, que ce soit du côté de l’accueil, de l’intégration, de la paperasse, des démarches administratives post-diplôme, de l’évolution dans une société où l’on n’a pas racine, mais où l’on apprend à s’implanter, etc.
Je suis consciente qu’il y a divers efforts émis par plusieurs organismes, organisations et infrastructures afin d’améliorer l’expérience des étudiantes et étudiants internationaux, mais parlons de ce qui peut être amélioré.
Pensez-vous que les parents sont rassurés d’envoyer leur progéniture outre-mer avec toutes les économies familiales, afin de revenir avec un papier pour assurer l’avenir de la famille ou redorer le blason du niveau d’éducation du foyer? Pensez-vous qu’on outille ces personnes pour qu’elles sachent éplucher les circulaires ou comment se retrouver plutôt que d’errer béats, parfois hagards, entre les rayons, à chercher des boites de conserve ou de pâtes qu’ils n’ont jamais connues? Est-ce que vous savez la dureté morale de l’hiver et la dureté économique de se procurer tout le nécessaire afin d’avoir une vie étudiante assez passable?
Moi-même, j’ai été nouvelle immigrante un jour, et je me suis au fil des ans liée de connaissances et d’amitié avec plusieurs personnes de différents milieux. Parfois on en rit, d’à quel point c’est difficile. C’était, au départ, de comprendre par exemple comment télécharger les fichiers nécessaires pour l’école. C’est où, la Coopsco? À quel magasin aller pour acheter des médicaments? Pourquoi on peut se procurer une télé au Walmart à minuit, mais pas avoir accès à un médecin de famille? Pourquoi c’est aussi facile de se procurer une carte de crédit, et aussi compliqué de gérer ses finances et les taux d’intérêt? Mais attends, c’est où que j’achète de la sauce piquante (pas de la Red Hot) et du curcuma?
Une santé mentale à risque
Je pense aux modalités de vie du quotidien et l’idée de la nouvelle du corps inerte d’Alexandra qui a été retrouvé me heurte. À l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas si l’acte sera déclaré criminel ou pas, je ne sais pas si elle s’est jetée dans ce fleuve par elle-même ou si elle y a été poussée.
Je sais par contre qu’on peut faire plus au niveau de la santé mentale, pour encadrer les étudiantes et étudiants, les nouveaux arrivants ainsi que les humains, toutes catégories confondues. Avant-hier, à la pharmacie, j’ai entendu un jeune homme demander quel était l’équivalent canadien d’un doliprane. Il faudrait un dictionnaire des cultures pour les gens qui ont plus qu’un chez-soi.
Tu n’as pas besoin de venir d’ailleurs pour comprendre la délicatesse de la conformité et l’indélicatesse du manque de tolérance et de respect. Tu peux simplement passer d’une petite ville à une grande, de Casselman où tu connais toute ton école secondaire à l’Université d’Ottawa où tu te perds dans une marée humaine, pour comprendre que l’individualisme est un fléau de notre société.
Les températures commencent à baisser et les horreurs ne cessent de circuler autour de nous. Il est temps de se servir un gros bol chaud de compassion et d’être soudés. Il est temps d’aider par un mot, un partage, une pensée ou un dollar lorsqu’on le peut. Chacun de nous vit des batailles qu’on ne peut traduire en mots, et chaque vie vient avec son lot.
Une pensée aux moins bien lotis, aux incompris, à ceux qui se rebellent ou abandonnent l’école, car le poids de l’incompréhension est trop haut, à ceux qui graduent, mais ont du mal à trouver du travail, car on exige « une expérience canadienne » dans le dossier. À ceux qui n’arrivent pas à dormir depuis des mois à cause des nouvelles qui les bombardent chaque nuit. À ceux dont la voix brise lorsque c’est le temps des célébrations, mais que la seule étincelle qu’ils ont, c’est leur coloc qui leur propose une partie de hockey. Une pensée positive à toute personne œuvrant dans le bien, dans l’intégration et dans le fait de briser l’isolement, de 7 à 77 ans. Le poids des maux est moins lourd lorsque porté par la mosaïque de toute une collectivité.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.