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IQALUIT – Le Nunavut fête aujourd’hui le 25e anniversaire de son adhésion à la Confédération canadienne en tant que territoire. Le français y est une langue officielle depuis 2008, mais quelle est la place de celui-ci au Nunavut? Est-il vraiment possible d’y vivre en français en 2024 pour les quelque 4 % de citoyens capables de s’exprimer dans la langue de Molière?

« C’est possible en partie, mais pas à 100 %. Dans le sens, que oui, il y a certains commerces où il y a moyen de trouver un francophone. On peut trouver un francophone dans les taxis ou chez la coiffeuse. Donc, il y a certains services qu’on peut avoir en français, mais pas l’entièreté de la gamme », explique Marie-France Talbot, une Québécoise d’origine vivant à Iqaluit.

« Difficilement, mais je dirais que c’est néanmoins possible de vivre une bonne partie de sa vie en français », lance François Ouellette qui vit au Nunavut depuis 2008.

On y compte près de 37 000 habitants, dont près de la moitié vivent dans la région de Baffin (ou Qikiqtaaluk), dont Iqaluit qui abrite un peu moins de 8000 personnes.

Iqaluit, c’est d’ailleurs la principale ville du Nunavut, où sont disponibles une bonne partie des services en français offerts. Près de 15 % de la population qui vit dans la capitale nunavoise est francophone. C’est là où est situé le seul établissement scolaire francophone du territoire, l’École des Trois Soleils, ainsi que des garderies en français, mais il n’y a pas d’offres de programmes en français au niveau postsecondaire.

En matière d’emploi, les francophones travaillent principalement pour le gouvernement, via l’administration publique, en éducation et dans le domaine de la santé.

« Si tu t’attends à venir ici pour trouver un nid de francophonie, tu seras déçu parce que c’est toi qui va avoir besoin de le bâtir. Mais ça demeure facile, car il y a beaucoup de quoi s’inspirer », raconte François Ouellette, qui a grandi au Nouveau-Brunswick.

Quant à l’accès aux soins de santé, depuis près de trois ans, les Franco-Nunavois d’Iqaluit ont accès à une interprète francophone au Qikiqtani General Hospital. Si quelques médecins peuvent converser en français, le recours à l’interprète demeure le meilleur moyen de recevoir un service en français.

« J’ai deux enfants et les deux sont nés ici. La deuxième fois, la médecin qui nous avait aidés, elle était capable de parler en français. Elle était anglophone, mais elle faisait des efforts et j’étais vraiment impressionné », relate M. Ouellette qui rappelle que ce genre d’événement n’est pas toujours le cas pour l’ensemble des francophones qui passent par le système hospitalier.

Le français au Nunavut, en chiffres :

  • 1450 (4 %) habitants peuvent converser en français.
  • 72 % des personnes francophones sont des Canadiens nés hors du Nunavut. 
  • 1,9 % de la population parle principalement le français à la maison.
  • 1,6 % de la population considère le français comme leur seule langue officielle.

Une forte immigration francophone récemment

La francophonie nunavoise est grandement marquée par l’arrivée de l’immigration interprovinciale, mais aussi internationale. Près de 17 % des immigrants du Nunavut disent pouvoir parler en français, alors que c’est seulement le cas pour 3,5 % du reste de la population. De ceux qui disent avoir seulement le français comme première langue officielle, 50 % sont des Québécois, suivis d’immigrants nés hors du Canada avec 15,7 %. Christian Ouaka, originaire de la Côte d’Ivoire, est l’un de ceux qui se sont installés au Nunavut en 2020, après être passé par le Nouveau-Brunswick.

« Il y a des francophones de partout au Canada qui viennent s’installer ici, constate-t-il. Mais dans les dernières années, on a eu beaucoup d’immigration au territoire. L’immigration est en croissance et parmi les personnes immigrantes, il y a des francophones. Ce sont des Franco-Ontariens, des Québécois, des Néo-Brunswickois, des Français de France, de Belgique et des Africains de l’Afrique francophone », ajoute celui qui est le directeur général de l’Association des francophones du Nunavut.

Christian Ouaka, originaire de Côte d'Ivoire, est le directeur général de l'Association des francophones du Nunavut depuis 2020. Titulaire d'un Baccalauréat en sciences politiques, d'un Baccalauréat en relations publiques et d'une Maîtrise en administration des affaires (MBA) de l'Université de Moncton, il détient de l'expérience en gestion et en francophonie internationale et canadienne. Son parcours inclut des étapes clés en Belgique, en France et au Canada, notamment en tant qu'assistant parlementaire au parlement de Wallonie, des études à Poitiers et le domaine associatif estudiantin au Canada. Passionné de plein air, il allie leadership et engagement. Crédit image: Gracieuseté AFN
Christian Ouaka. Crédit image : Gracieuseté AFN

La langue de Molière côtoie, dans la sphère publique, les langues inuites (inuktitut et inuinnaqtun) et l’anglais, ce qui fait du Nunavut une administration unique au Canada.

« Je trouve ça fantastique d’entendre des personnes à l’épicerie parler français, anglais, et l’initikut. Ça me fait toujours plaisir d’entendre ça. Même si, parfois, je ne comprends rien à certains mots, c’est une richesse qu’on ait accès à différentes cultures, ça ouvre l’esprit », estime Mme Talbot.

« Les Inuits sont majoritaires sur le territoire, mais au niveau national, on est tous deux minoritaires. Des similitudes nous amènent à travailler ensemble et à nous entraider pour que nos langues soient davantage promues et présentes dans l’espace public », explique Christian Ouaka dont l’organisme a pour but de promouvoir l’utilisation du français dans l’espace public.

Et que dire à un francophone qui souhaiterait déménager au Nunavut?

« C’est un magnifique territoire avec plein d’avantages, une belle qualité de vie, beaucoup de plein air. Il y a une magnifique communauté francophone qui est très engagée. Mais oui, il faut être prêt à composer avec la réalité de vivre en région éloignée », soutient Marie-France Talbot qui vit au Nunavut depuis dix ans.

« Ce que je remarque, c’est que les francophones qui sont ici sur le long terme, ce sont ceux qui ont appris à respecter la culture inuite, qui ont appris à la valoriser et à l’intégrer à leur quotidien », conclut François Ouellette.