« 55 % d’abstention : pas un bon état de santé démocratique », dit une spécialiste


[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
Catherine Corriveau est directrice principale pour les politiques publiques et les initiatives stratégiques au Democratic Engagement Exchange, une organisation sans but lucratif non partisane. Basée au Toronto Metropolitan University, celle-ci vise à créer les structures pour une démocratie inclusive au Canada.
CONTEXTE :
Élections Ontario a révélé un taux de participation de seulement 45,4 % à l’issue des élections provinciales, soit une abstention bien plus élevée de 54,6 %.
ENJEU :
Mobiliser les Ontariens à voter davantage pour élire un gouvernement qui reflète les vues et idéologies de la majorité de la population.
« Comment analysez-vous le taux d’abstention de ce dernier vote et qu’est-ce que cela dit du résultat?
Ce n’est pas très encourageant, mais ce n’est pas surprenant en raison du caractère surprise des élections qui affecte encore plus les taux de participation. Elles étaient intègres, le processus était démocratique et les résultats le reflètent. En revanche, quand une majorité des électeurs ne participe pas, 55 % d’abstention, ça ne dit rien de bon de l’état de la santé démocratique.
Pourquoi les électeurs sont-ils désengagés et ne se sont-ils pas mobilisés?
Il y a une croyance généralisée que leur vote ne fera pas la différence, ce qui est faux. Il suffit de voir que, dans certaines circonscriptions, un candidat plutôt qu’un autre a été élu à 4, 20 ou 40 voix d’écart. Chaque voix compte.
Le problème du système de vote actuel est qu’il n’est pas nécessairement représentatif du vote populaire. Le Parti libéral avait par exemple 30 % des votes et n’a pas eu 30 % des sièges, ce qui est un peu problématique bien qu’il n’y ait pas de corrélation avec le taux de participation au vote.
Avec ces élections de dernière minute, les électeurs n’ont pas eu le temps de se mobiliser ni de s’informer et les candidats pas le temps de présenter leur plateforme.
En ce moment il y a un contexte médiatique qui est saturé : le débat fédéral, la course au leadership des libéraux, la guerre commerciale avec les États-Unis… Autant de distractions qui ont éclipsé le contexte ontarien.
En outre, un effritement du tissu social est à noter entre l’individu et la communauté. La solitude est un facteur clé du non-vote. Les personnes isolées votent moins. Notre recherche commune avec Abacus Data a révélé qu’un tiers des Canadiens se sentent seuls. Celles-ci ne vont pas se sentir concernées par un enjeu qui touche la communauté.
Le déclin du journalisme local, qui n’informe pas sur les enjeux locaux, et une montée du discours politique toxique en ligne, soit un désenchantement et un manque de confiance dans les politiciens, aggravent le tout.
Les partis d’opposition se sont-ils suffisamment adressés à la population?
Beaucoup de gens n’ont en effet pas reçu d’information dans leurs boîtes aux lettres, manque de flyers, d’affichage, etc., donc oui les partis auraient pu en faire plus.
Cela étant dit, les partis qui ne sont pas au pouvoir ont été mis en difficulté avec des élections si rapides : trouver les candidats, les approuver, les mobiliser, etc. Pour ces derniers, ça implique également de s’arrêter de travailler pour faire campagne, sans parler de la mobilisation nécessaire colossale de bénévoles.
Étant au pouvoir depuis sept ans, le Parti progressiste-conservateur a été avantagé, étant très préparé et ayant à disposition beaucoup de moyens. Doug Ford a aussi été omniprésent dans les médias avec les tarifs. C’était un moment très opportun pour faire ces élections très rapidement.
Lorsque l’on voit la différence entre les votes de popularité versus le gain de sièges, le système de vote actuel représente-t-il suffisamment les opinions des Ontariens?
C’est sûr qu’un système de représentation proportionnelle serait plus idéal dans ce contexte. Si on obtenait 30 % des votes, on obtiendrait 30 % des sièges. Il y a des pour et des contre pour chaque système. Celui-ci peut mieux refléter le nombre de voix, mais peut mener à un gouvernement de coalition, ce qui peut être inefficace et instable parfois.

Une réforme serait-elle envisageable à ce niveau?
C’est quelque chose qu’on aimerait voir, mais c’est idéaliste et ça nécessiterait énormément de volonté politique. On n’a pas vu ça encore. En 2015, Justin Trudeau (au fédéral) avait promis ce changement. En démissionnant, il a d’ailleurs dit qu’un de ses plus grands regrets était de ne pas avoir réformé le système électoral. Le gouvernement actuel majoritaire en Ontario n’aurait pas intérêt à le faire.
Selon moi, s’il y avait un taux de participation plus élevé, on aurait un gouvernement plus représentatif de ce que la majorité des Ontariens veut. Tout le monde a un rôle à jouer. »