Université de l’Ontario français : Mulroney n’a pas d’alternative précise
TORONTO – Le manque de cours et de programmes en français dans la grande région de Toronto a été documenté au cours des dernières années. Caroline Mulroney affirme que le projet d’Université de l’Ontario français ne répondait pas aux besoins en main d’œuvre francophone, mais elle se garde bien de proposer un plan alternatif.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
La ministre déléguée aux Affaires francophones répète que le déficit laissé par les libéraux cause l’abolition du projet d’université francophone. Mais le gouvernement a aussi avancé que l’Université de l’Ontario français n’était pas un projet « rentable » et qu’il ne répondait pas aux besoins professionnels de la communauté francophone.
« Le modèle proposé était insoutenable et ne répondait pas à la demande pour une main-d’œuvre qualifiée dans les domaines qui en avaient besoin, soit des infirmières, des enseignants, des juristes francophones et autres », écrit Caroline Mulroney, dans une lettre publiée dans le quotidien Le Droit, quelques heures après l’annonce fatidique.
Une critique qui n’est pas nécessairement nouvelle. Les quatre programmes phares qui devaient être offerts à la nouvelle université étaient les suivants : Culture numérique, Pluralité humaine, Environnements urbains et Économie mondialisée.
Certains ont déjà soutenu que des diplômes dans ces disciplines ne permettraient pas, ensuite, de décrocher un emploi. En théorie, l’Université de l’Ontario français devait développer d’autres programmes généraux, mais cela n’était pas la priorité, avait indiqué la direction de la future université francophone.
Dans sa lettre, Caroline Mulroney va plus loin. « Notre gouvernement est déterminé à soutenir et à améliorer les programmes d’enseignement postsecondaire en français existants afin de répondre aux besoins des étudiants francophones et du milieu des affaires de l’Ontario dans un marché du travail en pleine évolution », poursuit-elle.
La ministre déléguée aux Affaires francophones semble ouvrir la porte à une amélioration des programmes existants ou encore, à un déplacement du financement prévu vers l’Université de l’Ontario en direction de l’offre de cours actuels.
Flou devant la presse
Devant la presse, Caroline Mulroney affirme pourtant qu’il n’en est rien. « Quelle alternative proposez-vous pour combler les besoins en matière de cours et de programmes en français alors? », s’est-elle fait demander par #ONfr, mardi.
« Concernant l’université, nous avons dit que nous n’avons pas les finances, car les libéraux nous ont donné un déficit de 15 milliards de dollars. L’alternative maintenant est de remettre l’Ontario sur la voie de la prospérité. Tous les Ontariens, y compris les francophones, ont besoin d’avoir cet accès aux services de la santé. Et malheureusement, nous dépensons 12 milliards de dollars pour des créanciers à l’extérieur de l’Ontario », affirme la ministre déléguée aux Affaires francophones.
« Notre gouvernement a été élu avec un mandat clair : remettre l’Ontario sur cette voie et c’est la priorité numéro un pour notre gouvernement », a-t-elle poursuivi.
L’opposition rappelle les conclusions du passé
Avec la croissance soutenue de la population francophone à Toronto, le gouvernement va vite se rendre compte que des besoins ne seront pas comblés avec l’offre actuelle, affirme Marie-France Lalonde, critique libérale en matière de francophonie. Pire, l’élimination du projet ne viendrait en rien répondre aux critiques qu’elle évoque dans sa lettre ouverte au Droit.
« Tout à coup, il n’y a plus de besoins! », s’offusque Mme Lalonde. « Il y a eu étude après étude sur les besoins, ça a été clairement discuté avec toute la communauté. Il y a eu un rapport du commissaire aux services en français, un groupe d’experts, un conseil de planification… les chiffres étaient transparents sur la nécessité d’avoir une université francophone à Toronto », affirme la députée d’Orléans et ancienne ministre des Affaires francophones.
En 2017, une étude indépendante venait confirmer la nécessité d’un établissement universitaire entièrement francophone à Toronto. « On estime qu’un éventuel établissement postsecondaire de langue française attirerait un effectif se situant entre 2 454 et 4 049 étudiants par année », écrit la firme Malatest, qui est à l’origine du rapport.
En Ontario, seulement 22 % des programmes postsecondaires sont offerts en français. Dans le Centre-Sud-Ouest la situation est pire : seulement 35 programmes sont disponibles en français. « L’accessibilité aux programmes et aux cours postsecondaires de langue française chute à 3 % des programmes dans la région du Sud de l’Ontario », ajoute Malatest.
Doug Ford a clamé, lors de la visite de François Legault, que l’Ontario a déjà « dix collèges et universités qui offrent des cours en français ». Le rapport en question donne la parole à des jeunes qui expliquent pourquoi les campus bilingues ne répondent pas à leurs besoins.
« Les anglophones et les francophones n’interagissent pas [dans un établissement bilingue]. Ce fut une expérience d’isolement pour moi et les autres comme moi », affirme un jeune interrogé.
« Il y avait six étudiants inscrits pour un cours de base dans mon programme, deux étaient des anglophones et quatre francophones. L’université a exigé que le cours soit donné en anglais pour s’adapter aux deux étudiants anglophones, plutôt qu’aux quatre étudiants francophones. C’est tellement insultant », poursuit un autre.
« Dire que l’université est bilingue est de la publicité trompeuse. Vous n’avez pas le choix de suivre les cours en anglais si vous avez l’intention de terminer votre diplôme dans un délai raisonnable. Il faut au moins six ans d’école plutôt que quatre, parce que l’offre de cours de base n’est pas disponible en français. Ce n’est pas bilingue malgré la publicité », peut-on lire dans le document.
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