Les tribunaux fédéraux pourraient cesser la traduction de leurs jugements
OTTAWA — Sans un financement supplémentaire de la part du gouvernement, les tribunaux fédéraux devront cesser leurs opérations de traduction, une décision notamment reliée aux nouvelles exigences de la Loi sur les langues officielles, prévient le Service administratif des tribunaux judiciaires.
Cela toucherait quatre tribunaux fédéraux : la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada et la Cour canadienne de l’impôt qui sont gérées par le Service administratif des tribunaux judiciaires (SATJ).
« Sans financement additionnel, le SATJ sera contraint de cesser ses opérations de traduction et de révision, et ne pourra pas compter sur les services du Bureau de la traduction ni sur les fournisseurs externes », explique le fournisseur, qui ajoute qu’il ne pourra du même coup « améliorer ses outils et processus de traduction, ce qui l’empêchera de réaliser des gains d’efficacité ».
Le gouvernement Trudeau a annoncé lors de son budget 2024 qu’il allongeait 9,6 millions de dollars sur trois ans « afin d’accroître la capacité des tribunaux fédéraux à fournir des décisions traduites en français et en anglais ». Or, cela représente seulement le quart du budget nécessaire, soutient le SATJ, qui indique que « les pressions sur son budget opérationnel ont atteint un point critique cette année ».
Dans une entrevue avec le média juridique Law360 en septembre dernier, le juge en chef de la Cour fédérale Paul Crampton, soutenait que les quatre juridictions auraient besoin d’un financement de 85 millions sur six ans en plus de 15 millions annuellement.
« Le budget des opérations du SATJ a été historiquement insuffisant et trop limité pour maintenir les opérations de traduction et de révision en 2024-25 et pour absorber les coûts supplémentaires liés aux nouvelles exigences de la Loi sur les langues officielles », explique-t-on dans une déclaration écrite fournie à ONFR.
Le bureau du ministre de la Justice Arif Virani souligne qu’il a eu « une réunion constructive » avec les quatre juges en chef des tribunaux fédéraux le 6 décembre dernier pour « discuter de leurs besoins ».
« Le ministre Virani connaît la situation financière du Service administratif des tribunaux judiciaires », indique la porte-parole du ministre, Chantalle Aubertin, dans une déclaration.
Depuis juin 2024, les tribunaux fédéraux doivent traduire les décisions d’importance pour le public, les décisions où les débats se sont déroulés en tout ou en partie dans les deux langues officielles. Les cours fédérales doivent aussi publier simultanément en anglais et français toutes les décisions finales ayant valeur de précédent.
La modernisation de la Loi sur les langues officielles a donc eu pour effet de retarder la traduction de toutes les autres décisions de plusieurs mois. Selon le juge en chef Crampton, entre 1 000 et 2 000 décisions ont une valeur de précédent.
« Sans financement additionnel, les cours fédérales ne seront pas en mesure de respecter les obligations de la Loi sur les langues officielles », avertit le SATJ qui soutient « être contraint de tirer la sonnette d’alarme pour défendre l’intégrité du système judiciaire ».
Plusieurs mois entre la délivrance d’une décision et sa traduction
Plusieurs mois peuvent s’entasser entre la délivrance d’une décision et la traduction dans les deux langues officielles de celle-ci, précise l’organisme administratif des quatre cours fédérales. L’actuel manque pourrait être autour de 35 millions de dollars, ce qui signifie « qu’il est nécessaire de prévoir une réduction significative des opérations de la Cour ».
« Ceci aura pour effet d’augmenter l’arriéré actuel de décisions en attente de traduction, ce qui entraînera des retards importants dans la publication de décisions bilingues, entravant ainsi l’accès à la justice dans les deux langues officielles pour la population Canadienne », alerte le SATJ.
Le quatuor judiciaire est appelé à rendre des milliers de décisions chaque année en droit administratif, droit autochtone, droit de la citoyenneté, droit de l’immigration et des réfugiés, des recours collectifs, la propriété intellectuelle, la sécurité nationale, etc. Avant la pandémie, les dossiers reliés à l’immigration étaient en moyenne de 6 000 par année sur cinq ans, tandis qu’ils sont 24 000 en 2024, donne-t-on en exemple.
« La situation financière pour les prochains exercices financiers continuera à être difficile. Le déficit de financement a un impact sur les opérations de la Cour et il est nécessaire de prévoir une réduction significative des opérations de la Cour », annonce le SATJ.
Le bureau du ministre soutient que 3,19 millions de dollars seront alloués au SATJ pour faire face à l’augmentation des dossiers liés à l’immigration via le budget supplémentaire des dépenses qui reste à être adopté par le gouvernement Trudeau d’ici la fin de l’année.
Correction : Une précédente version de ce texte indiquait que « depuis la pandémie, les dossiers reliés à l’immigration sont passés en moyenne de 6 000 par année à 24 000 en 2024 ». Il s’agit plutôt de 6000 par année en moyenne sur cinq ans avant la pandémie.