
« On nous dit qu’on sera protégé mais ce n’est pas le cas » : la face cachée de l’accueil des réfugiées LGBTQ+

TORONTO – Adele est arrivée à Toronto depuis le Maroc avec, dans ses bagages, un passé marqué par les discriminations en raison de sa transidentité et de son homosexualité. En tombant dans la précarité et l’incertitude, les réfugiés LGBTQ+ se heurtent, comme elle, à un système carencé.
« J’ai quitté pour être libre », confit d’emblée Adele, qui a définitivement quitté le Maroc à la fin de l’année dernière, après 40 ans dans sa ville natale de Kénitra. Bien qu’elle ait suivi son frère qui vit à Toronto, le rejet de son orientation sexuelle par sa famille retentit encore ici, où elle vit dans un refuge.
« Je suis née en tant qu’homme, mais à l’esprit, au geste de femme », raconte Adele, qui, durant son enfance, a adopté un comportement et des intérêts perçus par la société comme efféminés.
À l’âge de 20 ans, sa nature féminine s’est heurtée à la violence de son père, combinée à la myriade de discriminations que les personnes homosexuelles endurent dans une société majoritairement régulée par la religion musulmane.
« Quand j’étais petite, mon père me frappait pour corriger ce qu’il considérait comme un problème, pour que je sois un homme », évoque-t-elle.
Elle dépeint l’expérience homosexuelle dans ce pays comme un rejet total de la société à tous les niveaux, y compris les violations des droits de la personne. « Ils peuvent même te refuser une hospitalisation. »

Jean-Nicolas Yacoub est avocat au sein de la clinique juridique du Centre francophone du Grand Toronto. Ce dernier rappelle que les discriminations subies par les ressortissants LGBTQ+ de pays qui criminalisent l’homosexualité se produisent sous des formes variées et insidieuses.
« Ce qui nous vient en tête le plus souvent, ce sont les personnes affligées par la guerre. Mais c’est beaucoup plus large que cela. La discrimination, c’est également une forme de persécution », rappelle l’avocat.
Selon lui, ce type de traitement est prévisible dans certains pays d’Afrique francophones comme la République démocratique du Congo ou le Cameroun.
Pour l’heure, aucune date d’audience n’est fixée pour l’asile qu’Adele a demandé, tant elle peine à trouver du travail. Georgelie Berry, coordinatrice des services d’établissement des nouveaux arrivants à FrancoQueer, affirme que « les délais de traitement tuent les nouveaux arrivants, surtout les demandeurs d’asile ».
Homophobie dans les couloirs du refuge
Par ailleurs, prouver son homosexualité peut s’avérer plus difficile pour ces réfugiés qui ont mené presque toute une vie dans le secret.
« Si la personne n’a pas de preuves concrètes, par exemple des photos avec son partenaire ou d’autres types de rapports, à la fin de la journée, tout va être une question de crédibilité sur le témoignage de la personne », affirme Jean-Nicolas Yacoub.
« Parfois, quand je me maquillais, ils commençaient à rire »
Même si elle a pu trouver un espace dans une maison de transition francophone du centre-ville, Adele se souvient d’expériences négatives au sein de refuges, comme à Homes First.
La négligence, voire les moqueries de la part de la gestion, l’ont fait se questionner sur l’engagement de certains établissements comme lieux sécuritaires pour les personnes LGBTQ+. « Parfois, quand je me maquillais, quand le gestionnaire et son équipe passaient, ils commençaient à rire par exemple », se souvient Adele.
Elle déplore un manque de formation et de sensibilité du personnel : « Je leur dis que mes plaintes, ce n’est pas pour vous faire des problèmes. Mes plaintes, c’est juste pour vous montrer qu’il y a une faille au sein de l’équipe. »
Georgelie Berry soutient l’idée qu’« il n’y a pas vraiment beaucoup de refuges spécialement adaptés pour les personnes LGBTQ+, notamment les femmes trans. On va trouver le drapeau dans un refuge puis on va vous dire que nous sommes un espace inclusif, mais ça doit être traduit dans les faits. »
Homes First a répondu à ONFR dans un courriel en s’abstenant de commenter ses cas individuels de plaintes par égard à sa politique de confidentialité.
Toutefois, l’organisation se dit engagée sur cette question par exemple en assurant des chambres d’affirmation de genre et en développant le premier site de refuge torontois spécifiquement dédié pour la communauté LGBTQ+.
Elle dit également soumettre son personnel à des formations obligatoires qui comprennent des modules relatifs à l’inclusion.
À Ottawa, Capital Rainbow Refuge est une maison de refuge spécifiquement faite pour accueillir les réfugiés sur le spectre queer. Selon Mauricio Oviedo qui coordonne les services et partenariats du refuge, les soins sensibles au traumatisme sont les plus importantes formations que tout personnel s’occupant de la communauté LGBT doit détenir.
« On ne peut pas traiter une personne qui fuit son pays, sa famille, parfois ne parle ni anglais ni français, sans considérer ses traumatismes ni la servir avec compassion », dit-il.

Choisir sa langue de communication
L’aspect de la langue occupe une certaine place dans l’expérience d’Adele dans la mesure où elle a développé un sentiment de conflit avec l’arabe, sa langue natale. « Je viens d’un pays arabe musulman, donc l’islam interdit ça (son homosexualité). Quand je parle avec un arabe je ne me sens pas bien », confie-t-elle.
Mauricio Oviedo confirme qu’il est commun que ces réfugiés refusent d’être mélangés à d’autres résidents de la même origine. « Parfois, ils viennent ici comme hommes, mais ils commencent leur transition à Ottawa. Donc ils ne veulent pas être placés avec d’autres de leur pays qui vont peut-être commencer à faire des commentaires », décrypte-t-il.
En réfléchissant à sa propre expérience de femme de couleur et queer, Georgelie Berry explique qu’en Ontario, être à la fois francophone, queer et une personne de couleur constitue un ensemble d’intersections compromettant le parcours de ces personnes. « On peut vivre 100 fois l’homophobie dans notre communauté ethnoculturelle », mentionne-t-elle.
Cela s’ajoute à la difficulté qu’Adele a rencontrée pour bénéficier de services en français à Toronto, où les refuges dédiés à la communauté LGBTQ+ affichent souvent complet.
Le Canada, terre d’asile des réfugiés LGBT?
Plus tôt ce mois-ci, dans la même lignée que les renforcements politiques en matière d’immigration qui se suivent depuis plus d’un an, le nouveau projet de loi C-2 voué à resserrer les mesures de sécurité à la frontière canado-américaine a marqué un important durcissement des options d’accès à l’asile au Canada.
Face à cette forme de fragilisation de l’image du Canada comme terre d’asile pour les réfugiées francophones LGBTQ+, des groupes œuvrant pour la défense des droits de la personne s’inquiètent d’une entrave au droit de demander l’asile de ces réfugiés. « C’est comme des sortes de mesures draconiennes, c’est anti-réfugiés, anti-immigration. Ça va contre l’esprit de la Convention de Genève », suggère Jean-Nicolas Yacoub.
D’après Adele, un effort reste à fournir notamment de la part des administrations des refuges, qui demeurent l’une des premières institutions avec lesquelles ces réfugiés interagissent dès leur arrivée au pays. « Ils disent que le Canada c’est ouvert. Mais ce n’est pas cas. Il y a pas mal de personnes qui n’acceptent pas (cette diversité) », conclut Adèle.
*LGBTQ+ désigne les personnes lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres, queer, le + englobant ici l’ensemble des personnes aux autres réalités diverses.