LGBTQ+ : où en est-on en Ontario? Les politiques et FrancoQueer nous répondent
TORONTO – Décryptage de la situation dans la province qui accueille chaque année la plus grande parade de la fierté au monde, avec le témoignage de l’organisme francophone FrancoQueer, l’analyse de Kristyn Wong-Tam, porte-parole néodémocrate 2ELGBTQ+*, et les réactions de plusieurs ministères au sein du gouvernement. Un état des lieux partagé entre avancées sociétales, acquis menacés et montée de la discrimination, sur fond de jeunesse engagée qui incarne l’espoir de l’inclusion de demain.
C’est dès ce début de semaine qu’une polémique a éclaté par le refus du Conseil scolaire de district catholique anglais de la région de York de hisser le drapeau pour le Mois de la fierté, à raison d’un vote de six contre quatre conseillers scolaires. Une nouvelle qui a animé les débats à Queen’s Park, la députée de Toronto-Centre Kristyn Wong-Tam, porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) sur les questions LGBTQ+*, soulevant les effets délétères d’une telle décision sur les jeunes de la communauté, plus touchés par le suicide, et exhortant le gouvernement à y répondre.
« Nous voulons que tous les enfants se sentent en sécurité dans la province. Le drapeau de la fierté représente un message d’inclusion », a répondu en chambre le ministre de l’Éducation Stephen Lecce. Le premier ministre Doug Ford avait quant à lui déclaré plus tard n’avoir aucun commentaire à faire aux journalistes le questionnant sur sa position, avant d’ajouter le lendemain qu’il soutenait la communauté et se rendrait même personnellement à la parade de York.
Global News a révélé une note du ministre de l’Éducation envoyée plus tard à ce conseil scolaire, en réaction à la polémique, affirmant le soutien du gouvernement aux enfants 2ELGBTQ+ : « Il incombe à tous les conseils scolaires de s’assurer que tous les élèves – plus particulièrement les élèves 2ELGBTQ+ – se sentent soutenus, reflétés dans leurs écoles et accueillis de manière significative pour affirmer qu’ils savent que leurs éducateurs et leur personnel, les administrateurs des conseils scolaires et le gouvernement sont solidaires avec eux. »
« Une note qui ne les exhorte pas au lever de drapeau, bien que ça soit en leur pouvoir », commente la députée Toronto-Centre, en citant la Loi 2012 Pour des écoles tolérantes ou encore la Stratégie ontarienne d’équité et d’éducation inclusive.
Également soulevée en chambre ce début de semaine, la baisse du budget de Pride Toronto, passant de 250 000 $ en 2021 à 125 000 cette année, le NPD pointant du doigt l’augmentation des coûts d’assurance de sécurité pour les événements, en raison du risque de violence. Neil Lumsden, ministre du Tourisme, de la Culture et du Sport s’est alors dit prêt à réévaluer le financement pour l’année prochaine.
Une augmentation de 64 % des crimes haineux contre la communauté
Selon Mark Pelayo, le porte-parole du ministère de la Citoyenneté et du Multiculturalisme, 70 millions de dollars ont été investis depuis plusieurs années par le gouvernement pour lutter contre le racisme et la haine et veiller à ce que les communautés marginalisées disposent d’espaces communautaires sûrs et sécurisés par le biais de la subvention anti-haine pour la sécurité et la prévention.
Kristyn Wong-Tam, présidente du caucus néo-démocrate 2ELGBTQ+, explique que la pandémie a eu des conséquences dévastatrices sur la communauté qui a plus de mal à s’en relever : « Ce que nous voyons en Ontario, ce sont des membres 2ELGBTQ+ qui font face à des défis, de la discrimination pour accéder au logement, un manque d’accès adéquat aux soins de santé. Toutes les difficultés auxquelles chacun fait face en Ontario sont amplifiées pour eux. »
« Au cours des dernières années, nous avons constaté une augmentation de la haine qui devient de plus en plus forte et qui cible souvent la communauté trans et non binaire et les artistes drags », raconte-t-elle, ajoutant que des associations policières, le Réseau canadien anti-haine ou encore Statistique Canada signalent une augmentation significative de la criminalité contre la communauté LGBTQ+, en hausse de 64 %.
Selon la députée, il s’agit également d’un phénomène plus global de montée de la haine dans le monde, mais qui se passe aussi en Ontario : « Nous avons un premier ministre qui a activement courtisé les minorités sectaires lors de sa campagne. Il a été un partisan actif de Charles McVedy du Canadian Christian College, connu pour ses penchants anti-queer, qui a fait tout son possible pour lutter contre l’égalité du mariage », déplore-t-elle.
De poursuivre : « Ces incidents qui se produisent en Ontario sont bien réels. Certains des manifestants sont issus de groupes suprémacistes blancs de droite très organisés. Ce sont les mêmes qui lancent des attaques contre les communautés musulmanes et juives. Ma communauté a très peur. Le gouvernement pourrait publier une déclaration disant qu’il ne tolérera pas cette violence et pourtant il reste silencieux. »
Arnaud Baudry, directeur général de FrancoQueer, l’organisme francophone de Toronto, explique que « sur le papier en Ontario, les droits de la personne sont très affirmés. Mais dans la pratique, on voit qu’il y a toujours beaucoup d’homophobie, de biphobie, de transphobie, ainsi que du racisme qui s’y ajoute ».
« Les personnes issues de la diversité sexuelle ont encore beaucoup d’expériences négatives avec le logement, dans le milieu du travail. Dans un entretien d’embauche, une personne nous a rapporté s’être vue dire qu’ils recherchaient « une femme femme », qui s’habille selon les normes féminines de la société », témoigne celui-ci.
M. Baudry rapporte qu’un groupe de parents a récemment interrompu avec violence une présentation sur l’inclusion dans un conseil catholique francophone, sous couvert d’incompatibilité avec leurs principes religieux.
Un non-sens selon l’organisme FrancoQueer, pour qui les initiatives dans les écoles visent justement à favoriser l’empathie et le respect et non pas à instiller un trouble identitaire ou modifier l’identité des genres : « Face à la haine, la sensibilisation est loin d’être suffisante, mais travailler avec des communautés religieuses plus progressives pourrait être une solution. »
L’espoir de la jeunesse et d’une communauté vibrante
« Malgré tout ça, nous avons des communautés résilientes et vibrantes en Ontario qui combattent la haine », exprime avec optimisme Kristyn Wong-Tam.
« Nous avons des jeunes qui prennent les devants dans cette conversation. C’est ce qui s’est passé au Conseil scolaire de district catholique anglais de la région de York. Ce sont les élèves conseillers qui défendent la cause de la population étudiante et font avancer l’équité et l’inclusion. Ils me donnent beaucoup d’espoir pour l’avenir en raison de leur volonté de créer un soutien par les pairs, un espace sûr les uns pour les autres. »
La députée NPD souhaite que le gouvernement en fasse plus pour assurer la sécurité de la communauté en adoptant des projets de Loi, notamment Zone de sécurité, pour déterminer une stratégie de lutte contre l’homophobie, et le projet de Loi Soins de santé axés sur l’affirmation de genre, sur les tablettes à Queen’s Park.
« La fierté c’est ça, une occasion de célébrer, mais aussi une occasion de revendiquer que nous sommes fiers d’être qui nous sommes » – Arnaud Baudry
FrancoQueer, qui accompagne la communauté francophone et les organisations dans la création d’un environnement accueillant et sécuritaire et le développement de pratiques inclusives, estime à environ 15% la population LGBTQ+ francophone dans la région du Grand Toronto.
« Quand on travaille au contact des jeunes, ça nous donne de l’espoir », explique le directeur général, réaffirmant toutefois la grande nécessité d’initiatives de sensibilisation à l’inclusivité dans les écoles.
Il explique que la programmation de la Franco Fierté 2023 de l’organisme francophone, va encore être une opportunité d’engagement des communautés et des partenaires de façon à augmenter la compréhension des enjeux de la diversité sexuelle et de genres : « La fierté c’est ça, une occasion de célébrer, mais aussi une occasion de revendiquer que nous sommes fiers d’être qui nous sommes », conclut Arnaud Baudry.
*2ELGBTQ+ désigne les personnes deux-esprits, lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres, queer, le + se référant notamment aux personnes agenres, genderqueer, pansexuelles, non-binaires, demi-sexuelles, demi-romantiques et en questionnement. Certains organismes ajoutent un A pour asexuel. Lorsqu’ONFR+ utilise l’acronyme LGBTQ+, le + englobe l’ensemble de ces personnes aux réalités diverses.