Ottawa bilingue : un enthousiasme à nuancer
OTTAWA – Le projet de loi du gouvernement libéral de Kathleen Wynne reconnaissant le caractère bilingue de la Ville d’Ottawa n’est pas aussi « historique » que les libéraux ontariens veulent bien le présenter, estiment Dialogue Canada et le juriste Mark Power.
Loin de l’ambiance de liesse qui a suivi le dépôt du projet de loi privé de la députée d’Ottawa-Vanier, Nathalie Des Rosiers, le 31 mai dernier, puis des applaudissements qui ont suivi la présentation du projet de loi « omnibus » du 14 novembre dans lequel le gouvernement libéral reprenait à son compte le projet consacrant le caractère bilingue de la Ville d’Ottawa, des voix s’élèvent pour modérer l’enthousiasme.
C’est notamment le cas de l’avocat, spécialiste des droits linguistiques, Mark Power. Après avoir analysé de près l’annexe 5 du projet de loi 177, intitulé Loi de 2017 pour un Ontario plus fort, ce dernier se montre circonspect.
« C’est un pas dans la bonne direction, mais c’est un petit pas seulement. Dire que c’est une « grande avancée », c’est surtout un exercice de relations publiques. On reconnaît le caractère bilingue de la municipalité, ce qui n’était pas le cas dans la Loi de 1999 sur la Ville d’Ottawa qui ne parlait que d’une politique traitant de l’utilisation du français, mais c’est surtout symbolique, même si parfois les symboles sont importants. »
Statu quo
Dans le projet de loi, on indique que l’annexe qui modifie la Loi de 1999 sur la ville d’Ottawa « reconnaît le caractère bilingue d’Ottawa et oblige la ville à adopter un règlement municipal instaurant le bilinguisme dans son administration et dans ses services. Elle précise qu’un règlement municipal que la ville d’Ottawa a adopté en matière de bilinguisme est bien ce règlement. »
Un langage juridique qui ne doit pas cacher que les avancées sont minimes et les risques toujours présents pour les Ottaviens francophones, estime Me Power.
« On institutionnalise le statu quo, en reconnaissant que le règlement actuel sur les services en français satisfait les exigences d’avoir un règlement. Mais on n’empêche nullement la ville de pouvoir le changer à sa guise, sans que l’on sache quels changements seraient acceptables. Est-ce que supprimer les services en français dans une ou plusieurs piscines, par exemple, serait acceptable? Le projet de loi ne précise pas le minimum de services en français qui serait acceptable. »
« Le projet de loi n’est pas clair et ce genre d’incertitudes nuit toujours aux groupes minoritaires. À la longue, cela pourrait nuire aux francophones. » – Mark Power, avocat
Et de poursuivre : « On est loin de ce qui se fait en matière de protection du français dans la fonction publique fédérale ou dans les municipalités du Nouveau-Brunswick ou dans les territoires. Juridiquement, la province aurait tout à fait pu aller plus loin en faisant d’Ottawa une ville officiellement bilingue et en reconnaissant l’égalité de statut entre l’anglais et le français à tous les niveaux. »
Les explications de Me Power donnent un nouvel éclairage sur l’étonnante « profession de foi » du maire d’Ottawa Jim Watson en faveur du projet de loi, alors que ce dernier s’était toujours farouchement opposé aux demandes de faire d’Ottawa une ville officiellement bilingue.
Un seul gain
Malgré tout, le projet de loi contient un gain, note Me Power.
« On confirme que le commissaire aux services en français peut enquêter sur les plaintes formulées pour des manquements à la Ville d’Ottawa. »
Une chose est sûre, même si il est adopté, ce projet de loi ne rendra aucunement la Ville d’Ottawa officiellement bilingue, insiste-t-il.
« Ce projet de loi ne garantit aucunement l’égalité réelle du français et de l’anglais à la Ville d’Ottawa. On ne fait que confirmer les imperfections du règlement actuel en jugeant qu’elles sont acceptables. »
Raison pour laquelle le groupe Dialogue Canada ne s’en satisfait pas.
« Ce projet de loi ne changera pas grand-chose. Il est loin de notre objectif qui était de changer la culture de bilinguisme de la Ville d’Ottawa. Je crains même que les efforts pour aller dans cette direction ne diminuent avec ce projet de loi », regrette le président sortant, John Trent.
Dialogue Canada veut continuer le travail
Pour son organisme, il manque plusieurs éléments fondamentaux dans le projet de loi du gouvernement ontarien.
« Actuellement, c’est tout le contraire de ce qu’on demande. On voudrait voir plus d’efforts bilingues de la part du conseil municipal dans ses débats et dans les comités. Il faudrait également que le personnel de la ville soit davantage bilingue, alors qu’on accorde trop souvent des dérogations pour nommer des hauts gestionnaires unilingues. Il y a aussi des efforts de promotion bilingue à faire dans les événements. Enfin, le gouvernement fédéral doit lui aussi s’assurer que les services sont bilingues dans ses propriétés. Ce sont des éléments nécessaires pour que soit reconnue la culture bilingue d’Ottawa au plan national et international. »
Dialogue Canada compte poursuivre ses efforts auprès des paliers de gouvernement municipal et fédéral afin de les convaincre d’emprunter ces orientations.
« Les Franco-Ontariens ne sont pas les seuls à vouloir promouvoir le bilinguisme officiel d’Ottawa. Il y a des anglophones bilingues comme moi qui considèrent que c’est bon pour les droits des citoyens, mais aussi pour l’économie et la réputation d’Ottawa. »