À l’heure de la COVID-19, le grand défi des librairies francophones

Le propriétaire de la Librairie Le Nord, Omer Cantin. Archives ONFR+

Dans quelques années, des milliers de livres se vendront certainement sur l’épidémie de coronavirus de 2020. En attendant, les librairies rongent leur frein. Avec la COVID-19 comme épée de Damoclès, les directions de ces commerces franco-ontariens ont peur.

Hearst retient son souffle. Le décompte macabre qui se poursuit en Ontario épargne pour l’instant le « village gaulois » du Nord de l’Ontario. Ce n’est pas une raison pour relâcher les mesures de confinement et de distanciation sociale. À commencer par la Librairie Le Nord.

Depuis plusieurs semaines, la porte de l’institution ayant pignon sur rue depuis plus de 30 ans est fermée. À l’intérieur, le propriétaire Omer Cantin et son employée sont présents pour faire vivoter tant bien que mal la librairie.

« C’est pratiquement mort, on n’a presque plus de clients », soupire le propriétaire. « Depuis le début de la crise, c’est grosso modo 80 % de chiffre d’affaires en moins. »

Principale raison : les bibliothèques municipales et les conseils scolaires, principaux clients de la librairie, ont suspendu leurs commandes.

« Les autres commandes des gens dans les rues de Hearst restent très mineures. Je ne sais pas comment ça va aller, peut-être que nos clients vont revenir, mais je ne sais pas si on va pouvoir récupérer les pertes de revenus. J’ai dû faire une mise à pied temporaire! Je me casse la tête! »

La Libairie Le Nord à Hearst. Source : Facebook Librairie Le Nord

Si les commandes sont aujourd’hui le nerf de la guerre pour les librairies dorénavant fermées, encore faut-il pouvoir inciter les clients à le faire. Dépourvu d’un site web, le commerce de M. Cantin souffre.

« Plus que jamais avec cette crise, mes principaux concurrents sont les grosses bannières comme Amazon, Renaud Bray et Chapters. Si l’épidémie est longue, j’ai peur que même nos clients s’habituent à passer par nos concurrents. »

Un impact pour les deux librairies à Ottawa

À des centaines de kilomètres, l’inquiétude est aussi palpable à Ottawa. Au cœur du Marché By, et forte de nombreuses étagères de livres, la Librairie du Soleil jouit d’une situation beaucoup plus enviable que ses homologues franco-ontariennes.

« Tout ce qu’on peut faire pour le moment, c’est du commerce en ligne », souligne son gérant principal Jean-Philip Guy. « Notre clientèle a répondu de manière impressionnante. Nous recevons des commandes d’un volume 10 fois plus élevé que d’habitude. Cela se chiffre de 50 à 100 commandes par jour. Nous sommes très chanceux d’avoir une clientèle qui pense à nous! »

En dépit de ces chiffres encourageants, tout n’est pas rose. Loin de là.

« Il y a tout de même un impact. Nous avons dû faire des mises à pied de presque tous nos employés, sauf pour une employée. On a quand même des inventaires achetés qui pour le moment dorment. On a cependant des courriels que les conseils scolaires vont repartir de l’avant dans quelque temps en achetant les livres… on espère! »

L’intérieur de la Librairie du Soleil. Source : Facebook Librairie du Soleil

Un contexte difficile qui se traduit par une baisse de 60 % du chiffre d’affaires, selon M. Guy.

Afiiliée à la succursale principale à Gatineau, la Librairie du Soleil bénéficierait, selon certains observateurs, de la législation québécoise. À savoir une politique du livre qui oblige les conseils scolaires et les bibliothèques publiques à se fournir auprès des librairies locales. Un arsenal législatif qui n’existe pas en Ontario.

Loin du centre-ville, l’autre librairie d’Ottawa, le Coin du livre, doit se conformer à la pratique provinciale considérée pénalisante pour les librairies francophones. Dans cette situation de crise, le défi est même double.

« C’est évident que notre chiffre d’affaires est affecté étant donné que nous desservons habituellement les écoles », nous explique prudemment la plus vieille librairie franco-ontarienne, dans un échange de courriels. « Par contre, nous redoublons d’efforts en ce moment pour continuer de servir nos clients avec un service de livraison et de ramassage à l’extérieur du magasin. »

Et de poursuivre : « On sait également que plusieurs personnes sont grandement affectées financièrement durant cette crise. On a donc décidé d’offrir 15% de réduction sur presque tous les livres en magasin jusqu’à la réouverture des écoles. »

Penser à l’après

Impossible en tout cas de cocher une date pour la réouverture de ces librairies. « Nous avons hâte de rouvrir, mais je tiens à rassurer nos clients, nous ne sommes pas menacés », illustre Omer Cantin.

Depuis plusieurs années, les fermetures des librairies franco-ontariennes se multiplient. En dix ans, Grand ciel bleu et la Librairie du Centre à Sudbury, la Librairie Champlain et la Maison de la presse à Toronto ont dû mettre la clef sous la porte. Il y a deux ans, l’autre succursale de la Librairie du Centre, à Ottawa, connaissait le même sort.

« Quand on va rouvrir, on va mettre une limite de clients à la fois », poursuit le propriétaire de la Librairie Le Nord. « D’autres choses sont à l’étude comme peut-être faire dans un premier temps plus de commandes par téléphone, quitte à mettre les livres sur le perron de la porte dans un sac pour que les clients viennent les chercher. »

La gestion de l’après, c’est aussi sur quoi planche la direction de la Librairie du Soleil.

« Ce ne sera pas une réouverture comme avant. Il y aura une grande méfiance des gens. On ne sait pas si on pourra garder le même nombre d’employés. Nous ne voulons prendre aucun risque pour le public. On pense, peut-être, à beaucoup de protections, comme l’installation de glaces, un nombre limité de personnes dans la librairie. Cela risque d’être différent! »