Aéroports privatisés : un risque pour les services en français?
OTTAWA – La possibilité de voir les aéroports canadiens privatisés, tel qu’envisagé par le gouvernement fédéral, soulève des craintes quant à leur capacité à offrir des services bilingues aux voyageurs.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« Déjà que nous avons du mal à nous faire servir en français dans les aéroports, il y a des raisons d’être inquiet! », juge le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson.
Les problèmes d’offre de services en français et en anglais sont récurrents dans les aéroports. Selon les chiffres du Commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada, 43 des 1018 plaintes recevables concernaient les autorités aéroportuaires en 2016-2017.
« Historiquement, la transition vers la privatisation s’est toujours accompagnée d’une perte de capacité à offrir des services bilingues » – Jean Johnson, président de la FCFA
L’avocat et spécialiste en droits linguistiques, Michel Doucet, rappelle que les précédents ne plaident pas en faveur d’une privatisation.
« On l’a vu avec Air Canada à l’époque, l’entente a été mal faite. Résultat : aujourd’hui encore, il y a des problèmes récurrents de respect des deux langues officielles. Le problème avec les privatisations, c’est que souvent, les clauses linguistiques sont oubliées ou négligées car ce n’est pas la principale préoccupation de ceux qui s’en occupent. »
Aucune décision de prise, dit le gouvernement
Récemment, le réseau public CBC/Radio-Canada rapportait que le gouvernement de Justin Trudeau a confié le mandat à la firme PricewaterhouseCoopers (PwC) d’étudier la possibilité de privatiser les aéroports, dont l’aéroport Pearson de Toronto, et d’en chiffrer les éventuelles retombées financières. Celles-ci se chiffreraient en milliards de dollars, selon les premiers chiffres avancés.
Contacté par #ONfr, le ministre des Finances, Bill Morneau, par la voix de son attachée de presse, Chloé Luciani-Girouard, assure « qu’aucune décision n’a été prise concernant une vente éventuelle des aéroports ».
Le ministère des Finances précise que la réflexion actuelle fait suite au rapport d’examen de la Loi sur les transports au Canada (LTC), déposé en février 2016 par le ministre des Transports, dans lequel plusieurs questions avaient été soulevées, « y compris celle de savoir si les modèles actuels de gouvernance et de prestation de services relatifs aux opérations clés, aux biens essentiels et aux organismes clés du gouvernement fédéral, dont les aéroports canadiens, peuvent être améliorés ».
« Le gouvernement du Canada continue d’examiner les recommandations présentées dans le rapport. La Corporation de développement des investissements du Canada (CDIC) a reçu le mandat de solliciter les conseils financiers de tiers experts en ce qui concerne les aéroports du Canada. L’objectif est d’éclairer l’étude menée par le gouvernement en ce qui a trait aux recommandations relatives à la gouvernance des aéroports. Cela comprend le travail du cabinet d’experts-conseils PricewaterhouseCoopers », poursuit le ministère dans un échange de courriels avec #ONfr.
L’opposition s’étonne
La critique aux langues officielles pour le Parti conservateur du Canada (PCC), Sylvie Boucher, s’étonne de l’initiative du gouvernement.
« Il n’en a jamais été question durant la campagne électorale et encore une fois, cela montre le manque de transparence du gouvernement Trudeau qui avait pourtant promis de l’être. Au niveau des langues officielles, je comprends l’inquiétude que cela peut susciter. Si le gouvernement va de l’avant, il faudra fixer des clauses solides et pour ça, il doit cesser d’agir de manière aussi opaque. »
Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a pour sa part annoncé qu’il lançait une campagne contre la privatisation des aéroports.
« Les libéraux ont fait campagne en promettant d’investir dans les infrastructures publiques et de relancer l’économie au bénéfice de tous. Au lieu de cela, ils ont créé une banque de privatisation pour construire des infrastructures privées et générer des profits pour des compagnies. Nous apprenons maintenant qu’ils trompent le public en envisageant de privatiser des aéroports. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire », a commenté le critique du NPD en matière de transport, Robert Aubin, dans un communiqué.
Prévoir des pénalités
Même s’il estime préférable d’éviter une telle privatisation afin que le gouvernement reste imputable en cas de manquements à ses obligations linguistiques, M. Doucet indique que celui-ci devra être très attentif s’il va de l’avant.
« Il faudra un contrat énonçant des obligations très claires, avec des pénalités en cas de violation de la Loi sur les langues officielles, pour ne pas répéter les erreurs du passé. Les francophones en milieu minoritaire devront également s’assurer que le gouvernement reste toujours le responsable en cas de problèmes. »
Le président de la FCFA espère que les communautés de langue officielle en situation minoritaire seront consultées dans ce dossier.
« Le gouvernement semble très sérieux dans ses démarches. Actuellement, ce sont surtout des considérations économiques qui priment, mais il ne doit pas oublier le volet des langues officielles », commente M. Johnson.