Ajà Besler, ou la volonté d’être jugée pour ses actions

La directrice générale de l'ACFO Ottawa, Ajà Besler. Archives ONFR+

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

OTTAWA – Connue pour sa dévotion dans la cause francophone et la communauté LGBTQ+, Ajà Besler a accepté de se dévoiler à ONFR pour ses deux ans à la tête de la direction générale de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO Ottawa). Rencontre avec une leader affirmée. 

« Au moment de votre nomination à la tête de l’ACFO Ottawa à titre de directrice générale le 17 juillet 2017, vous aviez dit que votre objectif serait d’apporter plus de visibilité à l’organisme. Deux ans plus tard, considérez-vous que l’objectif est atteint?

C’est toujours quelque chose sur lequel il faut travailler, car il y a de plus en plus de francophones, et ils ne sont plus seulement dans un seul quartier. Mais lorsqu’on regarde l’ampleur de la manifestation du 1er décembre 2018 à Ottawa, où nous avons été capables de rassembler 5 000 personnes, je me dis qu’il y a du progrès.

Les gens sont plus actifs et politisés, le nombre des sans-voix a triplé et ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux également.

Vous êtes capable d’affirmer qu’Ottawa est officiellement bilingue?

Est-ce que la Ville d’Ottawa est-elle officiellement bilingue? Oui. Est-ce que le bilinguisme est ressenti partout sur le territoire? Pas nécessairement. Nous [L’ACFO Ottawa] avons un projet Ottawa Bilingue. Nous allons distribuer de l’argent à d’autres groupes par des micro-subventions pour pouvoir renforcer le bilinguisme au sein des organismes et des entreprises. Donc, nous savons qu’il y a encore du travail à faire pour que le bilinguisme s’inscrive au sein même de la capitale nationale.

Avec les différentes coupures du premier ministre, Doug Ford, vis-à-vis des francophones, êtes-vous inquiète pour l’avenir?

Ça faisait déjà quelques années que nous ne recevions plus de financement venant du provincial. Nous n’étions pas affectés quand Doug Ford a commencé les coupures, car il n’y avait pas d’argent à couper.

Nous recevons de l’argent venant de Patrimoine canadien, 49 000 $ en tout pour le fonctionnement de l’organisme, auquel vient s’ajouter notre gros projet des micro-subventions, pour lequel nous avons reçu 1,25 million de dollars sur deux ans. C’est historique quand on voit d’où on vient. Pendant les années précédentes, je dirais qu’on s’est autofinancé à 55 ou 60 % , grâce à notre boutique en ligne, et des collectes de fonds.

Vous avez la réputation d’être une femme franche et directe, d’où tirez-vous cette poigne?

(Soupir). L’honnêteté est importante pour moi. Je fais tout mon possible pour rester authentique et vivre mes valeurs quotidiennement. Ceci dit, je me questionne souvent si j’étais un homme, est-ce que ces caractéristiques qui font de moi quelqu’un de brusque ou franche et directe ne seraient-elles par perçues comme des qualités de leadership?

Est-ce c’est parce que je suis une femme que ces choses-là sont trouvées agressives par les gens? Je crois que le questionnement est plutôt par rapport aux rôles qu’on attribue aux différents genres.

Avez-vous le sentiment qu’en tant que jeune femme ayant des responsabilités, il y a un risque que vous ne soyez pas prise au sérieux, si vous ne restez pas, comme vous le dites, authentique?

Je veux qu’on me juge pour mes actions, mon travail, non comme je m’habille. C’est un véritable défi d’être une jeune femme dans mon milieu. Je me souviens quand j’ai commencé, il y avait une femme à la direction d’un autre organisme. Au moment de notre rencontre pour une collaboration, elle m’a dit : « Ah, vous êtes jeune pour être à ce poste-là ».

En fin de compte, cette personne était plus jeune que moi. Donc, le problème ne vient pas que des personnes âgées, c’est toute une mentalité. Je le ressens assez fréquemment dans les rencontres.

Vous êtes une fervente défenderesse de la communauté LGBTQ+, d’où vous vient cette motivation pour être autant impliquée?

D’abord, parce que j’appartiens à cette communauté. Je m’identifie comme queer. En plus, je vois de plus en plus des jeunes qui s’identifient comme LGBTQ+. Selon certaines études en Amérique du Nord, on parle de 50 % des jeunes qui s’identifient comme LGBTQ+ et les francophones en font partie.

Je pense que c’est important de reconnaître la diversité et de la soutenir. Pour moi, c’est toujours plus facile de défendre les minorités auxquelles j’appartiens. De plus, quand j’étais jeune, on m’a fait une place. Il est important que je fasse également de la place à d’autres.

Ajà Besler lors de la session de préparation d’affiches pour la manifestation du 1er décembre 2018. Gracieuseté : Ajà Besler

À quoi ressemble une journée typique pour vous?

(Rires). J’ai un horaire qui varie beaucoup. Parfois, il s’agit de rencontres ou de siéger sur des comités ou de faire plutôt une présentation. Des fois, j’ai des tâches plus administratives comme écrire des rapports ou des demandes de subventions, des choses comme ça. Notre bureau, c’est un espace ouvert, donc on est quatre personnes qui travaillons ensemble dans le même espace.

Il y a beaucoup des discussions et de dialogues qui se font entre les collègues. C’est un défi quotidien, et je suis contente d’être là.

Ça fait 13 ans que vous vivez à Ottawa, d’où venez-vous exactement?

Je viens de l’Alberta. Mes parents se sont séparés lorsque j’étais jeune, ma mère a déménagé dans le Sud de l’Ontario et je suis allée avec elle.

Votre mère est avocate. Elle vous a transmis le goût de la justice?  

Je pense certainement que ça créé des réflexes analytiques, car mon père et mon beau-père sont aussi avocats, donc j’ai trois parents avocats et un parent qui est travailleur social.

Donc, vous étiez prédisposée à cette carrière?

(Rires). Oui, maintenant qu’on le dit, ça me paraît tellement évident. Je me faisais souvent poser la question quand j’étais enfant : est-ce que tu veux être avocate?

Pensez-vous vous lancer en politique, un jour?

(Rire gêné). Oh là là, non!

Pourquoi ce rire gêné?

Je me suis déjà présentée pour un poste de conseillère scolaire, il y a quelques années. (Hésitante) Mais je pense qu’être députée provinciale ou fédérale, c’est un rythme de vie intense avec beaucoup de déplacements, de participation à des événements…

J’ai quand même beaucoup de problèmes de santé chroniques, et c’est très éprouvant de vivre le rythme de vie des politiciens. Si les choses changent pour moi dans le futur, pourquoi pas?

Après 13 ans à Ottawa, comme vous le dites si bien, vous avez rencontré des personnes et été active dans des organismes qui vous ont aidée à vous construire, vous sentez-vous redevable?

Oui, totalement, je me sens vraiment redevable! On m’a créé une place et j’ai pu me développer, puis développer ma construction identitaire dans le milieu franco-ontarien. Je veux donc moi aussi pouvoir créer de la place pour les autres, surtout pour les gens qui sont des minorités au sein de notre minorité. Je pense souvent à ces personnes-là qui ont un peu plus des barrières, et que mon rôle au sein de l’ACFO, c’est de voir comment on peut réduire ces barrières-là!

C’est une des raisons pour lesquelles on a fait une série de murales afin de célébrer la francophonie à Ottawa. Il ne s’agit pas des murales historiques, mais des murales qui montrent les visages de la francophonie avec des artistes hip-hop, africains. »


LES DATES-CLÉS D’AJÀ BESLER :

1988 : Naissance à Edmonton

2005 :  Représente l’Ontario aux Jeux de la Francophonie avec son groupe de musique Les Farfadets

2006 : Déménagement à Ottawa 

2016 : Élection à la présidence de l’ACFO Ottawa

2017 : Devient directrice générale de l’ACFO Ottawa

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.