Amanda et Olayou, des soeurs « inuit, franco et fières »
EMBRUN – Amanda et Olayou, deux sœurs franco-ontariennes et inuites, nous racontent leur histoire. Bercées par la culture franco-ontarienne de leur père, à laquelle elles sont très attachées, elles se mettent en quête de leurs racines inuites, héritées d’une maman partie trop tôt. Pour partager et faire vivre la culture inuite ancestrale, elles ont créé un Cercle de l’amitié autochtone, des échanges autour de la langue, l’inuktitut, des ateliers d’artisanat ou encore des chants de gorge… Cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation est pour elles l’occasion de sensibiliser à un passé tragique, mais également de se tourner vers l’avenir.
« Vous avez grandi à Embrun, en Ontario, où vous résidez toujours. Dans quelles traditions et cultures avez-vous été immergées durant votre enfance?
Olayou Carrière : N’ayant pas grandi avec notre mère, nous nous sommes beaucoup moins imprégnées de la culture inuite. Mais en grandissant, notre papa nous a toujours encouragées à rester proches de nos racines. Il avait même gardé des objets du temps où il avait travaillé à Iqaluit, au Nunavut.
Ce sont mes deux identités et c’est dans notre sang. De notre côté, nous avons pris des cours de langue, pris part aux activités des organismes autochtones à Ottawa et nous avons noué des liens avec des étudiantes inuites du collège Nunavut Sivuniksavut qui ont grandi dans la culture, ce qui nous a aidées à nous l’approprier davantage.
Amanda Morris : Nous avons grandi bercées dans la culture franco-ontarienne, aux sons de Mon beau drapeau. Je suis fière d’être Franco-Ontarienne. Notre père nous chantait la chanson Frère Jacques en Inuktitut, la langue du Nunavut. Ce sont deux belles cultures que nous sommes chanceuses de pouvoir vivre et transmettre à nos enfants.
Quelle influence ces langues issues de votre double héritage franco-inuit ont-elles pour vous et comment résonnent-elles dans votre quotidien?
Amanda : Nous sommes bilingues, français et anglais, et nous avons des bases d’inuktitut. Dans le cadre de nos fonctions, travaillant toutes deux pour Statistiques Canada – pour ma part sur l’enquête des incapacités au pays – être bilingue est très important.
Du fait de notre apparence physique, certaines personnes peuvent penser que seule notre culture inuite nous définit. Mais ma culture franco-ontarienne est très importante pour moi. Je veille aussi à ce que mon jeune fils ne s’anglicise pas au détriment du français.
Olayou : De mon côté, je travaille au Centre des statistiques et partenariats autochtones. Le français est bien sûr fondamental à nos tâches et c’est aussi une fierté pour nous. Les chiffres nous ont appris qu’il y a plus de 70 langues autochtones au pays, mais que beaucoup sont en voie de disparition. La revitalisation de ces langues est une nécessité. Pour le français en tant que minorité, c’est la même chose. Il faut veiller à conserver cette langue à tout prix.
On entend parfois les droits linguistiques des francophones et des autochtones être opposés les uns aux autres, en tant que minorités linguistiques. Quelle est votre vue sur la question?
Olayou : Certains anglophones peuvent être frustrés car, en tant qu’unilingues, ils peuvent ne pas se rendre compte que, bien que minoritaire en nombre au Canada, le français est aussi important et fait partie intégrante de son histoire. Quant aux langues autochtones, elles devraient être valorisées à un niveau systémique.
Amanda : Cela n’a pas de sens d’opposer le français et les langues autochtones, soit l’un soit l’autre, et d’une façon générale de les dévaluer et de les catégoriser comme des langues secondaires par rapport à l’anglais. Elles sont tout aussi importantes et n’ont pas à être comparées.
Comment vous est venue l’idée de créer des Cercles de l’amitié autochtone?
Olayou : Nous aimons apprendre et partager. Au travail, nous avons un cercle consultatif autochtone, ouvert aux Premières Nations, aux Métis, aux Inuits et aussi aux alliés. Ces échanges nous ont donné l’envie de créer un environnement de soutien similaire dans notre communauté d’Embrun. La vision derrière le projet est de proposer de découvrir des activités traditionnelles avec la communauté. À terme, on aimerait trouver un local permanent. Pour l’heure, nous allons nous réunir dans un espace de yoga d’une des membres.
Quelles sont les activités autour desquelles vous souhaitez réunir la communauté? Est-ce ouvert à tous?
Olayou : Nous n’avons eu que deux rencontres à date, donc c’est encore nouveau. Outre les échanges, il y a un aspect artistique, artisanal et linguistique, avec l’apprentissage d’éléments langagiers de l’inuktitut. J’aimerais d’ailleurs que l’on fasse pareil avec le michif, une des langues des métis. On a aussi, par exemple, organisé un atelier de fabrication de tambours avec des peaux de chevreuil, encadré par une personne issue des Premières Nations.
Amanda : Chacun est le bienvenu pour en apprendre plus et pour que nous puissions garder un ancrage dans notre culture. L’avantage de ce cercle est aussi de pouvoir bénéficier d’un partage des personnes-ressources et d’organismes qui existent. Une personne experte en généalogie est venue nous faire profiter de ses connaissances. Les intervenants et les expériences varieront. Nous n’avons pas encore établi notre prochaine rencontre, mais nous communiquerons via notre groupe Facebook. Au fur et à mesure que l’on apprend à se connaitre en tant que groupe, les thèmes abordés et les ateliers se définissent davantage.
La population inuite grandit en Ontario. Parlez-nous de cette communauté…
Olayou : Ottawa et Montréal sont les deux villes qui ont la plus forte concentration de population inuite en dehors de l’Inuit Nunangat (la patrie des Inuits au Canada), formé de quatre régions, l’Inuvialuits (Nord des Territoires du Nord-Ouest), le Nunavut, le Nunavik (Nord du Québec) et le Nunatsiavut (Nord du Labrador). La population inuite vivant à l’extérieur de l’Inuit Nunangat a connu une croissance plus rapide que celle de la population résidant sur la terre natale des Inuits (+23,6 % par rapport à +2,9 %). En 2021, 15,3 % des Inuits vivaient dans un centre urbain, en hausse comparativement à 13 % en 2016.
Beaucoup sont descendus au sud pour avoir accès à des soins de santé. De nombreuses organisations inuites se sont formées dans ces deux centres urbains, ce qui leur permet d’avoir des rassemblements et une vie communautaire vibrante.
Que représente pour vous le 30 septembre, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation?
Amanda : Je suis une personne qui aime regarder le côté positif des choses. Les pensionnats ont été une page très sombre de l’histoire de beaucoup d’Autochtones. J’aime le fait que beaucoup d’entre eux se réunissent pour pouvoir faire une différence, réclamer leur culture et essayer de la revitaliser. Le 30 septembre pour moi, c’est se souvenir de ce qui s’est passé, c’est honorer cette souffrance, mais aussi se tourner vers le futur et voir plus loin pour la communauté, pour réclamer notre culture.
Olayou : C’est aussi sensibiliser les gens aux trois peuples autochtones du Canada, se souvenir de l’histoire des pensionnats, et aussi venir en aide aux peuples autochtones aujourd’hui. C’est également l’opportunité de rouvrir les voies de communication.
Durant cette journée, on aime faire du perlage, notamment des chandails orange en perles, des bijoux et épinglettes. Une partie des profits que nous faisons sont d’ailleurs reversés à la société Orange shirt society, qui a débuté la Journée du chandail orange. »
Article réalisé avec l’aide à la recherche de Abigail Alves Murta.