Appel d’urgence au 911 : « It’s Ontario, things are done in English! »
TORONTO – Être dans une situation d’urgence ou en panique et être incapable de se faire comprendre par le répartiteur du 911 unilingue anglophone. Une Franco-Torontoise dit avoir vécu cette situation récemment. À aucun moment, elle ne se serait fait offrir l’aide d’un traducteur, malgré la procédure en place.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
« J’étais au centre-ville et j’ai vu une personne âgée au sol en détresse. J’ai tout de suite été l’aider et j’ai appelé le 911. On m’a alors demandé d’expliquer la situation, mais les mots me venaient seulement en français. J’étais en panique. J’ai alors demandé s’il y avait de la traduction possible. Le répartiteur du 911 m’a répondu : It’s Ontario, things are done in english », explique Anissa Benmessabih.
La francophone de Toronto a été estomaquée de recevoir une telle réponse de son interlocuteur. « Je paniquais, j’ai eu beaucoup de difficulté à donner des détails. Ce n’est pas simple de répondre sur les parties du corps touchées dans sa langue seconde. J’étais en état de choc et je ne trouvais pas mes mots, surtout que la dame en difficulté était aussi francophone. On a perdu de précieuses minutes à tenter de se faire comprendre », rapporte-t-elle. À aucun moment, elle ne s’est fait offrir de l’aide d’un traducteur. Anissa Benmessabih affirme que cet événement lui a ouvert les yeux sur la précarité dans laquelle peuvent se trouver les Franco-Ontariens lors d’événements imprévus.
« Ça m’a fait peur, ça fait réfléchir. Si ça arrive à l’un de mes proches, est-ce que je vais être en mesure de le faire et de bien d’écrire la situation? Oui, nous sommes francophones minoritaires, mais on a besoin de services en français, surtout dans les moments d’urgence », lance-t-elle avec exaspération. Elle a partagé ses craintes sur les réseaux sociaux suggérant à la blague aux francophones d’avoir un dictionnaire anglais/français lorsqu’ils signalent le 911.
La police de Toronto défend ses pratiques
La police de Toronto, qui gère le centre téléphonique du 911 dans la Ville reine, affirme qu’elle offre déjà des services de traduction aux citoyens. « Tout le monde devrait se sentir confiant en appelant la police que nous ferons tous les efforts nécessaires pour communiquer avec eux dans leur langue de préférence », a affirmé Meaghan Gray, porte-parole du service de police.
« La police de Toronto a une procédure en place qui permet d’offrir à ses membres un accès à 140 différentes langues, incluant le français, 24 heures par jour grâce à un service de traduction téléphonique », explique-t-elle. Cette année, l’aide d’un traducteur francophone a été demandée à 198 occasions par les répartiteurs du 911.
Alors pourquoi cette option n’a-t-elle pas été offerte à Mme Benmessabih? La Police de Toronto a refusé de commenter le cas précis rapporté par #ONfr. Il demeure que les organismes municipaux ne sont pas couverts par la Loi sur les services en français et qu’un citoyen ne peut donc pas porter plainte au commissaire aux services en français de l’Ontario.
D’autres cas rapportés
Au cours des derniers mois, d’autres francophones se sont emparés des réseaux sociaux pour dénoncer différentes situations où les services d’urgence n’ont pas été en mesure de répondre à leurs demandes en français.
Au cours des derniers jours, un internaute a dénoncé les problèmes rencontrés pour obtenir des services lorsque le 911 est composé dans le nord de la province. Contacté par #ONfr, Nicholas Lebel a indiqué que la situation aurait été vécue par un de ses collègues et qu’une plainte serait prochainement déposée à ce propos au commissaire aux services en français de l’Ontario, Me François Boileau.
L’appel en question a été reçu par l’un des cinq centres d’appels de la police provinciale de l’Ontario qui traite les appels 911 dans la province. Ils sont situés à Orillia, London, Smith Falls, North Bay et Thunder Bay. Si les centres du genre qui sont de juridiction municipale ne sont pas couverts par la Loi sur les services en français, ceux qui relèvent de la province le sont.
Le porte-parole de la police ontarienne, David Rektor, s’étonne que les services en français puissent avoir été déficients. « Nous avons deux postes de répartiteur 911 désignés en français dans chacun de nos cinq centres d’appels en tout temps. Nous avons des protocoles en place pour s’assurer de respecter la Loi », insiste-t-il.
M.Rektor révèle qu’en cas d’urgence, par exemple si tous les employés désignés sont occupés, le répartiteur peut même faire appel à un service de traduction téléphonique. « Je ne sais pas comment ça se passe dans les centres du 911 dans les villes, mais du côté des centres provinciaux, nous maintenons de très hauts standards », a-t-il soutenu.
Il faut dire que le commissaire aux services en français a déjà fait grand bruit des problèmes rencontrés par les Franco-Ontariens appelant au 911 dans la province. En 2012, un citoyen, Guy Desjarlais, l’avait contacté après avoir été incapable de déposer une plainte pour fraude dans sa langue. « Un centre d’appels destiné à recevoir des communications importantes pour la sécurité publique de la part de citoyens de partout en province doit être en mesure de traiter efficacement les appels en français », insistait le commissaire Boileau dans un rapport.
Renée Girard a eu moins de chance. Ses plaintes au commissaire sont restées lettre morte, car elles concernaient un corps de police municipal, celui de Thunder Bay. Elle s’est tournée vers les médias sociaux pour dénoncer la situation.
« Je devais faire une simple vérification d’antécédents judiciaires dans ma ville de résidence pour obtenir un poste dans le milieu de l’éducation. La police a refusé ma lettre du ministère de l’Éducation, car elle était en français », a-t-elle dénoncé lors d’un entretien avec #ONfr.
« On a deux langues officielles au Canada, ça n’a pas de bon sens! J’ai dû retourner voir mon employeur pour qu’il me produise une lettre en anglais. Des services bureaucratiques de base au sein des services essentiels, comme la police, ça devrait toujours être bilingue », selon la citoyenne.